La réforme pour la confiance dans l’institution judiciaire a été adoptée le 22 décembre 2021. Les nouvelles dispositions du Code de procédure pénale entreront en vigueur, pour la plupart, à compter du 1er mars 2022.

Kiril Bougartchev et Emmanuel Moyne, cofondateurs du cabinet Bougartchev Moyne Associés, acteurs juridiques incontournables en droit pénal des affaires, sont revenus sur ces nouvelles mesures pour Décideurs Juridiques.

Les délais institués dans le cadre des enquêtes préliminaires constituent l’un des apports majeurs de cette nouvelle loi. Le droit antérieur étant resté silencieux, l’article 75-3 du Code de procédure pénale dispose désormais que les enquêtes de droit commun seront limitées à un délai de deux ans, avec la possibilité de proroger d’un an ce délai sur décision du parquet. De même, les enquêtes préliminaires en matière de délinquance ou de criminalité organisée et de terrorisme seront limitées à un délai de trois ans avec la possibilité de proroger ce délai de deux ans.

Kiril Bougartchev. Cette limitation de durée n’apporte pas de réel changement. La pratique permettra de contourner ces délais. Les procureurs pourront par exemple retarder le premier acte d’investigation et, par conséquent, gagner du temps voire recourir à l’émission de demandes d’entraide internationale pour suspendre le délai d’enquête ou bien requalifier les agissements allégués en actes de délinquance ou de criminalité organisée pour bénéficier du régime dérogatoire. Il s’agit là d’une énième réforme en trompe-l’oeil.

Toujours dans le cadre de l’enquête préliminaire, l’article 77-2 du Code de procédure pénale prévoit de nouvelles modalités de communication du dossier pénal. Alors que le mis en examen était déjà en mesure de demander au Procureur de la République de prendre connaissance du dossier de la procédure afin de formuler des observations un an après avoir fait l’objet d’une audition libre ou d’une garde à vue, ce dispositif a été étendu à deux autres cas, à savoir les perquisitions réalisées plus d’un an auparavant et la mise en cause médiatique, à l’exception des affaires de terrorisme et de délinquance et criminalité organisée ainsi que dans le cadre de révélations émanant de la personne elle-même ou de son avocat.

"Les avocats attendaient du législateur l’institution de mesures qui changeraient réellement la pratique de la procédure pénale. Ces dispositions sont, pour la plupart, une consécration jurisprudentielle"

Cette extension est loin de renforcer les droits de la défense et d’accès au dossier. Il existera toujours un risque que l’autorité de poursuite use de son pouvoir discrétionnaire pour s’opposer à un tel accès. Là encore, cette mesure ne modifie pas réellement le dispositif actuel. Une autre disposition phare de la réforme qui était particulièrement attendue par la profession a été instituée par les articles 56-1 et 56-1-2 du Code de procédure pénale relatifs au secret professionnel de l’avocat.

Emmanuel Moyne. Si le secret professionnel de l’avocat tant dans son rôle de défenseur que dans celui de conseil est désormais inscrit à l’article préliminaire du Code de procédure pénale, le législateur a cru devoir édicter quelques exceptions à ce principe. La modification de l’article préliminaire est le fruit, nous a-t-on dit, de la volonté du législateur de revenir sur une jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui retenait une vision restrictive du secret de l’avocat en le limitant à sa seule fonction de défenseur.

Cependant, les articles 56-1 et 56-1-2 du Code de procédure pénale ont été rédigés de telle sorte que le secret professionnel de l’avocat ne sera pas opposable aux mesures d’enquêtes et d’instruction concernant les infractions de fraude fiscale, trafic d’influence, corruption et blanchiment de ces délits si les pièces transmises par l’avocat ou son client sont de nature à établir la preuve de leur utilisation aux fins de commission ou de facilitation de la commission desdites infractions.

La problématique qui se pose ici relève de l’interprétation qui sera faite par les magistrats de la Cour de cassation du nouvel alinéa 2 de l’article 56-1 du Code de procédure pénale faisant référence aux documents "relevant de l’exercice des droits de la défense" : l’opposabilité du secret couvrirait l’activité de conseil dans la seule hypothèse où les pièces relèveraient des droits de la défense.

Cette loi ne garantit donc pas une meilleure protection du secret professionnel de l’avocat mais, bien au contraire, consacre purement et simplement la jurisprudence de la chambre criminelle en conditionnant l’opposabilité du secret professionnel à la nature de la mission exercée par l’avocat dans le cadre de son dossier.

La réforme se caractérise également par une augmentation des peines prévues en cas de violation du secret de l’instruction. L’article 434-7-2 du Code pénal relatif au renforcement du secret de l’enquête et de l’instruction prévoit désormais une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende contre deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende jusqu’alors : le renforcement est indéniable mais rien ne changera si l’on persiste à ne pas poursuivre les auteurs de violation du secret de l’enquête et de l’instruction, lequel, au premier chef, a vocation à protéger la personne mise en cause.

"Les nombreuses exceptions aux exceptions ont pour conséquence de rendre encore plus complexe la pratique et ne contribueront nullement à améliorer la confiance dans l’institution judiciaire"

Le législateur a également tenté de rendre la justice plus accessible aux justiciables en permettant l’enregistrement et la diffusion d’audiences pour "un motif d’intérêt public d’ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique" à condition de satisfaire deux critères cumulatifs : la décision doit être définitive et les parties doivent avoir donné leur accord préalablement.

Les avocats attendaient du législateur l’institution de mesures qui changeraient réellement la pratique de la procédure pénale. Ces dispositions sont, pour la plupart, une consécration jurisprudentielle. Alors que la réforme avait également pour ambition de renforcer les droits de la défense, elle n’a fait que renforcer la déception des avocats au regard des dispositions adoptées qui, en pratique, n’équilibrent en rien la procédure pénale, les droits de la défense en demeurant le parent pauvre.

Kiril Bougartchev. Cette réforme pose un réel problème de fond en termes d’efficacité. Les nombreuses exceptions aux exceptions ont pour conséquence de rendre encore plus complexe la pratique et ne contribueront nullement à améliorer la confiance dans l’institution judiciaire.

Propos recueillis par Judith Polycarpe

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