Chair et senior partner de Herbert Smith Freehills jusqu'en mai dernier, James Palmer est l'un des experts du M&A les plus connus et reconnus au Royaume-Uni. Dans une interview exclusive, il résume les 35 années passionnantes qu'il a passées au sein de la firme du Silver Circle et en extrait les anecdotes les plus cocasses.

Décideurs Juridiques. Quelle est la transaction dont vous êtes le plus fier et pourquoi ?

James Palmer. Difficile à dire. J'étais très fier d'avoir aidé à défendre, en tant qu'associé en 1989, BAT Industries contre une offre publique d'achat de 13 milliards de livres par Hoylake Investments de Sir James Goldsmith, la plus importante offre hostile du monde à l’époque. Le dossier était incroyablement compliqué car il impliquait une défense face à l’offre en question, mais aussi la conception d'une nouvelle stratégie ayant comme conséquence de multiples cessions. Personne ne s'en souvient aujourd’hui, mais à l'époque, c'était un événement marquant. J'avais déjà fait quelques appels d'offres publics, mais rien de comparable à celui-ci.

Dans une autre affaire, nous conseillions une entreprise d'énergie au Royaume-Uni qui devait fermer une part importante de ses activités en raison d'intérêts étrangers détenus par un État sanctionné. La stratégie que nous avons conçue avec le client a abouti à des modifications de la législation au Royaume-Uni, aux États-Unis et dans l'Union européenne, ce qui a permis à l'entreprise de reprendre ses activités et de les valoriser. Je suis fier de cette victoire car personne ne pensait que l'on pouvait faire changer la loi pour résoudre un problème commercial fondamental. Nous avons persuadé le client que c'était la bonne approche à adopter et avec l'aide d'autres personnes, nous avons réussi à faire changer une loi qui nous semblait illogique, ce qui a été gratifiant et intéressant.

Nous avons réussi à faire changer une loi qui nous semblait illogique

Il n'y a pas une seule affaire dont je sois exceptionnellement fier. J'aime la nouveauté et je suis constamment excité par ce qui nous attend dans le futur. J'ai été incroyablement gâté dans mon travail et j’ai eu beaucoup de chance en ce qui concerne les occasions qui m'ont été offertes au fil des années. Certains des accords dont je suis le plus fier n'ont pas toujours été très médiatisés, mais ils ont, je crois, beaucoup apporté au client concerné. Plus je vieillis, plus il est important que je me sente utile, sans tenir compte de la valeur de l’opération ou du profit qui en est tiré.

Quelle a été la transaction la plus difficile de votre carrière et quelles leçons en avez-vous tirées ?

J. P.  Je vais vous donner une anecdote légère et une plus sérieuse. Il y a des années, alors j'étais un collaborateur senior d'une vingtaine d'années, j'ai fait une petite opération de M&A où nous aidions le propriétaire de deux entreprises (une de logistique et une autre dans l’immobilier) à vendre son activité immobilière à un investisseur. Notre client avait une position très faible dans la négociation et voulait désespérément conclure un accord. L'acheteur n'arrêtait pas de renégocier et de nous intimider pour changer des détails. J'ai défié le mandant – un ancien boxeur de foire d'une soixantaine d'années qui dirigeait des salles de billard dans sa juridiction d'origine – et j'ai refusé de lui concéder un point devant le client. Le type a perdu la tête et a dit : "Vous n'avez pas le droit de refuser ce point. Je vais te briser tes putain de rotules !" C'était comme dans une comédie : imaginez un homme de 65 ans qui poursuit un jeune de 20 ans autour de la table jusqu'à ce qu'il soit finalement calmé par son fils. Et je vous assure que j'ai été très poli tout du long ! Je n'ai jamais été impoli dans les négociations, j'ai simplement refusé de concéder un point.

Plus je vieillis, plus il est important que je me sente utile

Plus sérieusement, en tant qu'associé junior au milieu des années 1990, j'ai représenté les souscripteurs – dirigés par Barclays de Zoete Wedd (l'ancêtre de la banque d'investissement de Barclays) et Kleinwort Benson – dans le cadre de la privatisation des Gencos britanniques, qui produisaient la majeure partie de l'électricité du pays. Les avocats de chez Slaughter and May, William Underhill et Charles Randell – Charles Randell est aujourd'hui président de la FCA, et tous deux sont devenus mes amis –, conseillaient le gouvernement. Les aspects de politique publique, en plus des objectifs commerciaux et de la pratique du droit, ont rendu cette transaction fascinante. Il s'agissait d'une offre de distribution énorme. Dans les quarante-huit heures qui ont suivi le lancement de l'opération, une révision réglementaire s'est produite et a causé une chute massive du prix de l'action, en dessous duquel nous venions de vendre : environ 4,5 milliards de livres. L'opération était inconditionnelle et les actions avaient été vendues, mais pas payées. En bref, il s'est avéré que certaines personnes du gouvernement savaient que ce risque de révision réglementaire pouvait se réaliser, mais ne l'avaient pas révélé dans le prospectus. Il a donc fait l'objet d'un examen approfondi qui a duré un an.

