Entre initiatives personnelles risquées et situation économique incertaine, les conseillers en gestion de patrimoine tiennent fermement la barre. Philippe Loizelet, président de l’Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine (ANCDGP), livre son retour d’expérience sur l’année 2021 et l’actualité du marché.

DÉCIDEURS. Après une année 2021 riche en rebondissements, quelles ont été les grandes tendances que vous avez observées ?

Philipe Loizelet. Il y a plusieurs points à observer. D’abord, sur les marchés financiers. Les indices ont battu des records au prix du retour de l’inflation. Ensuite, les clients semblent apprécier la mode des "cryptomonnaies". En effet, ceux-ci ont profité du confinement pour s’intéresser à ces actifs numériques, faisant passer en deux ans de 5 % à 17 % des épargnants français à en détenir. Cependant, "jouer aux cryptomonnaies sur son canapé" - car pour les clients c’est comme jouer au casino – s’accompagne de complications en matière de réglementation. Les conseillers en gestion de patrimoine ne peuvent pas aiguiller ou intermédier ces opérations, en plus de la difficulté de traçage des opérations. De plus, la numérisation des organisations bouleverse également la profession : les réunions avant la pandémie étaient moins fréquentes mais plus longues, quand aujourd’hui tout se fait par visioconférence. Plus courtes, plus rapides, cela nous permet d’être plus réactifs dans nos échanges et renforce la proximité avec la clientèle. Nous pensons toutefois que, lorsque la situation sanitaire le permet, il est nécessaire de trouver le bon équilibre entre rendez-vous physiques et virtuels, essentiels pour rappeler aux clients qu’ils ne doivent accorder qu’une confiance limitée au numérique et à ce qu’ils trouvent sur Internet. Enfin, les échanges interprofessionnels se font avec moins d’intermédiaires, ce qui simplifie les process.

"Des bulles commencent à apparaître"

La loi Pacte a instauré en France le statut de prestataire de services sur actifs numériques, quelles en sont les conséquences aujourd’hui ?

Les cryptoactifs ont fait une entrée remarquée et remarquable dans le patrimoine de nos clients. Ce qui m’inquiète, c’est le fait que le client ne les considère pas comme des actifs risqués. Juridiquement, il n’y a pas de statut permettant à un conseiller en investissements financiers qui soit régi par l’Autorité des marchés financiers (AMF) de proposer ces placements. Aujourd’hui, l’AMF a enregistré un certain nombre de Prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) rassemblés à l’ADAN. La question qui se posera ensuite sera sur la difficulté de savoir si nous pourrons les promouvoir ou les vendre en tant que CGP et, si oui, lesquels.

"Je pense qu’il faut continuer à contester jusqu’au bout les dérives actuelles du texte"

Quel est votre opinion sur la proposition de loi d’agrément des associations de courtiers d’assurance et d’intermédiation en opérations de banque ?

Nous considérons qu’agréer les associations est anticonstitutionnel puisque cela touche à la liberté de s’associer, l’État ne peut pas encadrer les associations. Nous ne sommes pas encore parvenus à mobiliser les parlementaires pour un recours sur ce sujet mais cela fait partie des grands sujets actuels. Les projets d’arrêtés reçus en fin d’année 2021 confirment nos inquiétudes, la loi et la directive interdisent à l’ACPR de déléguer ses mesures de contrôle. Or, si nous regardons les décrets de plus près, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) va obliger les associations à collecter un certain nombre d’informations. Si l’intermédiaire refuse ou ne remplit pas les documents demandés, il pourrait se voir radier par l’association. J’ai du mal à comprendre aujourd’hui comment une association censée ne pas avoir de pouvoir de sanction et de contrôle pourra sanctionner un membre de ne pas avoir collecté les informations demandées. Je pense qu’il faut continuer à contester jusqu’au bout les dérives actuelles du texte.

Quelles sont vos prévisions concernant le marché ?

Des bulles commencent à apparaître. Il y a eu trop d’argent investi dans les PME et les actifs sont actuellement très chers. Des fonds sont intervenus dans des entreprises peu expérimentées avec cette pratique, alors qu’avec la crise sanitaire celles-ci ont pris du retard pour faire ressortir ce capital. De plus, la résurgence de l’inflation pourrait amener à une augmentation des taux d’intérêt menaçant les entreprises les plus fragiles. Cette augmentation générale des prix, d’environ 3 %, ronge les rendements. Par exemple, l’immobilier neuf a un taux de rendement actuel de 3,5 % avec des loyers déjà négociés. Cela va donc challenger la valeur de l’immobilier. Après un cycle de 30 ans où les taux d’intérêt se réduisaient pour atteindre zéro et une inflation contrôlée, il va falloir apprendre aux clients la notion de risque, à comparer le couple rendement/risque des nombreuses classes d'actifs et à bien les répartir dans leur patrimoine.

Propos recueillis par Clément Redon et Marine Fleury

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