Jeudi 16 juin, McDonald’s a accepté une CJIP à 1,245 milliard d’euros pour échapper à des poursuites pénales pour fraude fiscale. Le géant de la restauration rapide était soupçonné par la justice et le fisc français d’avoir gonflé les redevances calculées sur le chiffre d’affaires des restaurants versées par McDonald’s France à la maison mère européenne, basée au Luxembourg, pour faire baisser l’impôt sur les bénéfices en France.

Quatre cents procès-verbaux, de l’entraide judiciaire avec les États-Unis et les Pays-Bas, une négociation "longue et ardue", et, le 16 juin, une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) à 1,245 milliard d’euros. McDonald’s et le Parquet national financier (PNF) se sont entendus sur une amende record pour une affaire de fraude fiscale, validée par le tribunal judiciaire de Paris. Un record, oui, mais à nuancer : "McDonald’s a quand même accepté de payer le montant maximum qui pouvait lui être imposé pour cette CJIP. L’entreprise a peut-être considéré qu’elle aurait pris davantage de risques à aller devant le juge", rappelle Rodolphe Boissau, avocat au cabinet UGGC, qui a contribué à deux rapports – Unhappy Meal et Unhappier Meal –, publiés par des fédérations syndicales internationales et européennes et des ONG. Ces rapports décrivent certaines pratiques de McDonald’s qui sont reprochées par le PNF et l’administration fiscale dans le cadre de leurs investigations, démarrées en 2014 et 2015.

Faille juridique

La justice française soupçonnait le géant de la restauration rapide d’avoir baissé, de façon artificielle, les bénéfices réalisés dans l’Hexagone entre 2009 et 2020 grâce à un gonflement des redevances versées à la maison mère européenne. En France, McDonald’s récupère des redevances auprès des restaurants de l’enseigne, qui paient pour la marque, le savoir-faire et leur loyer. Avant 2009, 5% de ces redevances étaient reversées à McDonald’s Corporation aux États-Unis. À partir de 2009, une société luxembourgeoise, devenue siège social européen de la multinationale, est entrée dans l’équation. Le fast-food mondial a commencé à lui transférer non plus 5%, mais 10% des redevances calculées sur le chiffre d’affaires des restaurants. "La ligne 'autres charges' dans les comptes de McDonald’s, qui inclut le paiement des redevances, a doublé, indique Rodolphe Boissau. En 2008, il était question de 160 millions d’euros. L’année suivante, de 320." Les redevances voyageaient donc de la France au Luxembourg, puis du Luxembourg vers les États-Unis.

"McDonald’s a cherché à optimiser ses prix de transfert pour tenter de payer moins d’impôts"

Un manège de prix de transfert efficace pour McDonald’s : "Grâce à une faille juridique dans la convention fiscale entre les États-Unis et le Luxembourg, les bénéfices réalisés par la société luxembourgeoise n’étaient pas imposés. McDonald’s a donc pu réduire les impôts sur les bénéfices payés en France en augmentant le versement de redevances à la société mère luxembourgeoise, laquelle ne payait d’impôt ni au Luxembourg ni aux États-Unis", fait remarquer Rodolphe Boissau. Il ajoute que "selon le procureur national financier Jean-François Bohnert, McDonald’s a cherché à optimiser ses prix de transfert pour tenter de payer moins d’impôts". Le mécanisme fait l’objet de discussions au niveau de l’OCDE. L’amende dissuasive infligée à McDonald’s pourrait "changer les pratiques des grands groupes" en matière de prix de transfert, ont déclaré Éva et Caroline Joly, avocates des plaignants, à Ouest France.

"Le niveau des redevances facturées par la société au Luxembourg aux autres filiales de McDonald’s en Europe nécessite d’être analysé par les autorités fiscales de chacun de ces pays"

Et ailleurs ?

Les pratiques de l’enseigne n’ont pas seulement lésé le fisc français. En 2016, le comité d’entreprise de McDonald’s Ouest parisien a déposé plainte au pénal pour blanchiment de fraude fiscale. La fraude aurait privé les salariés de la filiale, artificiellement déficitaire, de leur prime de participation. La CJIP constitue une première étape pour les salariés, qui pourraient désormais lancer une action au civil pour tenter de récupérer la participation non perçue. Et ailleurs ? El Pais, en 2016, mentionnait l’existence d’une enquête fiscale en Espagne. Une association de consommateurs a déposé une plainte en Italie en 2015. "Le niveau des redevances facturées par la société au Luxembourg aux autres filiales de McDonald’s en Europe nécessite d’être analysé par les autorités fiscales de chacun de ces pays", note Rodolphe Boissau. Hier, le procureur Jean-François Bohnert, a indiqué que le montant de 10% facturé était propre à McDonald’s France. Pour autant, on observe ailleurs des facturations de redevances de 7% ou 8%. Dans quelle mesure ces facturations seront considérées comme trop élevées ? "Ce sera aux autorités fiscales des autres pays de le déterminer."

Sur le 1,245 milliard d’euros, 508 millions iront à l’amende d'intérêt public. Les 737 millions restants correspondent aux droits et pénalités déjà dus depuis mai par McDonald’s à l’administration fiscale au titre de l'impôt sur les sociétés non versé entre 2009 et 2020. McDonald’s, représenté par PwC Société d’Avocats, Bredin Prat et Allen & Overy, a soulevé le principe non bis in idem"Le Conseil constitutionnel considère que le cumul des sanctions fiscales et pénales ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues, précise Rodolphe Boissau. La justice ne pouvait aller au-delà des 508 millions d'euros pour l’amende de la CJIP - l’amende totale ne pouvant excéder 30% du chiffre d’affaires calculé sur les trois derniers exercices."

Olivia Fuentes

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