Il ne s’est pas passé une seule année sans que Patrick Bataillard, aujourd'hui CFO de XPO Logistics Europe, n’accomplisse une acquisition pour le groupe Norbert Dentressangle. Décryptage de son fonctionnement.

Décideurs. Le chiffre d’affaires de Norbert Dentressangle – devenu XPO Logistics Europe – progresse année après année. Comment expliquer un tel succès ?

Patrick Bataillard. La raison est simple et fondamentale : Norbert Dentressangle est une entreprise qui a été créée par un véritable entrepreneur. Elle a été bâtie pour générer de la croissance. Le développement du groupe s’est articulé entre un mix de croissance externe et interne. Depuis 1984, il n’y a pas eu une seule année où nous n’avons pas réalisé une ou plusieurs acquisitions. Par ailleurs, notre marché – celui de la supply chain – s’avère particulièrement porteur. Ce type d’activité surperforme toujours le PIB des pays dans lequel nous exerçons. C’est un effet lié à la mondialisation de l’économie. D’une part, les produits s’avèrent de plus en plus fabriqués loin des zones où ils sont consommés, et d’autre part, il existe une tendance à l’externalisation des fonctions logistiques. Plus aucun industriel n’a pour objectif de disposer de sa propre flotte de camions.

 

Décideurs. Dans une firme jusqu'à présent entrepreneuriale et familiale comme la vôtre, quel rôle spécifique a joué la fonction finance ?

P. B. Je la considère comme une fonction support. Je préfère cette terminologie plutôt que celle de « corporate ». La finance intervient en support des activités. On y trouve bien entendu des fonctions régaliennes, avec des contraintes liées à notre statut de société cotée. C’est la culture que j’ai voulu faire passer à mes collaborateurs. Cela nous a amenés sur des registres de structuration. La finance n’est pas là pour nuire aux activités, mais pour bétonner l’existant. Elle joue un rôle important dans les financements, les processus de croissance externe ou encore dans les intégrations post-acquisition.

 

Décideurs. Comment se déroule votre intégration au sein de XPO Logistics ? Quelles sont les problématiques rencontrées ?

 P. B. J’ai toujours connu des phases transactionnelles. La particularité de ce deal est que XPO est une entreprise très ambitieuse. Ils ont un accès aux ressources financières très avantageux aux États-Unis par rapport à celles qui se trouvent en Europe. Ce deal n’aurait pas été possible dans l’autre sens. Le marché américain est plus preneur de risques que le nôtre. Nous sommes les intégrés et non pas les intégrateurs. De ce point de vue-là, on bâtit un projet collectif d’un groupe qui était américain vers un groupe global. Je suis assez frappé par la dichotomie. Un groupe américain impose rapidement ses contraintes. En Europe, la multiplicité culturelle est beaucoup plus intégrée.

 

Décideurs. Vous avez tous les ans réalisé des acquisitions par le passé. Quelle a été la recette du succès de votre méthode d’intégration ?

P. B. Quand nous arrivons dans une entreprise, nous expliquons immédiatement quelles sont nos contraintes. Nous cherchons ensuite à trouver le bon compromis entre le business model de la cible et nos impératifs. Il faut réfléchir globalement et agir localement. Par exemple, pour être un bon logisticien en Italie, il vaut mieux être italien. Ce projet de cohésion et cette phase d’intégration permet de bien comprendre comment fixer les contraintes d’un groupe coté en Bourse et la nécessaire délégation auprès des équipes locales. Il faut par ailleurs prendre des décisions rapides vis-à-vis de nos clients. Les sujets de back-office sont, par ailleurs, essentiels car c’est de là que viennent les contraintes. Dans une opération de rapprochement, les managers opérationnels s’avèrent plutôt enthousiasmés car ils ont des bonnes idées et veulent échanger des bonnes pratiques. Dans une entreprise comme la nôtre, le CEO s’est toujours trouvé très impliqué.

 

Décideurs. Une partie des fonctions classiques d’une DAF (transactionnelle, credit management, etc.) est déconcentrée dans vos divisions opérationnelles. Quelles sont vos bonnes pratiques d’animation de ce réseau ?

