Élève-avocat à l’Hedac, Philippe-Olivier Lauriano do Rego nous livre son expérience en tant que jeune professionnel du droit en plein épisode de crise sanitaire. Par son témoignage, il précise également les contours des nouvelles aspirations professionnelles de la jeune génération d’avocats et de juristes, parfois en rupture avec celles de leurs prédécesseurs.

Décideurs. À l'ère du Covid et des confinements successifs, se former grâce à des stages et étudier n’a pas dû être une tâche simple. Quelle expérience avez-vous eue ? Quelle leçon en tirez-vous ?

Philippe-Olivier Lauriano do Rego. Cette pandémie nous a tous affectés de manière inédite. Les jeunes professionnels et étudiants en droit n’y ont pas échappé. Les universités n’ont eu d’autre choix que de s’adapter et de basculer très rapidement vers des cours en ligne. Les cabinets d’avocats et les entreprises ont également dû s’adapter à cette situation inédite, en même temps que les étudiants qui effectuaient leurs stages au sein de ces structures.

S’il faut évidemment saluer l’accélération de la numérisation de nos universités et des entreprises, avec l’adoption de pratiques que les générations Y et Z souhaitent voir pérennisées (télétravail, réunion sur Zoom ou Teams, digitalisation des closings), c’est malheureusement la formation de ces dernières qui n’a pas pu se faire dans des conditions idéales. Les étudiants, et notamment ceux en licence, ont rencontré les plus grandes difficultés à suivre leurs cours en ligne pendant quasiment toute une année. S’agissant des entreprises et des cabinets d’avocats, les associés et collaborateurs seniors ont souvent dû se concentrer sur les urgences liées aux mesures gouvernementales, laissant parfois de côté la formation pourtant nécessaire des jeunes professionnels du droit.

Étudiants et jeunes professionnels ont rapidement éprouvé le besoin de revenir à des relations et des échanges physiques. Toutefois, la possibilité du télétravail occasionnel est désormais un enjeu majeur pour les jeunes professionnels qui n’hésitent plus à poser la question des jours de télétravail dès l’entretien d’embauche. À titre personnel, je pense encore que le présentiel doit rester la règle et le télétravail l’exception car la distance fragilise les liens et la créativité. Notre travail est surtout le fruit d’un collectif. En définitive, il s’agit sûrement d’une question qui doit être traitée au sein de chaque équipe et en fonction des exigences des dossiers en cours.

Vous avez exercé dans plusieurs cabinets d’avocats (Gide, Simmons & Simmons et Hogan Lovells) ainsi qu’au sein d’une direction juridique d’entreprise (Axa Reims France). Comment contrastez-vous le monde de l’entreprise avec celui des professions libérales ?

Il me semble que ce sont des métiers assez différents mais bien évidemment complémentaires. Chez les avocats d'affaires, la tendance est à la spécialisation. Un client va voir un avocat pour avoir un avis d’expert et bénéficier de sa connaissance des pratiques du marché. Idéalement, cet expert travaillera avec d’autres avocats pour les domaines qu’il maîtrise moins.

En entreprise, l’éventail des problématiques juridiques auxquelles sont confrontés les juristes d’entreprise est très large. Certaines directions juridiques fournissent des conseils et un support juridique à toutes les entités et fonctions de leur groupe, en France et à l’étranger, dans de nombreux domaines. À titre personnel, j’ai été frappé par la diversité des tâches et des opérations qu’un juriste spécialisé dans les fonds d’investissement immobiliers peut être amené à traiter (structurations de fonds régulés ou non, transactions immobilières, négociations de contrats de service et suivis de contentieux). Je retiens que ces juristes évoluent dans un environnement au sein duquel les opérations sont de plus en plus complexes et les connaissances transverses. Il faudrait renforcer les passerelles entre ces deux métiers afin de permettre aux avocats de mieux connaître les besoins dits  « opérationnels » des entreprises.

Il se dit que les jeunes professionnels veulent tous une vie équilibrée. Est-ce votre sentiment ? Y a-t-il encore de la place pour de fortes ambitions professionnelles dans la jeune génération ?