Il est intéressant de constater de quelle façon différentes personnes se comportaient sous une pression intense

J'ai beaucoup appris en concluant une transaction qui a été examinée comme un litige le jour suivant. Lorsque cela s'est produit, cette privatisation qui a mal tourné a fait la une des journaux. Les politiciens étaient critiques et sur la défensive. Tout s'est bien passé, personne n'a intenté de procès ou perdu son emploi, mais ça a été révélateur de constater de quelle façon différentes personnes se comportaient sous une pression intense. Certains ont tenu bon, d'autres ne s'en sont pas remis. Tous les avocats étaient calmes, réfléchis et professionnels, ce qui n'est pas toujours le cas lorsque des reproches sont lancés. Cela a donc renforcé notre idée selon laquelle lorsque les autres se rejettent la faute entre eux, il faut s'en tenir à la vérité et ne pas fuir ses responsabilités. Le cabinet Herbert Smith Freehills m'a apporté un soutien incroyable dans cette affaire. Ce contrat m'a permis d'être considéré comme un expert des marchés de capitaux et m'a amené à travailler sur des réformes réglementaires. J'ai beaucoup appris sur les politiques publiques et les questions de réglementation, deux domaines dans lesquels je me suis plongé depuis.

Quelle est la meilleure façon de gagner la confiance des grands patrons ?

J. P. Chaque personne est différente. Je pense que vous devez vous mettre à leur place, comprendre ce qui les inquiète et ce qui est important pour eux : comprenez leurs objectifs, mais ne les suivez pas sans réfléchir, car ils peuvent parfois être améliorés ou au contraire leur causer des problèmes. Montrez que vous comprenez le contexte dans lequel s'inscrit votre travail. Les avocats ont un parti pris : leur ligne de conduite la plus importante est la loi. Les hommes d'affaires ne fonctionnent pas selon ce point de vue, mais il est essentiel de voir où les deux visions s'alignent. Il est également crucial de dire la vérité : de manière constructive, sans porter de jugement, en signalant lorsque vous pensez qu'ils pourraient faire quelque chose de plus efficace. Ne vous contentez surtout pas de dire ce qu'ils veulent entendre. Dans tous les domaines, y compris le droit, il y a des gens qui ne sont pas à l'aise lorsqu'il s'agit de dire des choses importunes, mais je n'ai jamais hésité à le faire. Avertir ses clients des problèmes, des questions de responsabilité ou d'infractions permet de gagner leur confiance.

Quels sont les principaux pièges à éviter dans le cadre de grandes opérations de fusion-acquisition ?

J. P. Ne pas comprendre le contexte, ne pas dire la vérité. Balayer les problèmes sous le tapis est presque toujours une mauvaise idée, il faut être honnête sur les défis à relever dès le début. Le manque de planification et de stratégie est également un piège : il ne faut pas traiter un dossier comme un simple projet où il suffirait de suivre un modèle classique. En réalité, chaque affaire concerne un contexte et une activité uniques nécessitant une construction spécifique.

Les bons avocats spécialisés dans les M&A sont de bons conseillers, mais aussi de grands thérapeutes

Les bons avocats spécialisés dans les M&A sont de bons conseillers, mais aussi de grands thérapeutes. Les parties discutent entre elles en pensant qu'elles se sont mises d'accord sur tout alors qu'en réalité, il y a de véritables malentendus. Je crois à la théorie de la mauvaise communication, pas à celle de la conspiration : chaque partie voit les choses de son propre point de vue et n’essaye pas forcément d'induire délibérément en erreur son homologue. En tant qu'avocat, il faut être à l'aise avec le malentendu. Il faut rester calme, envisager tous les points de vue pour trouver comment résoudre les problèmes.

Vouloir à tout prix marquer des points – que vous soyez avocat, banquier, directeur d'école ou toute autre personne souhaitant prouver qu'elle est la personne la plus intelligente de la pièce – est également à proscrire. Cette impulsion est compréhensible, mais elle n'est pas constructive lorsque vous essayez de faire bouger les choses, les vrais négociateurs se concentrent sur l'aide à apporter et non sur la démonstration de leur intelligence ou de leur ténacité, même si beaucoup d’avocats ne pensent pas de cette façon. Je l'ai observé dans de nombreuses transactions entre le Royaume-Uni et les États-Unis, mais ce n'est pas un trait américain, c'est un trait de Wall Street et ça peut même être un trait londonien. N’importe qui peut sembler lourd, naïf et présomptueux : personne n'a une vision parfaite. J'ai passé tellement d'années à travailler en face d'avocats du monde entier qui essayaient de montrer à leur client à quel point ils étaient durs.