P. B. Nous n’avons pas toujours connu cette décentralisation. Le choix de cette nouvelle organisation a été fait dans l’optique de support aux opérations, de soutenir la croissance. Je ne suis pas du tout convaincu de la pertinence de mettre en place des centres de services partagés. Je ne pense pas qu’il faille éloigner les fonctions finance des opérations. Pour répondre à votre question, l’animation se fait en créant un esprit d’équipe, voire en créant une sorte de compétition entre les divisions. Il s’avère assez efficace de communiquer autour des bonnes pratiques d’un credit manager d’une filiale pour que celles-ci deviennent une référence pour les autres credit managers du groupe grâce à un reporting régulier. Mais attention : l’esprit d’équipe, cela ne se décrète pas. J’ai eu l’opportunité de recruter d’excellents directeurs financiers de division. Bien qu’ils rapportent hiérarchiquement aux patrons de divisions, ils me sont rattachés opérationnellement. Parmi les autres bonnes pratiques d’animation, je citerais la responsabilisation des équipes et l’ambition de la performance. Les comités de pilotage mensuels ne se font au siège que par exception. Je profite des business review pour aller au contact des collaborateurs. Enfin, avec la multiplicité des stakeholders, des clients, des collaborateurs et des fournisseurs, je suis attaché à un très grand niveau d’expertise dans les équipes. En effet, je fais le choix de choisir des profils d’experts plutôt que des personnes aux parcours variés.

 

Décideurs. L’équipe juridique/tax est intégrée au sein de votre périmètre. Quels atouts et complémentarités tirez-vous de ce rapprochement des fonctions finance et juridique ?

P. B. Ce choix, c’est celui de la simplicité. Nous souhaitons disposer d’un nombre limité de managers, très engagés et couvrant beaucoup de sujets, autour de la table. Je porte donc la responsabilité des fonctions supports. Il s’agit d’avoir un leadership unique sur tous les sujets traités par le back-office au sens large. Sur un projet d’investissement par exemple, je donne ma validation pour que l’on avance et celle-ci comporte de nombreux sujets : le risk management, la cohérence avec la stratégie, etc. Enfin, ce choix revêt un intérêt en termes de gouvernance corporate. Cela facilite sa mise en place. L’entreprise était possédée majoritairement par un homme qui a fait le choix d’être coté en Bourse. Nous avons donc des administrateurs indépendants et un comité d’audit. Ils nous apportent un éclairage extérieur concret.

 

Décideurs. Vous avez mis en place un « centre d’administration des données » dans vos équipes. Quels en sont les enjeux ? Quid du big data ?

P. B. Le centre d’administration de données est une initiative personnelle. J’ai pris conscience que la gestion d’une information homogène allait devenir un vrai challenge pour l’entreprise. L’objectif de ce centre est de faciliter les opérations. Il prend également la responsabilité de mettre en place le système d’information dans les agences. On veille à l’uniformisation, à la cohérence et à la rationalisation de la data. L’enjeu c’est de faire vivre correctement la donnée, faire valoir son utilité et les contraintes qu’elle impose. Ce qu’il faut retenir c’est que dans nos métiers, il vaut mieux des systèmes robustes qui se déclinent à l’infini, plutôt que du sur-mesure. Par ailleurs, nous avons des choses à faire en matière de big data, notamment autour des besoins et des comportements de nos clients. Cela paraît basique, mais ils s’avèrent souvent assez riches en termes d’information. A fortiori, dans le métier des transports, pour moins polluer, moins consommer, moins créer de perturbations, etc., le big data pourrait constituer un véritable apport. Notre centre d’administration des données va rendre possible cette administration du big data.

 

Décideurs. Vous dîtes que « tout ce qui se mesure s’améliore » et vice versa. Est-ce le crédo de votre direction financière ? Comment cela se traduit-il au quotidien ?

P. B. C’est un credo personnel, mais qui s’est répandu au sein de la DAF. C’est aussi l’héritage de l’entrepreneur Norbert Dentressangle. Dans des activités à très faibles marges, son entreprise s’est différenciée grâce à cette mesure de la performance. Il est important de mesurer si les actions qui ont été décidées portent leur fruit. Cela se traduit ainsi dans la gestion comptable et analytique du groupe. Si une filiale perd de l’argent, on doit pouvoir l’identifier facilement et de la manière la plus transparente possible. Avec cette culture du chiffre, nous avons ainsi pu découvrir que nous étions le plus gros logisticien en Europe. Parmi nos éléments de mesure, on trouve le chiffre d’affaires, la rentabilité, le retour sur investissement et des critères non financiers.

 

Décideurs. In fine, quelle culture et quelle vision apporte votre direction financière au groupe ?

P. B. Tout d’abord, une grande rigueur dans la mesure. Ce qu’on demande avant tout à la DAF c’est de produire des chiffres. Puis, je citerai le partage de la mesure de la performance avec comme vision latente notre part de responsabilité dans l’avenir du groupe. J’avais pour ambition de donner des moyens au groupe pour financer ses projets ; embarquer des actionnaires, des prêteurs. Avec le rachat par XPO, la donne change.

 

Propos recueillis par Mathieu Marcinkiewicz

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