Star du cabinet Cravath Swaine & Moore, Ting Chen nous parle de ses affaires les plus épineuses, nous explique comment garder les objectifs des clients à l'esprit et nous dit pourquoi elle n’est pas devenue chercheuse dans le domaine du changement climatique.

Décideurs Juridiques. Quelle est la transaction dont vous êtes la plus fière et pourquoi ?

Ting Chen. Je suis fière d’avoir conseillé White Mountains Insurance en 2015 pour la vente de sa filiale Sirius International Insurance à China Minsheng Investment. Il ne s'agissait pas d'une opération particulièrement importante ou spectaculaire, mais elle comportait de nombreuses questions complexes pour lesquelles nous avons trouvé des solutions innovantes. La cible avait par exemple une importante activité d'assurance excédentaire concernant les biens et les catastrophes naturelles. Ainsi, avec un prix d'achat basé sur un multiple de la valeur comptable à la date de clôture et le potentiel durcissement du marché de l'assurance à la suite d'événements catastrophiques, nous avons intégré un concept de "MAC inversé" (changement défavorable important). Avec ce système, notre client, le vendeur, avait un droit de sortie si les pertes issues de catastrophes de la cible atteignaient un certain seuil. Je ne suis pas sûre qu'il y ait d'autres transactions sur le marché mais l'acheteur n'en avait certainement jamais entendu parler.

Perdre de vue les objectifs principaux du client peut arriver lorsqu’on se laisse emporter par la dynamique de la transaction

Cette vente était également l'une des premières opérations impliquant un acheteur de la RPC. Nous nous sommes donc concentrés sur les questions de force exécutoire et de financement. De plus, la transaction nécessitait l’approbation du régulateur du domaine de l’assurance : nous avions donc besoin de garanties sur les contrôles potentiels et la situation financière de l’acquéreur. Pour protéger notre client, nous avons négocié un ensemble complet de déclarations et d’engagements à la charge de l'acheteur - y compris des déclarations sur les projets de documents réglementaires d'assurance que l'acheteur devait nous fournir avant la signature, des restrictions concernant la prise de participations de contrôle indirect de l’acquéreur et des engagements de maintien du capital – ainsi que des règles concernant le processus de règlement des différends basé sur l'arbitrage de la CCI et une lettre de crédit en garantie de l'exécution du contrat de l'acheteur. Grâce à la combinaison d'une compréhension approfondie de l'activité de la cible, d'un avocat avec de solides compétences techniques ainsi que d’une étroite collaboration avec le client et ses conseillers financiers, nous avons pu obtenir un résultat très avantageux pour notre client.

Quelle a été la transaction la plus difficile de votre carrière et quelles leçons en avez-vous tirées ?

L'un de mes accords les plus difficiles a été la fusion d'Avon avec Natura, une société brésilienne cotée au B3 qui était contrôlée par ses fondateurs. Cette transaction impliquait non seulement les complexités transfrontalières usuelles - nécessitant l’association de différentes lois sur les valeurs mobilières et la prise en compte des exigences qu’implique une cotation, de considérations fiscales, de contrôles des fusions et les régimes d'IDE - mais aussi des dynamiques actionnariales particulières de part et d'autre : les fondateurs contrôlants côté acheteur et actionnaires privilégiés du côté vendeur. En pleine négociation, le business nord-américain d'Avon a été vendu à une autre partie, introduisant de nouvelles problématiques dans notre transaction. Pour moi, cette opération a souligné l'importance d'être agile et pragmatique, de hiérarchiser les problèmes et de fournir des recommandations claires.

Quelle est la meilleure façon de gagner la confiance des grands patrons ?

Répondre non seulement aux questions qu'ils se posent, mais aussi à celles qu'ils devraient se poser.

Quels sont les principaux pièges à éviter dans le cadre de grandes opérations de fusions-acquisitions ?

Je pense que les meilleurs résultats ne peuvent être obtenus qu’avec une coordination et une collaboration étroites des équipes. La direction, les conseillers financiers et juridiques doivent travailler ensemble dans l'évaluation de la transaction ainsi que dans la définition de la stratégie de négociation et d'exécution. Les décideurs doivent également être bien préparés par leurs conseillers. Une coordination minutieuse de l'équipe de négociation est souvent plus difficile alors que c’est un point critique dans les grandes opérations de fusions-acquisitions. Un autre écueil à éviter est de perdre de vue les objectifs principaux du client, ce qui peut arriver lorsqu’on se laisse emporter par la dynamique de la transaction ou que l’on se retrouve bloqué par un manque de flexibilité.

Quelles sont les spécificités culturelles à prendre en compte pour mener à bien des fusions et acquisitions transfrontalières dans votre pays ?

La particularité de la culture de ma juridiction est son hétérogénéité : les États-Unis sont multiculturels. La culture varie considérablement selon la région, l'industrie et l'organisation particulière de chaque entité. Je pense que de ce fait, la plupart des organisations basées aux États-Unis savent faire preuve d’adaptabilité et sont à l’écoute des sensibilités culturelles de chacun dans les fusions-acquisitions transfrontalières. Elles sont habituées à négocier avec des entreprises aux cultures très différentes, même au sein d’une même région.

Si vous n'étiez pas devenu avocat, quelle autre profession pensez-vous que vous auriez exercée ?

J’aurais été chercheur dans le domaine du changement climatique, afin de développer des modèles sur la composition chimique de l'atmosphère. J'ai rédigé ma thèse universitaire sur la corrélation entre le CO2-CO-C2Cl4-CH3Cl-HCN et le CH4-C2H6-CO dans les panaches de pollution au large de l'Asie orientale.

Pouvez-vous énumérer les cinq plus grosses affaires que vous avez traitées et leur valeur ?

Conseil de British American Tobacco dans le cadre de sa fusion avec Reynolds American, 97 milliards de dollars (combinés valeur d'entreprise), 2017

Conseil de Kraft dans le cadre de la scission de son entreprise d'épicerie en Amérique du Nord, 30 milliards de dollars, 2012

Conseil de Thermo Fisher Scientific dans le cadre de son acquisition de PPD, 20,9 milliards de dollars, en attente

Conseil d'InterMune dans le cadre de sa vente à Roche, 8,9 milliards de dollars, 2014

Conseil d'Illumina dans le cadre de son acquisition de Grail, 8 milliards de dollars, en attente

Propos recueillis par Arjun Sajip

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