N’importe qui peut sembler lourd, naïf et présomptueux : personne n'a une vision parfaite

Je me souviens d'une situation où je travaillais avec un collègue très sympathique, en face d'une personne de ce type. À un moment donné, mon collègue s'est tourné vers moi et m'a dit totalement perplexe : "Peut-être qu'il n'a juste... rien d'autre à faire ?" Une grande partie du succès d'un avocat réside dans sa capacité à établir des relations de confiance : si nous n'avons pas la confiance de notre homologue et de notre client, nous ne réussirons pas. En Italie, par exemple, les gens peuvent être incroyablement grossiers dans les négociations. Ce n'est pas personnel, mais les discussions sont bruyantes et souvent amusantes. Ces impressions de profonde indignation et d'inimitié permanente sont fabriquées, tout le monde va boire un verre ensemble après coup. Ceux qui ont une approche plus conflictuelle pour conclure des accords se heurteront à des obstacles.

Quelles sont les spécificités culturelles à prendre en compte pour mener à bien des fusions-acquisitions transfrontalières au Royaume-Uni ?

J. P.  Il existe des différences culturelles entre chaque juridiction. Herbert Smith Freehills opère dans des dizaines d’entre elles et, croyez-moi, on ne cesse jamais d'apprendre sur les différences culturelles ! Mais elles n'existent pas seulement entre les pays, on les ressent aussi entre les personnes, les équipes et les entreprises : les différences sont énormes au sein même du Royaume-Uni. Il s'agit d'écouter les gens et d'être inclusif. En substance, les accords portent sur une vérité humaine évidente : à quel point des personnes qui vivent un contexte identique peuvent voir les choses différemment. Plus on comprend cela, mieux on peut aider les clients. J'aime le défi juridique et intellectuel du métier d'avocat, mais le relier à l'aspect humain est infiniment fascinant.

Si vous n'étiez pas devenu avocat, quelle autre profession pensez-vous que vous auriez exercée ?

J. P.  La vérité est que j'ai failli ne pas devenir avocat. J'ai passé mon diplôme de droit en ayant d’excellentes notes et d’autres plutôt mauvaises. Cependant, j’ai abandonné le cours final de mon école de droit au milieu des années 1980, je détestais apprendre les choses par cœur. Ayant grandi en Asie, j'ai décidé d'enseigner l'anglais comme langue étrangère et je prévoyais d’aller au Japon pour y apprendre le japonais.

À la dernière minute, mon père m'a persuadé de passer mes examens. Mon père était gentil, attentionné et compatissant. Même s’il était déçu, il m'a dit que le but n'était pas forcément de devenir avocat, mais d'aller jusqu'au bout de ce que j'avais commencé. Lorsque j'ai reçu mes résultats quatre ou cinq mois plus tard, j'ai supposé que j'allais perdre mon emploi au sein du cabinet et partir au Japon pour apprendre le japonais et ensuite travailler pour une grande entreprise asiatique. Mais je m’en suis sorti. Il ne faut pas avoir peur de faire des erreurs et en tirer des leçons.

Pouvez-vous énumérer les cinq plus grosses affaires que vous avez traitées et leur valeur ?

J. P. J'ai eu la chance de travailler sur des dizaines de transactions d'une valeur de plusieurs milliards de livres, avec des niveaux d'implication variables. Parmi celles dans lesquelles j'ai été le plus impliqué, on retrouve :

Conseil d'AbbVie sur sa proposition de rachat de Shire, 55 milliards de dollars, 2014.

Conseil de British American Tobacco pour son rachat de Reynolds American, 49 milliards de dollars, 2017.

Conseil de Resolution sur son projet de fusion avec Friends Provident, pour un montant de 8,6 milliards de livres sterling, et sur l'offre hostile de Pearl et l'offre concurrente qui ont suivi d’une offre hostile de Pearl et offre concurrente de Standard Life, 2007

Conseil de Fortune Brands sur l'offre de rupture pour Allied Domecq (probablement pas l'une de mes plus grandes, mais l'une des plus compliquées), 7,4 milliards de livres sterling, 2020.

Conseil de British American Tobacco lors de sa fusion avec Rothmans, 13 milliards de livres sterling (valeur d'entreprise combinée), 1999.

 

Propos recueillis par Arjun Sajip

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