Vente directe, contrats de VDI et consorts : attention au risque de requalification en contrat de travail
Sachant qu’une demande de requalification fait souvent suite à une prise d’acte, par le commercial, de la rupture de son contrat aux torts de son mandant et peut concerner un grand nombre de vendeurs, les conséquences financières d’une telle demande seront multiples et conséquentes (arriérés de salaires, indemnité de préavis, indemnité de congés payés, remboursement de frais professionnels, indemnité de licenciement, dommages et intérêts, indemnité forfaitaire pour travail dissimulé…). La requalification de ces contrats en contrat de travail est ainsi un écueil à prendre au sérieux.
Le recours, par les entreprises de la vente directe, à des commerciaux sous statut de vendeur à domicile indépendant (VDI) ou d’agent commercial, ne pose pas de problème en soi. En effet, le contrat de vendeur à domicile indépendant (VDI) et le contrat d’agent commercial sont tous les deux expressément prévus par le Code de commerce qui définit comme suit le VDI et l’agent commercial :
- VDI : "Celui qui effectue la vente de produits ou de services dans les conditions prévues par la section 3 du chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de la consommation, à l'exclusion du démarchage par téléphone ou par tout moyen technique assimilable, dans le cadre d'une convention écrite de mandataire, de commissionnaire, de revendeur ou de courtier, le liant à l'entreprise qui lui confie la vente de ses produits ou services" (article L. 135-1 du code du commerce). - agent commercial : "mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale" (article L 134-1 du Code de commerce).
Comme son nom l’indique, par définition, le VDI est donc un travailleur indépendant, que celui-ci agisse, comme la loi le permet expressément, comme mandataire, commissionnaire, revendeur ou encore courtier.
Comme son nom l’indique, par définition, le VDI est donc un travailleur indépendant, que celui-ci agisse, comme la loi le permet expressément, comme mandataire, commissionnaire, revendeur ou encore courtier.
Quant à l’agent commercial, il s’agit d’un mandataire (condition sine qua non, contrairement à ce qui est prévu pour le VDI) exerçant également, en tout état de cause, à titre de travailleur indépendant.
Le recours à ces statuts présente des avantages certains (formalités administratives limitées, frais fixes réduits, absence d’indemnité de fin de contrat pour le VDI dans certains cas, etc.).
Mais encore faut-il que la façon dont ces contrats sont rédigés et a fortiori exécutés ne crée pas ce qui caractérise un contrat de travail, à savoir le lien de subordination auquel est soumis le salarié vis-à-vis de son employeur.
En effet, la frontière peut être parfois ténue entre contrats de VDI / d’agent commercial d’une part, et contrats de travail d’autre part.
Contrats de VDI et d’agent commercial : une opportunité à saisir
Or, la requalification d’un contrat de VDI ou d’agent commercial en contrat de travail peut se révéler très lourde de conséquences, qui plus est lorsqu’une multitude de contrat est susceptible d’être concernée par une telle requalification.
À ce sujet, ne saurait, selon nous, militer dans le sens de l’existence d’un lien de subordination le fait que le VDI mandataire ou l’agent commercial se voie imposer le prix de vente des produits de l’entreprise pour laquelle il travaille.
Le fait d’être indépendant n’autorise pas le commercial à faire n’importe quoi pour le compte de son mandant ; il ne s’agit pas d’un électron libre.
Au contraire, le mandataire doit agir dans le respect du mandat qui lui a été confié ("Le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat", article 1989 du Code civil). Et, a contrario, le recours à des mandataires qui ne seraient pas tenus par la politique tarifaire de leurs mandants serait en pratique quasi impossible, s’agissant de mandataires et non de revendeurs.
Il en va de même du fait de devoir rendre compte à l’entreprise de son activité ("Tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion…", article 1993 du Code civil). Cette obligation d’information est même expressément prévue par l’article L 134-4 du Code de commerce en ce qui concerne l’agent commercial ("Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information").
Le fait d’être indépendant n’autorise pas le commercial à faire n’importe quoi pour le compte de son mandant ; il ne s’agit pas d’un électron libre.
Sous réserve de respecter certaines limites, le fait de prévoir des rapports d’activité ne nous paraît donc pas davantage critiquable.
Enfin, le fait que le VDI ou l’Agent Commercial ne travaille que pour un cocontractant même si cela peut poser la question de la dépendance économique du vendeur indépendant vis-à-vis de l’entreprise pour laquelle il travaille mais, à notre sens, cela est un autre problème - ne nous semble pas plus de nature à démontrer l’existence d’un éventuel lien de subordination.
En revanche, peuvent notamment poser problème la façon dont le temps de travail du vendeur est organisé, les moyens techniques utilisés par le vendeur, les obligations mises à sa charge par l’entreprise pour laquelle il travaille.
