Spécialiste mondial du private equity, Graham Elton estime que les LPs vont de plus en plus se passer d'intermédiaires pour réaliser de simples opérations.

Décideurs. Quel est l’état du marché du capital-investissement aujourd’hui et comment imaginez-vous qu’il va évoluer en 2016 ?

Graham Elton. L’offre et la demande n’étant pas alignées, le marché reste compliqué bien qu’actif. Il y a de vraies capacités d’investissement comme le démontre la quantité de dry powder à disposition, mais encore trop peu d’opportunités de deals. Par conséquent, la concurrence demeure très rude et, sans surprise, cela impacte la valeur des entreprises. En ce moment, nous relevons les plus hauts multiples jamais enregistrés pour des opérations de rachat depuis quinze/vingt ans.

En 2016, le cash à déployer sera toujours là, mais il est peu probable de voir le rythme des transactions augmenter subitement. Toutefois, le private equity pourrait bénéficier de la baisse des indices boursiers. Cette contraction aurait deux effets majeurs. D’abord, l’attractivité des introductions en Bourse pour les vendeurs deviendrait moins forte, précisément dans le cadre des nombreux processus de dual track où les cédants pourraient reconsidérer à la hausse l’offre des fonds de buy out. Ensuite, je pense que cela ralentirait l’inflation du prix des actifs dans la mesure où les investisseurs regardent toujours le comportement des marchés financiers afin de se faire une idée des valorisations. Cela étant, ces changements devraient prendre du temps et les chiffres ne devraient pas vraiment bouger avant la fin 2016.

 

Décideurs. Le haut degré de sélectivité des GPs exercé par les LPs constitue-t-il encore une tendance forte du marché ?

G. E. Les fonds souverains, les investisseurs institutionnels et les personnes à haut revenu sont tous si désireux de trouver des solutions de placement pour leur argent que le succès des collectes profite aussi aux GPs dont le track record est plus faible. Pour voir des levées de fonds très difficiles, il faut remonter trois ans en arrière. Aujourd’hui, lever de l’argent n’est pas un sujet. Au contraire, les meilleures sociétés de gestion peuvent négocier les termes de leur rémunération à de très bons niveaux.

 

Décideurs. Que pensez-vous de la tendance américaine tenant aux alliances entre VC et PE, à l’image de la filiale commune créée par Accel Partners et KKR ?

G. E. Cette tendance est largement emmenée par les très gros fonds de buy out qui ambitionnent de devenir de larges gérants d’actifs multiples au profil international. Les sociétés cotées telles que KKR ou Blackstone sont en tête de liste. Hormis cet aspect structurel, la seconde motivation de ces acteurs est de garder les yeux ouverts, en amont, sur les évolutions de la « tech », de façon à répliquer ce qu’ils apprennent dans leur domaine de spécialité, le buy out. Au final, je pense que ces alliances proactives sont créatrices de valeur.

 

Décideurs. Quelle est la prochaine grande tendance du capital-investissement ?

G. E. La grande tendance, commençant déjà à émailler le monde du private equity, consiste dans la séparation entre les deals nécessitant une vraie valeur ajoutée de la part d’un GP spécifiquement compétent dans un domaine, une pratique ou un secteur, et les transactions « vanilles » aux risques réduits. Dans le passé, les sociétés d’investissement faisaient l’un ou l’autre type d’opération de la même manière et via un même véhicule, sans que cela ne perturbe leurs partenaires institutionnels. Mais maintenant, les fonds de pension se disent qu’ils n’ont plus besoin de payer un intermédiaire financier pour réaliser de simples rachats aux cashflows solides, réguliers. Ils pensent pouvoir le faire par eux-mêmes. En revanche, ils continueront toujours à rémunérer un GP pour les transactions complexes.

 

FS (Firmin Sylla)

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