Paulo Cezar Aragão, associé fondateur du cabinet d'avocats brésilien BMA-Barbosa Müssnich Aragão, a joué un rôle de premier plan en tant que conseiller dans bon nombre des plus importantes transactions d'Amérique latine. Dans cet entretien, il aborde notamment les opérations déterminantes de sa carrière, les pièges à éviter en tant qu'avocat d'affaires haut de gamme et les sensibilités culturelles à prendre en compte dans la réalisation de transactions transfrontalières majeures.

Décideurs Juridiques. Quelle est la transaction dont vous êtes le plus fier et pourquoi ?

Paulo Cezar Aragão. Bien qu'il soit difficile de distinguer une opération en particulier après presque quarante ans d'activité dans le domaine des fusions-acquisitions, je suis très fier d'avoir dirigé l'équipe juridique du gouvernement fédéral brésilien lors de la privatisation de Telebras, la holding de télécommunications qui appartenait alors à l'État. À l'époque, Telebras ne comptait que 5 millions de lignes de téléphonie cellulaire. Elle a été vendue pour 19,2 milliards de dollars après avoir été scindée en douze compagnies de téléphone différentes. Aujourd'hui, nous avons plus de 200 millions de lignes de téléphonie cellulaire au Brésil et un système très moderne. Il m'a fallu près de deux ans de voyages hebdomadaires à Brasilia pour conclure cette opération, malgré la forte opposition des syndicats et de certains partis politiques qui a donné lieu à plus de 100 procès.

Il s'agissait d'un véritable défi impliquant une partie importante de notre cabinet d'avocats qui était à l’époque une petite structure. Cette expérience m'a toutefois beaucoup appris et m’a permis de transmettre certaines leçons aux jeunes avocats de notre enseigne ainsi qu’à travers les conférences auxquelles j’ai participé. Faire des transactions, c'est comme faire un film : un seul avocat finit sur scène pour recevoir l'Oscar – ou, dans le cas de Telebras, apparaît sur une photo emblématique qui est encore régulièrement publiée dans la presse chaque fois qu'il est question de l'évolution du système de télécommunications au Brésil – mais sans tous ces noms qui défilent au générique, il n'y aurait ni film ni Oscar.

Quelle a été la transaction la plus difficile de votre carrière et quelles leçons en avez-vous tirées ?

P. C. A.  Il s'agit probablement de deux transactions liées au secteur de la bière. La première a été la fusion de Brahma et Antarctica, deux concurrents centenaires sur le marché brésilien, qui a donné naissance à Ambev. La seconde a été la fusion entre Ambev et la brasserie belge Interbrew, ayant créé Inbev. À un moment donné, nous avions autour de la table des avocats de seize juridictions différentes. Une fois de plus, gardez à l'esprit que ces transactions sont possibles grâce au travail de qualité de l’équipe de BMA-Barbosa Müssnich Aragão qui a été fondamental.

De nombreux enseignements clés ont été tirés de ces transactions. Tout d’abord : ne pas avoir peur d'essayer ce qui n'a jamais été fait auparavant au Brésil, comme une fusion transnationale. Ensuite, essayer de voir les choses du point de vue du régulateur de votre pays et de ceux des autres pays. À cet égard, le fait d'avoir été l'avocat général de la Commission des valeurs mobilières et des échanges du Brésil m'a certainement beaucoup aidé. Il faut également être prêt à considérer les avions long-courriers comme votre seconde maison pendant un certain temps. J'ai personnellement passé deux ou trois nuits d'anniversaire dans un vol pour l'étranger ou dans une chambre d'hôtel. Enfin, il faut s’attacher à comprendre les subtilités des différents systèmes juridiques et à les faire "coexister" sur le papier. Par exemple, durant l'opération Ambev-Interbrew, nous avons préparé un "Incorporação Agreement", car le mélange des langues était le seul moyen de l'exprimer. Cette transaction a été suivie de près par la démutualisation de la Bourse de São Paulo (Bovespa). Ensuite, Bovespa, alors société publique, et BM&F, la Bourse des contrats à terme et des marchandises, ont fusionné. Cette nouvelle entité, BM&FBovespa a enfin fusionné avec Cetip, une société de gré à gré, créant l'actuelle Bourse de São Paulo, B3.

