Sophie Musso, associée fondatrice de Proetic, revient sur les motivations qui l’ont conduite à la création du cabinet de conseil en conformité, éthique et droits humains en 2019. Elle s’exprime sur le positionnement de la France en matière de lutte contre la corruption et livre ses sentiments sur les recommandations formulées par la mission d’évaluation de la loi Sapin 2, quatre ans après son entrée en vigueur.

Décideurs. Vous avez été avocate et directrice compliance anticorruption et antifraude d’un groupe international pendant de nombreuses années. En quoi cette riche expérience a-t-elle été déterminante pour la création de Proetic ?

Sophie Musso. Le sens du service, la relation avec le client et la recherche des meilleures solutions pour répondre à ses besoins m’ont profondément marquée durant mes quinze années de barreau. Ce sont des expériences qui ont beaucoup contribué à mon envie de créer Proetic. Mon expérience de directrice compliance anticorruption et antifraude du groupe Total m’a apporté une vision opérationnelle et pragmatique de la compliance. Ce parcours diversifié participe à l’approche opérationnelle de Proetic, toujours adaptée à la configuration de nos clients, en termes de taille, secteur, ressources, gouvernance et maturité.

Comment le cabinet se démarque-t-il dans un marché de plus en plus concurrentiel ?

Par cette approche opérationnelle. Parce que nous avons nous-mêmes, expérimenté les domaines de la conformité et  de la RSE en entreprise. Tous les consultants qui travaillent au sein du cabinet ont eu auparavant une expérience dans une équipe conformité ou éthique dans une société. Nous avons tous été confrontés aux difficultés que peuvent rencontrer les responsables éthique ou conformité et nous avons tous été amenés à parler avec les autres fonctions – RH, Finance, Audit… – qui participent au déploiement des programmes de conformité, avec le "business" et avec les instances dirigeantes. Nous connaissons les biais, les freins et les attentes. C’est ce qui fait la différence avec les traditionnels cabinets de conseil.

À partir de là, nos propositions sont toujours construites en prenant en compte ce qu’il est possible de faire à un moment précis. Cela est dès lors très varié. Ainsi, nous conseillons des groupes pour construire leur programme à l’issue d’un contrôle de l’Agence française anticorruption en reprenant tous les piliers de la loi Sapin 2. Mais nous accompagnons également nos clients uniquement dans le cadre d’une cartographie des risques pour une filiale localisée à l’étranger par exemple. Nous allons aussi réaliser des ateliers avec l’ensemble des collaborateurs d’une société qui souhaite se doter dans un premier temps d’une charte éthique afin de faire émerger les valeurs qui les unissent. Nous prenons ainsi le temps d’identifier et de formaliser chacun de leur besoin afin d’aboutir à la solution la plus adéquate et en accord avec leur business model.

"Nous développons notre offre conformité dans le secteur de la santé et des problématiques RGPD data protection en renforçant nos équipes"

Quelles sont vos perspectives de développement dans les années à venir ?

Notre ambition est d’être le cabinet de référence en matière d’éthique et de conformité ! Nous sommes un petit cabinet par rapport aux big mais nous sommes sans doute l’une des plus grandes équipes de spécialistes et d’experts sur ces sujets. Avec l’arrivée de Camille Autran, qui était CCO et DPO chez Alcon avant Novartis, nous développons d’ailleurs notre offre conformité dans le secteur de la santé et des problématiques RGPD data protection en renforçant nos équipes. Mais si nous continuerons à grandir, nous souhaitons rester un cabinet à taille humaine. Nous sommes très attentifs à la qualité des relations et d’épanouissement de notre équipe. Il est important de veiller à recruter des profils en accord avec nos valeurs communes comme le respect ou la bienveillance.

Proetic a pour objectif de placer l’éthique au coeur du fonctionnement des entreprises. Aujourd’hui, est-il encore pertinent de parler de la compliance sans évoquer l’éthique ?

Ces deux notions tendent à être de plus en plus interconnectées bien que la distinction subsiste. Certains concepts liés à l’éthique et traditionnellement assimilés à la soft law intègrent aujourd’hui le domaine de la compliance et de la hard law. Ce basculement s’illustre par exemple à travers le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordres consacré par le législateur en 2017, mais également au sein de l’Union européenne qui va vers l’adoption d’une réglementation dont la teneur se rapproche de la législation française. Autre illustration liée à la question des droits humains qui est de plus en plus prise en compte dans les évaluations des tiers, limitées il y a peu aux risques de corruption et de sanctions internationales. Il s’agit de mieux maîtriser sa supply chain et de limiter les risques d’être impactés par des agissements non éthiques de sous-traitants ou de fournisseurs.

"Certains concepts liés à l'éthique et traditionnellement assimilés à la soft law intègrent aujourd'hui le domaine de la compliance et de la hard law"

La France est classée au 23e rang selon l’indice de perception de Transparency International, soit le même rang qu’en 2015. Comment expliquez-vous ce positionnement en dépit d’un progrès législatif remarquable en matière de lutte contre la corruption avec la loi Sapin 2 ?

Si la loi Sapin 2 est une avancée remarquable en matière de lutte contre la corruption, on peut se demander toutefois si les poursuites judiciaires en la matière sont suffisantes pour que la France puisse être considérée par l’OCDE comme un pays traitant de ce sujet sans tabou et de façon suffisamment engagée. D’ailleurs, lorsque nous élaborons des cartographies, la perception des risques de corruption est parfois encore plus éloignée de cet indice de perception, dans le sens où les risques de corruption concernent souvent les autres ! Des progrès sont encore à faire pour admettre que les risques éthiques existent pour tous les acteurs économiques.

Plus de quatre ans après l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2, une mission d’évaluation a formulé récemment 50 recommandations, dont une réorganisation institutionnelle en transférant les missions de conseil et de contrôle de l’AFA à la HATVP. Qu’en pensez-vous ?

Dresser un bilan de la loi Sapin 2 s’avère effectivement utile pour faire progresser les actions de l’Agence française anticorruption, certaines entreprises n’étant toujours pas au diapason avec les exigences de conformité prévue par ce texte législatif et de nombreuses difficultés ayant été identifiées en particulier lors des contrôles. Néanmoins, penser une telle réorganisation me semble encore prématurée. Il faut laisser selon moi le temps à l’AFA de s’installer dans le paysage réglementaire français, comme en son temps l’AMF ou la DGCCRF. Le risque d’une réorganisation trop rapide, pleine de bonnes intentions bien entendu, pourrait être de donner un coup d’arrêt aux travaux déjà menés et à la place construite notamment en matière de conseil. Il nous a fallu du temps depuis sa création pour en comprendre son fonctionnement et en voulant faire mieux, puisque par définition il y a de nombreuses sources d’insatisfactions, on risque de perdre les bénéfices de ce qui marche. Continuons plutôt à oeuvrer à une approche plus pragmatique de l’AFA lors des contrôles par exemple, ce qui est bien la tendance aujourd’hui grâce à la mobilisation notamment des organisations professionnelles et de l’écoute des agents de cette agence.

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