Politique fiction. Jeudi 24 octobre 2015 : la Cour de justice de l’Union européenne s’apprête à rendre sa décision quant à la conformité du programme OMT au droit européen. La zone euro va-t-elle basculer ?
17h35, Bruxelles - Commission européenne
Le front humide, Emmanuel Macron lance un regard vers Michel Sapin comme pour se rassurer. Lui laissant à peine le temps de respirer, le commissaire H. reprend : « Je vous reformule ma question monsieur le ministre, la France pourrait-elle soutenir un tel endettement si elle n’appartenait pas à la même zone monétaire que l’Allemagne ? »

17h37, Luxembourg - Cour de justice de l’Union européenne

Les journalistes se saluent pendant que le reste de l’assistance s’installe dans la grande salle d’audience. Quelques sourires, quelques rires, l’atmosphère est faussement légère. L’entrée des quinze juges interrompt les discussions. Un an après le début des auditions, la Cour de justice de l’Union européenne rend sa décision sur la question de la cour allemande de Karlsruhe. Un renvoi préjudiciel « tout à fait légitime », d’après la Commission. L’affaire, qui n’a initialement intéressé que les Cassandres se plaisant à prédire la chute de l’euro et le chaos politique, fournit à la presse et à l’opinion un os à ronger. On échafaude depuis plusieurs semaines déjà les résultats potentiels de ces délibérations. La Cour doit-elle déclarer les achats d’obligations souveraines par la Banque centrale européenne (BCE) conformes au droit de l’Union ?

17h40, Paris - studio d’Euronews des Champs-Élysées

« Elle irait contre l’avis des puissants juges allemands et pourrait mettre à l’écart la Bundesbank de la politique monétaire !, s’exclame Karl Kafenberg de la Ökozeitung, un journal économique allemand de Francfort. Si la Cour déclare ce programme d’Outright Monetary Transactions (OMT) conforme au droit européen, la banque centrale allemande n’aurait plus le droit d’être actionnaire de la BCE selon la Loi fondamentale.
- De fait, l’Allemagne se trouverait exclue de la zone euro ?, reprend Simon Tussaurel, le journaliste maison qui anime le direct.
- Ce serait la conclusion logique.
- Faut-il alors que la Cour se couche devant Karlsruhe et déclare non conformes les rachats de titres souverains ?
- Cela affaiblirait Mario Draghi, intervient Jep Gambardella, journaliste italien à La Spamta. Les juges contrediraient le consensus international grandissant sur l’abandon de la règle interdisant aux banques centrales de financer directement un État.
- Et comment percevez-vous le message de François Hollande en début de semaine ? Il a cru bon d’intimer aux juges d’autoriser les rachats pour « défendre les États européens contre les attaques des marchés et organiser la relance qu’attendent les entreprises », je cite ! Karl ?
- Wolfgang Schaüble a déjà répondu dans Les Échos. « Il n’y a que la déraison qui puisse faire appliquer au bien portant les remèdes que lui prodigue un malade. Espérons que la Cour ne sera pas déraisonnable. »
Jep relance alors : « La France est-elle consciente que l’équilibre juridique de l’euro peut être remis en cause par la décision de la Cour de justice si elle conduit l’Allemagne hors de l’Eurosystème ?
- Ce n’est peut-être pas si grave. Après tout, la république fédérale ne continuerait-elle pas à recourir à l’euro, tandis que sa gestion serait prise en mains par les autres pays de la zone, tente l’animateur. Non ? »
L’Allemand tranche aussitôt : « Seul le Monténégro est dans cette situation. En serions-nous au même point ?
- Peut-être l’Allemagne y sera-t-elle contrainte, reprend Jep, chaque jour un peu plus, le programme de rachats de titres souverains apparaît comme la seule issue pour des États européens incapables de la moindre réforme. À chaque minute, les nouveaux déficits s’ajoutent aux anciens. La dette grimpe. La croissance atone de la zone euro ne laisse pas entrevoir d’amélioration. Les créanciers ne pourront pas être remboursés si la situation n’évolue pas rapidement ou si la Banque centrale ne vient pas directement en aide aux finances publiques.
- Quelle que soit la décision de la Cour, l’arrêt pourrait avoir l’effet d’une bombe donc, » conclut Karl.

17h40, Luxembourg - Cour de Justice de l’Union européenne

Les juges prennent place, et tandis que le silence gagne l’assemblée, le président de la chambre ouvre sur l’autel judiciaire le dossier rouge sang contenant l’arrêt.
« Arrêt de la Cour sur l’affaire “Cour constitutionnelle de la République fédérale d’Allemagne contre la Banque centrale européenne et le Système européen des banques centrales”, ayant pour objet le programme de rachat d’obligations souveraines sur le marché secondaire… »
Un préambule d’une vingtaine de minutes s’engage. Pendant le rappel du cadre juridique, des considérants et de la question préjudicielle, l’assemblée est tenue en haleine, s’accroche aux quelques mots qu’elle saisit dans l’abrupte paroi du discours juridique. Les gens le savent. Quels que soient ces prolégomènes, seule la dernière phrase résonnera au-delà de cette salle.
« … Par ces motifs, la Cour déclare le programme OMT conforme au droit de l’Union européenne. »

 
JHF

Épisode 2 - " Whatever it takes " 
Épisode 3 - " Sans doute n'étions-nous pas la génération qu'il fallait "
Épisode 4 - Père, pourquoi nous as-tu abandonné ?
Épisode 5 - La fin des illusions


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