En premier lieu, il est évident que la question d’un éventuel lien de subordination peut se poser si le vendeur n’est pas libre de déterminer lui-même l’organisation de son temps de travail, ses périodes de congés, la planification de sa prospection au sein de son secteur éventuel, etc. Tel sera ainsi le cas si le VDI ou l’agent commercial doit au contraire être disponible de telle heure à telle heure, tel ou tel jour, doit faire valider ses dates de vacances, voire est véhiculé par l’entreprise pour aller jusqu’à son lieu de prospection et en revenir, celui-ci pouvant alors être éloigné de plusieurs centaines de kilomètres de son domicile…
Mais les moyens techniques mis à disposition du vendeur peuvent également poser problème.
Mais attention à la rédaction de ces contrats ainsi qu’à la façon dont ils sont exécutés
En effet, un travailleur indépendant est censé faire preuve d’un minimum d’autonomie non seulement dans l’organisation de son travail mais également dans son exécution. Ainsi, contrairement à un commercial salarié, un travailleur indépendant n’est pas censé se voir fournir d’office par l’entreprise pour laquelle il travaille tous (ou presque tous) les équipements susceptibles d’être nécessaires à sa prospection et à la prise de commandes (indépendamment de la question des échantillons dont il n’est pas question ici et dont la fourniture au commercial relève du rôle normal du mandant).
Pourra ainsi poser problème le fait que téléphone portable, tablette et ordinateur portable du VDI ou de l’agent commercial soient fournis par l’entreprise.
En second lieu, doivent également être prises en considération les indications susceptibles d’être données par l’entreprise au VDI ou à l’agent commercial quant à la façon dont il devra exécuter sa mission et en rendre compte, la façon dont sera contrôlée l’exécution de ses prestations, les éventuelles sanctions pouvant s’appliquer si le VDI ou l’agent commercial ne se conforme pas à ces indications, etc.
Un accompagnement des commerciaux est possible sous certaines conditions
En troisième lieu, peut encore poser problème le fait qu’une supervision du VDI ou de l’agent commercial par d’autres VDI ou agents commerciaux plus senior ou par des salariés de l’entreprise soit prévue si cela remet en cause leur indépendance.
Et ce, alors qu’il est pourtant logique que les entreprises souhaitent suivre un minimum leurs commerciaux quand bien même ils sont indépendants.
En effet, l’obtention de leads qualifiés coûte cher aujourd’hui, que celle-ci passe par le recours à des centres d’appel, à des liens sponsorisés, aux réseaux sociaux, à du publipostage et si l’entreprise en fait profiter ses commerciaux indépendants, il n’est pas aberrant que, dans un souci de bonne gestion et de retour minimal sur investissement, l’entreprise en question souhaite s’assurer qu’ils sont bien exploités.
De même, le fait de réussir à conclure une vente, en particulier en matière de vente directe (mais il n’en va pas différemment pour les autres types de vente, notamment en matière de vente immobilière), ne va pas de soi. Cela implique au contraire de maîtriser certaines techniques que tout commercial débutant ne connaît pas forcément et aura du mal à acquérir sachant qu’il sera seul sur le terrain l’essentiel de son temps.
Ainsi, le fait d’accompagner les juniors lors de leurs premières ventes est également de nature à réduire les risques de découragements et donc le turn-over, qui représente également un coût pour les entreprises. D’où l’importance du partage d’expérience entre commerciaux senior et commerciaux junior. Il ne pourra donc être question d’imposer quoi que ce soit aux commerciaux en la matière.
En définitive, des demandes de requalification de contrats de VDI ou de contrats d’agent commercial peuvent apparaître, sachant que l’existence d'un contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties ni de la qualification donnée à la prestation effectuée mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur. Une réflexion en amont sur les bonnes pratiques à instaurer en la matière au sein de l’entreprise et le respect de ces bonnes pratiques seront de nature à éviter que de telles demandes soient jugées fondées.
LES POINTS CLÉS.
• La possibilité de recourir à des commerciaux sous statut de vendeur à domicile indépendant (VDI) ou d’agent commercial en matière de vente directe constitue une réelle opportunité.
• Un lien de subordination ne doit pas être créé de facto.
• La requalification d’un contrat de VDI ou d’agent commercial peut être lourde financièrement.
• Une telle requalification peut toutefois être évitée en se conformant à la loi.
SUR LES AUTEURS. Jean-Charles Foussat, avocat aux barreaux de Paris et Bruxelles et Vincent Antraygues, avocat au barreau de Paris sont spécialisés en droit des intermédiaires de commerce tant indépendants que salariés (agents commerciaux, VDI, VRP, apporteurs d’affaires…). À ce titre, ils interviennent notamment dans le cadre de la création et la réorganisation de réseaux de commerciaux en combinant droit de la vente hors établissement (par exemple le démarchage à domicile, plus communément appelé porte-à-porte), vente à distance et droit de la consommation. Ils accompagnent leurs clients tant en les conseillant à titre préventif qu’en les défendant en cas de contentieux.