Politique-fiction. Jacques Delors vient d’être enterré. L’heure est grave en France. Quelques grands patrons imaginent des solutions tandis que le gouvernement faiblit. Le salut viendra-t-il de la société civile ?
Dimanche 27 octobre 2015
18h37, France Télévisions

« Flash spécial : nous interrompons nos programmes pour passer au direct depuis le palais de l’Élysée. Le président de la République vient de faire savoir qu’il s’exprimerait sur le perron dans quelques minutes. »

18h37, place de la Concorde, Automobile Club de France
Dans l’intimité d’un salon privé, seul le décor est apaisant. La discussion qui s’y tient, entre François-Henri Pinault, Frédéric Oudéa et Henri de Castries, est vive.
« Tu n’y entends rien François-Henri, assène Frédéric en se servant un nouveau verre de whisky. Ce n’est pas deux leçons que la crise est en train de nous donner, mais trois !
- Voyons…, reprend François-Henri, la décision de la Cour de justice, c’est la première leçon : la construction européenne avance en repoussant toujours le moment où elle devra se positionner, trancher. Là, c’était sur le rôle de la Banque centrale face à la crise des dépenses publiques. C’est la Cour qui a fini par trancher !
- Ne pas définir l’Europe a toujours été son avantage pour avancer, souligne Frédéric.
- La deuxième, tu me l’accorderas, continue François-Henri, c’est que nos gouvernements ne sont pas à la hauteur. La journée d’hier nous l’a bien montré. L’Allemagne a continué à bouder Bruxelles, Renzi a pris sa décision unilatéralement. Et à l’Élysée, ils ont été incapables de s’entendre m’a dit quelqu’un de l’intérieur.
- Ils n’étaient pas non plus au courant de la décision italienne de sortir de l’euro. Les propres services de ma banque me l’avaient annoncé dès midi. On vit en plein paradoxe. Alors que cette nouvelle crise de l’euro révèle la nature profondément politique de la monnaie unique, une solution politique semble impossible.
- Et ta troisième leçon alors, Frédéric ?
- Les marchés ont vécu dans une certaine insouciance. Déjà en 2011, nous nous en étions rendu compte. Mais là, vendredi, avec la faillite du Crédit agricole, le retour à la réalité a été violent. Je suis banquier aussi pourtant, mais je dois l’admettre. La technique, l’ingénierie, qui sont bien plus des joujoux pour matheux, ont été pour nous une forme de drogue qui nous a empêchés de voir les illusions dans lesquelles nous vivions. Les finances publiques ne sont pas infaillibles. L’euro n’a jamais été parfaitement achevé. Et le crédit n’est qu’une bouée de sauvetage temporaire en réalité.
- Vous oubliez une quatrième leçon, interrompt le troisième homme jusque-là silencieux.
- Laquelle Henri ?
- Nous manquons d’une vision transcendante de l’histoire pour ordonner notre action. N’est-ce pas ce qu’a voulu dire le cardinal cet après-midi à Notre-Dame ?
- Le catho se réveille, ironise Frédéric.
- La crise de l’euro n’est que la surface, reprend Henri. L’euro s’écroule parce qu’il a été construit trop rapidement, par une gouvernance elle-même fragile, établie sur un consensus politique que l’on cherche encore. Il n’y a pas réellement de projet européen fédérateur traçant l’avenir.
- Je n’y crois pas, lâche François-Henri. On fait quoi maintenant niveau business ? C’est à nous d’agir… parce que la réponse ne viendra pas des politiques !
- Les actifs français sont encore sains, répond Frédéric, nous avons de belles entreprises, une population active bien formée…
- La crise monétaire fait peser une incertitude considérable sur la valeur de ces actifs ! ajoute François-Henri. Un euro sans l’Allemagne, c’est un euro qui vaut quoi ?
- Peanuts ! Et c’est pas avec des cacahuètes qu’on achète du pétrole ! reprend Frédéric.
- Quoi qu’il en soit, explique Henri, beaucoup de règles nous bloquent pour nous adapter au nouvel environnement que la crise introduit. Dans l’assurance, nous sommes toujours légalement contraints de détenir des titres censés être peu risqués, dettes publiques notamment. Nos réserves vont nous permettre d’encaisser un défaut de paiement, mais celui de tous les pays ce ne sera pas possible.
- D’un point de vue commercial, analyse François-Henri, nous payons heureusement une large partie de nos achats en dollars. La difficulté sera d’en obtenir.
- Tu as raison, déclare Frédéric. Même si nos actifs sont sains, nous aurons du mal à les exploiter convenablement avec un euro qui s’effondre.
- Et si nous nous organisions pour sauver l’euro par nous-mêmes ?, lance Henri. Rachetons les avoirs en euros pour faire remonter la monnaie !
- Nos fortunes n’y suffiraient pas, rétorque Frédéric. La masse monétaire totale s’élève à plus de 10 000 milliards d’euros !
- Nos fortunes non, bien entendu, admet Henri. il n’est pas question de nous ruiner – sinon pour le panache mais je ne suis pas Cyrano. Beaucoup de puissances étrangères n’ont pas intérêt à voir la zone euro tomber. Les Chinois y ont trop investi ces dernières années par exemple.
- … et nous serons plus crédibles que nos politiciens vis-à-vis de ces marchands !, conclut François-Henri.

19h55, rue du Faubourg Saint-Honoré, palais de l’Élysée
La nuit tombe. Une pluie fine perle du ciel sur les marches blanches du perron.
« Françaises, Français. La crise très grave que nous traversons me contraint à prendre des décisions difficiles. En conscience et en concertation avec l’ensemble du Gouvernement, j’ai décidé d’organiser dans un mois de nouvelles élections législatives et présidentielles. L’urgence est de reconstruire un consensus. C’est pourquoi, demain à midi je démissionnerai de la présidence de la République. »

JHF

Épisode 1 - L'Allemagne exclue de la zone euro ?
Épisode 2 - " Whatever it takes "
Épisode 3 - "Sans doute n'étions-nous pas la génération qu'il fallait"
Épisode 4 - Père, pourquoi nous as-tu abandonné ?

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