Après l’interpellation en France le 24 août de Pavel Durov, le fondateur de Telegram, place au blocage sur tout le territoire brésilien de X (ex-Twitter), le réseau social d’Elon Musk, le 3 septembre par le Tribunal suprême fédéral du Brésil.
X, Telegram : quand les réseaux sociaux sont dans le collimateur des juridictions
C’est une rentrée mouvementée pour les réseaux sociaux Telegram et X (ex-Twitter) qui ont chacun pris des coups ces dernières semaines. Le premier a vu son fondateur Pavel Durov être arrêté en France le 24 août. Le second a été interdit sur tout le territoire brésilien depuis le 31 août sur ordre d’Alexandre de Moraes, juge au Tribunal suprême fédéral du Brésil. Les deux réseaux sociaux sont aux prises avec la justice, mais pas pour les mêmes motifs.
Qui ne dit mot consent
En France, le fondateur franco-russe de Telegram Pavel Durov faisait l’objet d’un mandat de recherche. Ce qui lui a valu d’être interpellé le 24 août, mis en garde à vue pendant près de quatre-vingt-seize heures (le délai autorisé pour les crimes en bande organisée) et déféré devant un juge. La sentence est tombée le 28 août. L’homme d’affaires de 39 ans a été mis en examen pour six infractions, entre autres pour "complicité d’administration d’une plateforme en ligne pour permettre une transaction illicite, en bande organisée", "refus de communiquer, sur demande des autorités habilitées, les informations ou documents nécessaires pour la réalisation et l’exploitation des interceptions autorisées par la loi", "complicité […] de diffusion en bande organisée d’images de mineurs présentant un caractère pédopornographique, de trafic de stupéfiants, d’escroquerie en bande organisée, association de malfaiteurs en vue de la commission de crimes ou délits" et "blanchiment de crimes ou délits en bande organisée", liste le parquet de Paris dans son communiqué de presse du même jour.
En clair, Pavel Durov ne modère pas les contenus de sa plateforme et ne coopère pas avec les autorités lorsque celles-ci l’exigent. Ce qui fait la réputation et le succès mêmes de son réseau social, à savoir la liberté d'expression totale des utilisateurs et son refus de communiquer leurs données personnelles, se retourne contre lui. À la mise en examen de l’entrepreneur s’ajoute un placement "sous contrôle judiciaire avec notamment l’obligation de remettre un cautionnement de 5 millions d’euros, l’obligation de pointer au commissariat deux fois par semaine, et l’interdiction de quitter le territoire français", précise le parquet.
Bras de fer américano-brésilien
De l’autre côté de l’Atlantique, au Brésil, c’est Elon Musk et son réseau social X qui sont dans le viseur de la justice. Les hostilités ont commencé il y a plusieurs mois lorsqu'Alexandre de Moraes, ministre du Tribunal suprême fédéral (l’équivalent en France d’un juge constitutionnel et d’un juge de dernière instance, dont les décisions sont insusceptibles de recours), a émis des ordonnances exigeant la fermeture de certains comptes ultraconservateurs. Elles se sont intensifiées lorsque, le 17 août, le PDG de Tesla a décidé, en représailles, de fermer les bureaux de son réseau social au Brésil, les utilisateurs brésiliens ayant quand même accès aux services de X. Et lorsque, dix jours plus tard, le 28 août, Alexandre de Moraes ordonnait à Elon Musk de signaler dans les vingt-quatre heures le nom et la qualité du nouveau représentant légal de X au Brésil, sous peine d’une suspension immédiate. Une suspension qui a eu lieu dès le lendemain, faute pour le milliardaire d’avoir obtempéré, et qui a été confirmée le 2 septembre par la première chambre du Tribunal suprême fédéral (SFT) à l’unanimité lors d’une session extraordinaire. X est désormais interdit d’utilisation au Brésil, le Tribunal précisant que tout contrevenant utilisant des VPN ou Starlink (qu’Elon Musk s’était empressé de rendre gratuit pour les Brésiliens afin de contourner l’interdiction) se verra sanctionner par une amende journalière de 50 000 reis, soit près de 8 000 euros.
Pour le meilleur et pour le pire
Ces deux décisions ont fait couler beaucoup d’encre. Le 2 septembre, alors la décision finale du SFT n’est pas encore connue, une pétition de la Global Coalition for Tech Justice appelait à l’instauration "de nouvelles règles de transparence et de responsabilité pour les grandes entreprises technologiques, partout où elles offrent des services et influencent notre capacité à jouir de la démocratie et des droits de l'homme". Les (nombreux) signataires, associations et personnes physiques, s’inquiètent de ce que l’absence de responsabilité de ces géants de la tech favorise la désinformation, les discours de haine ou encore le harcèlement, particulièrement en cette année émaillée d’échéances électorales de premier plan.
Dans une tribune publiée sur Le Monde, la sociologue Françoise Daucé remarque pour sa part que la création de Telegram visait originellement à offrir une plateforme d’échange sécurisée pour les opposants au régime russe (Alexei Navalny, Novaïa Gazeta, Dojd, Meduza). "C’est l’un des derniers lieux du pluralisme médiatique et politique pour les opposants bannis de l’espace public et, désormais, depuis l’agression massive de l’Ukraine, majoritairement contraints à l’exil", explique-t-elle. Sauf que le revers de la médaille est bien moins reluisant puisqu’on "y trouve les réseaux de vente de drogues, d’armes, de prostitution, ainsi que les sites conspirationnistes les plus divers". Encore faut-il pour accéder à ces réseaux et contenus être soi-même trafiquant puisqu’il n’existe pas sur Telegram de système de recommandation, poursuit la sociologue. Et de conclure : "Cela signifie que l’application est un support pour des pratiques malveillantes qui lui préexistaient et qui lui survivront probablement."
Action réaction
À noter que depuis sa mise en examen, Pavel Durov a annoncé que son application a supprimé, à la suite d’une demande des autorités, des contenus pédopornographiques en Corée du Sud, où Telegram fait l’objet d’une enquête, accusé "d’‘encourager’ la diffusion de tels contenus pornographiques truqués, utilisant notamment des images de mineurs", rapporte Le Monde. Au lendemain de la confirmation du blocage d’X au Brésil, Elon Musk a quant à lui indiqué sur le compte X de Starlink se conformer "à l’ordonnance de bloquer l’accès à X au Brésil". Le gel des avoirs financiers de Starlink au Brésil n’est peut-être pas étranger à ce revirement.
Chloé Lassel