Majoritairement, les nouvelles générations veulent davantage d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Elles ne veulent plus passer leur vie à essayer de la gagner. Beaucoup de jeunes professionnels quittent la profession d’avocat ou leur entreprise après seulement quelques années. Ils viennent chercher une formation, un nom sur leur CV. En réalité, il faut comprendre deux choses qui ne sont pas spécifiques au droit : le sentiment d’appartenance à une structure ou à une entreprise est moins fort que par le passé et les carrières sont moins linéaires. Les banques d’affaires et les cabinets d’audit ne font plus rêver les étudiants qui sortent des écoles de commerce. Beaucoup de jeunes professionnels préfèrent tenter l’expérience entrepreneuriale ou rejoindre une entreprise avec des valeurs fortes. Pour autant, il n’est pas possible de dire que toute une génération est moins ambitieuse, carriériste ou désireuse de travailler et il existe toujours de jeunes professionnels conscients que l’exigence de nos métiers requiert de sacrifier son temps libre. À titre personnel, j’ai accepté l’idée que je devrai inévitablement sacrifier beaucoup de soirées et de week-ends pour le cabinet que je rejoindrai en tant que collaborateur. Cette contrainte implique de bien choisir, dans la mesure du possible, la structure, l’équipe et le domaine dans lequel on sera amené à exercer. Ainsi, pour la majorité des jeunes générations, quitte à passer des nuits au travail, elle veut le faire pour un domaine qui les passionne ou pour lequel elle a engagement fort. D’ailleurs, les entreprises l’ont bien compris et afin de continuer à capter les jeunes talents, elles se sont adaptées et communiquent régulièrement sur leurs engagements. À ce niveau-là, il faut reconnaître qu’en France les cabinets d’avocats sont à la traîne. Même si de plus en plus d'événements sont organisés afin de rendre visibles les actions menées par les cabinets, il est plus difficile de s’y attacher. C’est donc aux cabinets de s’adapter aux candidats afin de continuer à attirer et fidéliser des talents devenus plus volatils.

Les employeurs se veulent plus inclusifs. Que reste-t-il à faire selon vous ?
Il existe évidemment quelques très rares exemples d’avocats associés de grandes structures issus de la diversité. Ces avocats, pour n’en citer que quelques-uns, qui travaillent chez Allen & Overy (Hervé Ekué), Cleary Gottlieb (Barthélémy Faye) ou encore ont créé avec succès leurs structures (Pascal Agboyibor avec Asafo & Co ou encore Mustapha Oussedrat avec KPMG Avocats) sont de véritables modèles de réussite individuelle. Mais en réalité sur ce sujet, en France les entreprises sont généralement en retard, les cabinets d’avocats le sont encore plus. Il y a quelques années, j'interrogeais (en off) des associés de cabinets anglo-saxons sur la question suivante : quelle est la proportion d’associées femmes et d’associés issus de la diversité dans votre cabinet ? Les cabinets sont conscients, depuis de nombreuses années, de la faible part d’associés femmes par rapport à la part de collaboratrices au sein de leurs structures et tentent de rétablir l’équilibre. En revanche, s’agissant des associés issus de la diversité, le sujet est plus tabou. Il est souvent conseillé de ne surtout pas aborder le sujet en entretien afin de paraître trop « revendicateur » alors qu’il s’agit d’un indicateur pour les candidats sur le fonctionnement et l’ambiance dans le cabinet. Dans tous les cas, c’est à la source qu'il faut agir en suscitant des vocations dès l'université afin que la diversité soit une réalité dans les cabinets (géographique, culturelle et sociale). Plusieurs cabinets anglo-saxons ont commencé à créer des programmes visant à promouvoir la diversité et l’inclusion sociale. Le chemin est encore long mais c’est déjà un bon début.

Dans les métiers du financement et de l’investissement, les pointes de travail, notamment à l’approche des closings, sont exigeantes. Quel est votre avis sur ce point ?

Cette question rejoint un peu celle de l’équilibre entre la vie privée et la vie personnelle. En rythme de croisière, les journées commencent vers 9h30 et finissent vers 21h. En revanche, à l’approche de closings, il y a souvent de nombreux documents à renégocier, modifier et à échanger jusqu’à la dernière minute. En tant que junior ou stagiaire, on a parfois l’impression d’avoir des tâches rébarbatives mais chacune d’entre elles doit être réalisée avec un certain niveau d’exigence. En période de closing, il n’est donc pas rare de partir après minuit, voire de passer la nuit au cabinet. C’est d’autant plus vrai en financement ou la mise à disposition des fonds est conditionnée à la levée de conditions suspensives (condition precedent) dont certaines ne peuvent pas avoir lieu avant la date de réalisation de l'opération. Il faut donc être disponible en permanence. Les 18 mois qui viennent de passer ont néanmoins vu de profonds changements s’opérer dans la manière d’organiser les closings. Les cabinets d’avocats n’ont pas eu d’autre choix que de réaliser ces opérations de façon dématérialisée, permettant ainsi de réaliser des gains de temps, de matériel et d’énergie car tout devait être prêt à l’avance. Je pense que cette pratique persistera car elle enlève une pression à ceux qui sont chargés de réaliser le closing.

Vous avez combiné des formations en droit et en école de commerce. L’interdisciplinarité vous a-t-elle servi dans votre début de carrière ?

D’abord, même si ce n’est pas un passage obligatoire au cours de ses études, les recruteurs apprécient beaucoup les doubles formations du type université et LLM/école de commerce. Il suffit de regarder les offres de stage ou de collaboration pour s’en rendre compte. D’un point de vue de l’expérience personnelle, je trouve également que c’est enrichissant de côtoyer des étudiants avec une formation et une méthode de travail différentes. Cela vous permet également d’approfondir vos connaissances en comptabilité et finance, d’être plus à l’aise sur les dossiers et en entreprise de poser des questions pertinentes aux opérationnels qui apprécient qu’on s’intéresse à leur métier.

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