Déjà sept ans que le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne, ses réglementations mais aussi son accès au marché unique. Une décision motivée par certains pour s’affranchir du joug européen notamment économique et pour d’autres pour des raisons populistes. Focus sur la situation financière actuelle du Royaume-Uni après ce référendum fatidique.
7 ans après le Brexit, qu’en est-il de l’attractivité financière du Royaume-Uni ?
Retour en novembre 2022. Le Royaume-Uni est le seul membre du G7 à hériter de pronostics de croissance négatifs. Six mois plus tard, en avril 2023, le pays réussit à redresser la barre. Avec 0,25% de croissance au premier semestre, l’économie britannique se rapproche des 0,4% de l’Allemagne et des 0,6% de la France. Surtout, elle passe sous le seuil symbolique des 10% d’inflation en atteignant 7%, quand les spécialistes prédisaient l’an passé une flambée des prix cataclysmique de plus de 18%.
Malgré ces louables motifs d’espoirs, l’économie outre-Manche reste significativement affectée par le Brexit. Les unes après les autres, les entreprises britanniques font le choix de s’introduire en Bourse sur d’autres places financières. C’est le cas de Arm Holding et Cement Road Stone Holdings, des pépites qui ont mis les voiles vers New-York en mars dernier, pour apporter de meilleurs rendements à leurs actionnaires. Mais le cœur du problème réside dans les mouvements de délocalisation salariale où Paris se positionne en grand gagnant européen. Selon une étude du cabinet EY, publiée fin janvier 2023, sur les 7000 emplois gagnés par l’Île-de-France après le Brexit, 5500 proviennent des services financiers. Un nombre sous-estimé, puisque rien n’oblige les entreprises à révéler les mouvements de leurs effectifs.
Le cœur du problème réside dans les mouvements de délocalisation salariale où Paris se positionne en grand gagnant
Les plus grandes banques d’affaires américaines ont renforcé leurs positions dans l’Hexagone. JPMorgan, la plus renommée, inaugurait en 2021 de nouveaux locaux, en présence d’Emmanuel Macron. Après le transfert de 500 postes londoniens, leur nombre atteint 860 salariés à Paris, soit trois fois plus qu’avant le Brexit. De même pour Bank of America et Goldman Sachs, qui dénombraient toutes deux 70 salariés dans la Ville Lumière jusqu’en 2020 et comptent aujourd’hui respectivement 650 et 400 personnes sous contrat.
L’Île-de-France n’est pas la seule gagnante de ce mercato de banquiers, traders et assureurs. Avec 6000 collaborateurs en Europe, JPMorgan a doublé ses effectifs, augmentant sa présence à Francfort, Luxembourg, Milan, Madrid ou Dublin. Angus Canvin, directeur des affaires internationales de UK Finance, analyse le mal qui touche la City : "Les emplois directs sont partis, mais il faut y ajouter la perte d’opportunité, très difficile à mesurer : pas mal d’entreprises ont investi dans l’UE alors qu’auparavant, elles auraient sans doute choisi le Royaume-Uni par défaut." Effectivement, sur les 3000 emplois créés sur le Vieux Continent par la banque américaine, seuls 500 ont été délocalisés de Londres. Wiliam Wright, directeur de New Financial, un think tank d’analyse financière, résume : "Avant, s’il fallait se développer en Europe, il était évident pour une entreprise financière que ce serait à Londres. Aujourd’hui, la City n’est plus un choix automatique."
La City touchée mais toujours debout
Malgré ces turbulences, la City résiste. Dans le trading des devises, 91,5 % de l’activité européenne étaient effectués au Royaume-Uni en 2019 contre 81,4 % en 2022. Concernant les produits dérivés libellés en euros, la part britannique des activités européennes est passée de 89,6 % à 72,4 %. Selon la BCE, si le Royaume Uni a vu sa part dans le volume d’échanges de devises mondiales passée de 43,2% à 38,1% entre 2022 et 2021, il reste largement devant les États-Unis, qui ne grappillent que 3% de la perte britannique, pour atteindre 19,4%. Cela peut être vu par les Brexiters comme un symbole de la résilience de leur économie qui conserve sa domination sur le Vieux Continent à la faveur des faibles conséquences négatives du référendum. Ce que Wiliam Wright tranche par une métaphore : "Avec ce vote, c’est comme si Londres avait choisi de se casser le bras. Normalement, personne ne fait ça volontairement. Mais ce n’est qu’une blessure, qui n’est pas mortelle."
Si le Royaume-Uni subit une fuite de ses cerveaux financiers, il est loin d’avoir reçu l’estocade. Dans ses bureaux londoniens, JPMorgan compte encore 10 000 emplois et 19000 sur l’ensemble du territoire, trois fois plus qu’en Europe. Avec plus d’un million de salariés dans les services financiers dont 400 000 à Londres, la City reste de loin, la seconde place financière mondiale et la première européenne.
L’eldorado du "Singapour-sur-Tamise"
Pour retrouver de l’allant, plusieurs réformes sont envisagées par les politiques britanniques afin de renouer avec le grand espoir des partisans du Brexit, celui du fameux "Singapour-sur-Tamise". L’idée est de permettre de se libérer des contraintes du marché unique et de jouir, enfin, des libertés offertes par le référendum. En ce sens, Jeremy Hunt, ministre des Finances et du Budget, proposait fin 2022, une série de mesures pour soulager la City, jugées finalement trop timorées par l’opposition.
Surtout M. Wright évoque "une sorte de divergence parallèle" avec l’Europe qui discute actuellement des mêmes modifications concernant notamment la révision de la réforme réglementaire Solvabilité II. Celle-ci, héritée de la crise des subprimes, contraint les compagnies d’assurances à conserver une importante partie de leurs fonds propres en argent liquide en cas de paiement massif à réaliser. Entre sécurité et nouvelles liquidités destinées à favoriser l’investissement, l’UE et le Royaume-Uni ont vite fait leur choix. Mais c’est alors, la nature même du vote du Brexit qui interroge si les réglementations sont modifiées au même moment entre les deux zones économiques et que les supposées opportunités du référendum s’évaporent.
C’est sans doute ce qui explique la présence de Jeremy Hunt à Bruxelles ce mardi 27 juin afin de signer un accord de coopération financière avec son homologue européen Mairead McGuiness. Pour l’instant, cet accord ne prévoit que des échanges d’informations et des coordinations de positions et de priorités mais représente "un pas important dans les relations post-Brexit entre le Royaume-Uni et l’UE", avance le Trésor britannique. Preuve d’un changement de cap du gouvernement, en février 2023 la moyenne des sondages réalisés outre-Manche révélait que 57% de la population voterait aujourd’hui pour entrer à nouveau dans l’UE.
Tom Laufenburger