L'un des principaux enseignements que j’ai tirés de nombreuses transactions est que la connaissance de la loi ne suffit souvent pas. Des connaissances en comptabilité, en particulier maintenant que le Brésil utilise les normes IFRS, et en finance d'entreprise sont fondamentales pour les avocats spécialisés dans les fusions-acquisitions. Sans savoir ce que sont le bêta, le DCF, le TRI, l'Ebitda ou le Wacc, il sera difficile, voire impossible, de suivre certaines discussions fondamentales sur les prix et les contrats. De plus, surtout au Brésil où les grosses transactions sont généralement réalisées par des sociétés publiques, il est fondamental d'avoir une connaissance approfondie des réglementations en constante évolution de la CVM, la commission brésilienne des valeurs mobilières et des échanges, et pour les transactions internationales, d'une demi-douzaine d'autres organismes de réglementation. Sans oublier que le plus souvent, la structure des transactions tient également compte des réglementations fiscales qui évoluent elles aussi constamment : l’objectif est d'utiliser le meilleur montage juridique en tenant compte de ces réglementations. De plus, celui-ci doit non seulement être conforme aux jurisprudences fiscales actuelles, mais aussi à ces potentiels changements.

Faire des transactions, c'est comme faire un film : un seul avocat finit sur scène pour recevoir l'Oscar, mais sans tous ces noms qui défilent au générique, il n'y aurait ni film ni Oscar

Cependant, les choses changent au Brésil. De plus en plus de grandes sociétés publiques évoluent sans actionnaires majoritaires, ce qui ouvre la voie à des prises de contrôle hostiles comme lors de la récente bataille pour le contrôle d'Eletropaulo, la compagnie d'électricité de la ville de Sao Paulo, dans laquelle nous avons représenté la société dans sa lutte pour augmenter le prix offert de près de 200 %. Dans de tels scénarios, il faut suivre de près les pratiques en vigueur en dehors du Brésil, notamment concernant les obligations fiduciaires des membres du conseil d'administration, les mécanismes d'offres concurrentes, etc.

Quelle est la meilleure façon de gagner la confiance des grands patrons ?

P. C. A.  Tout d'abord, en comprenant que vous êtes un avocat et non un homme d'affaires. Le fait d'avoir été directeur général de l'une des plus grandes et plus anciennes sociétés de capital-investissement du Brésil m'a appris la différence de perspectives. Les avocats signalent les risques tout en essayant de ne pas les transformer en catastrophe ; les hommes d'affaires, eux, décident des risques à prendre. Gagner leur confiance prend des années et même une fois gagnée, elle peut disparaître à jamais en une seule transaction. De plus, lorsque vous êtes un avocat spécialisé dans les fusions-acquisitions, que vous passez du secteur aérien aux institutions financières, des opérations boursières au commerce de détail et à l'industrie chimique, il est important d'essayer de comprendre l'activité de votre client, en ce qui concerne les problématiques juridiques qu’elle soulève.

Quels sont les principaux pièges à éviter dans le cadre de grandes opérations de fusions-acquisitions ?

P. C. A. Il faut tenir compte du fait qu’il n'existe pas deux accords identiques et que l'avocat de la partie adverse n'est pas votre ennemi, mais quelqu'un qui essaie d'accomplir la même chose que vous d'un point de vue différent. Plus l'avocat de la partie adverse est bon, mieux c'est pour vous et votre client. Il est également crucial de rédiger des accords qui, bien qu'ayant été discutés et rédigés au petit matin un dimanche, seront compris par un tribunal arbitral des années plus tard. Surtout car les contrats sont généralement des dérivés de formulaires standards utilisés par les cabinets, ils ont donc tendance à être très similaires.

Quelles sont les spécificités culturelles à prendre en compte pour mener à bien des fusions et acquisitions transfrontalières dans votre pays ?

P. C. A.  Le Brésil est un pays de droit civil. En tant qu'avocat brésilien, vous travaillerez le plus souvent avec des avocats et leurs clients d’un pays de common law, comme les États-Unis ou l'Angleterre. Nos accords de fusions-acquisitions ressemblent de plus en plus à des traductions d'accords de droit new-yorkais et sont donc de plus en plus longs. S’ils sont toujours régis par le droit brésilien, de nombreuses choses se perdent tout de même lors de la traduction du contrat, ce qui revient dans certains cas à manger avec une baguette et une fourchette. Lorsque j'ai commencé à travailler sur des opérations de M&A nationales, les accords faisaient tout au plus 15 à 20 pages. Aujourd'hui, même sans les diverses annexes, pièces jointes, pièces à conviction, etc., ils font des centaines de pages. Dans de nombreux cas, ils reprennent des dispositions qui se trouvent déjà dans notre Code civil, car une grande partie du droit privé n'est pas codifiée dans les juridictions de common law.

La meilleure façon de gérer les différences culturelles est de connaître, dans la mesure du possible, la langue de vos homologues et de leurs pays

À mon avis, la meilleure façon de gérer les sensibilités culturelles est de connaître la langue de vos homologues dans la mesure du possible. S'adresser à vos homologues dans leur langue maternelle, même avec un fort accent, crée un lien sans égal et vous permet de mieux connaître leur façon de penser. Connaître leur culture et leur histoire permet de comprendre la toile de fond de leur comportement. Par exemple, pour la conclusion d’un accord avec des entreprises chinoises, japonaises et coréennes, nous avons dû effectuer ce qui était probablement l'un des voyages les plus courts jamais réalisés en Asie. Le but était de trouver un compromis qui tenait compte de leur vision, probablement empreinte d’une tradition vieille de plusieurs siècles. D'autre part, étant originaire d'un pays où les gens sont généralement très communicatifs, vous devez vous habituer au fait que ce trait de personnalité n'existe pas nécessairement dans d’autres pays. Rien n'est plus préjudiciable à une bonne relation d'affaires avec, par exemple, des hommes d'affaires asiatiques que d'oublier qu'ils sont extrêmement formels et qu'ils attendent de vous que vous respectiez cette norme.

Si vous n'étiez pas devenu avocat, quelle autre profession pensez-vous que vous auriez exercée ?

P. C. A. Mes deux parents étaient avocats et depuis l'adolescence, j'avais décidé d’en devenir un également. Je n'ai donc jamais envisagé sérieusement de faire autre chose, sauf lors de mon court passage en tant que directeur général d'une société de capital-investissement. Après quelques années, il est apparu clairement que j'étais plus heureux en tant qu'avocat. J'ai donc décidé de m'externaliser et de continuer à travailler pour cette société de capital-investissement, mais depuis un cabinet d'avocats. Je travaille d’ailleurs toujours avec cette entreprise avec mes partenaires de BMA, après plus de vingt ans.

Il faut parfois des années pour obtenir la confiance d’un client et une seule affaire pour la perdre à jamais

Pendant les dix premières années de ma carrière, j'ai aussi été professeur de droit de la procédure civile : on me demande encore aujourd'hui si le Paulo Aragão qui a écrit plusieurs livres et articles sur la procédure civile est un parent. Le fait de devoir être à un certain endroit, à une heure précise, deux fois par semaine pendant un an n'est cependant pas compatible avec les horaires et les déplacements d'un avocat spécialisé dans les fusions et acquisitions. Avant la pandémie, j’avais l'habitude de voyager à l'étranger plus de douze fois par an. Je pourrais dire que j'aurais pu être chef d'orchestre, vu mon amour de la musique classique, ou golfeur professionnel – même amour, même manque de talent –, mais dans les deux cas, cela aurait été un échec total.

Propos recueillis par François Legrand

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