Lancé fin 2020, le fonds ELEVA Sustainable Impact Europe est le dernier-né d’ELEVA Capital. À la barre, nous retrouvons Sonia Fasolo et Matthieu Détroyat, gérants de portefeuilles spécialisés ESG et impact, qui reviennent sur les tendances du secteur et le déploiement de l’impact au sein de la société de gestion.

Décideurs. Quelles sont les dernières évolutions en matière d'investissement socialement responsable (ISR) ?

Sonia Fasolo. Selon l’étude Global Sustainable Investment Alliance, l’investissement responsable est en croissance de 15 % entre 2018 et 2020. Étonnamment l’Europe est en baisse, certainement à cause des définitions plus strictes. Les stratégies d’exclusion, qui se taillaient jusqu’alors la part du lion, laissent place à l’intégration des critères ESG et aux thématiques responsables, signes d’un marché plus mature qui devient plus sophistiqué. En Europe, la catégorie « impact » monte en puissance.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), dont certaines dispositions sont entrées en vigueur le 10 mars 2021 ?

S. F. La SFDR cherche à ce que tous les acteurs jouent avec les mêmes règles afin, notamment, d’éviter le greenwashing. Sa finalité est de financer la transition écologique et d’accroître la transparence. En tant que gérants d’actifs, nous sommes concernés par la taxonomie, le règlement Disclosure  ̶  avec les fameux articles 6, 8 et 9  ̶  et les benchmarks (qui concernent davantage la gestion passive).

On a longtemps opposé ISR et performance, avec le recul quelle en est la réalité ?

Matthieu Detroyat. Il y a quelque temps, un investisseur pouvait avoir le sentiment de faire une bonne action mais en faisant un trait sur la performance. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Nous envisageons l’impact et l’investissement responsable que s’ils sont combinés avec une bonne performance financière. De nombreuses études académiques ont montré que sur la durée, les entreprises responsables surperforment assez nettement celles qui le sont moins.

"Nous envisageons l’impact et l’investissement responsable que s’ils sont combinés avec une bonne performance financière"

S. F. L’université de New York a examiné plus de mille études publiées entre 2015 et 2020 sur ce sujet. Il en ressort que dans 71 % des cas, il existe une corrélation positive ou neutre entre performance financière des entreprises, prises individuellement, et leur profil ESG. La relation est négative dans seulement 8 % des cas. Notons que les principaux facteurs de performance de ces entreprises sont la gestion du risque et l’innovation. Si l’on observe les performances de fonds responsables, les parts de corrélation positives ou neutres, et négatives, sont respectivement de 59 % et 14 %. On peut en déduire qu’investir en fonds ISR ne suffit pas et que la capacité du gérant à aller au-delà de l’ESG est déterminante. L’étude souligne aussi que la gestion ESG fonctionne très bien en période de baisse de marchés.

Les critères ESG suffisent-ils à rendre un investissement responsable ? Qu'est-ce qui différencie un fonds à impact d'un fonds ISR ?

S. F. Ce qui compte en premier lieu ce sont les sujets les plus « matériels ». Ensuite, il y a encore une confusion entre les pratiques d’une entreprise et ses produits. Un producteur d’alcool peut, par exemple, avoir de bonnes pratiques ESG.

M. D. À l’inverse, un constructeur d’éoliennes peut en avoir de mauvaises. Nous notons et filtrons les entreprises après l’analyse de cinq parties prenantes : actionnaires, salariés, société civile, planète et fournisseurs. Une fois cette première sélection effectuée, nous appliquons un filtre impact à travers la quantification de la contribution des sociétés aux objectifs de développement durable (ODD).

S. F. Aujourd’hui, le curseur se déplace en matière d’attentes du client retail, sur ce qu’il souhaite ou ne souhaite pas trouver dans un fonds responsable. Il se tourne de plus en plus vers les fonds à impact où il a le sentiment de donner plus de sens à son épargne en recherchant une plus-value sociale ou environnementale en plus d’une performance économique.

De plus en plus de fonds obtiennent le label ISR. Par ailleurs, plusieurs labels existent. Comment s'y retrouver ?

M. D. Il est en effet parfois difficile de se repérer dans la jungle de ces labels puisque chaque marché a ses spécificités et qu’il n’existe pas aujourd’hui, malheureusement, de label européen. Cependant, pour l’épargnant, ces labels donnent un premier aiguillage quant à la qualité des fonds.

S. F. La difficulté réside dans la manière dont chaque pays aborde le sujet. Le label français par exemple se concentre sur la sélectivité et il n’y a pas d’exclusion. Le label allemand fonctionne en nombre d’étoiles en fonction de l’exigence appliquée.

À l'image des labels, le thème de l'environnement paraît prépondérant. Le S et le G sont-ils moins importants ?

S. F. Des fonds apparaissent sur l’éducation, la santé, l’égalité des sexes… Notre vision est que le S va gagner en importance. Les pratiques en matière de gouvernance sont quant à elles en train de converger bien qu’elles restent très locales.

"Les pratiques en matière de gouvernance sont en train de converger"

M. D. L’amélioration des pratiques de gouvernance est aussi le fruit de la montée en puissance des fonds ISR et de leur engagement actionnarial. Séparation des fonctions, féminisation du conseil, transparence des rémunérations, autant de pratiques qui tendent à se généraliser.

Quelle est l'approche ISR chez ELEVA Capital ?

S. F. Dès la création d’ELEVA Capital, le côté philanthropique était présent, 10 % des bénéfices étant reversés à l’Unicef à travers la Fondation ELEVA. La question de l’ISR s’est posée naturellement, ne serait-ce que par cohérence. Le chantier que nous avons abordé avec Matthieu porte sur la méthodologie propriétaire d’analyse et de notation ESG et son implémentation systématique dans les fonds.

M. D. Nous utilisons, entre autres, des prestataires externes pour collecter les données brutes que nous analysons en interne par la suite. Chaque analyste et gérant utilise la méthodologie propriétaire d’ELEVA dans son processus d’investissement et réalise la notation ESG des valeurs concernées.

S. F. Aujourd’hui, les critères ESG sont parfaitement intégrés dans nos équipes et les réflexes sur le sujet spontanés. Nous visons la labellisation ISR de tous nos fonds actions long only d’ici fin 2021.

Pourquoi investir dans un fonds à impact ?

S. F. L’idée est d’investir dans les entreprises qui font partie des solutions vis-à-vis des enjeux environnementaux et sociaux. Cela permet aux clients, à travers leur épargne, de contribuer à l’atteinte des ODD et de participer à la réduction du déficit de leur financement. Nous savons que la contribution des États ne sera pas suffisante et que ce manque ne pourra être comblé uniquement par le private equity.

Quelles sont les spécificités de votre nouveau fonds ELEVA Sustainable Impact Europe ?

M. D. C’est un fonds toutes capitalisations et tous styles. Nous privilégions six thèmes d’investissement en rapport aux grands défis environnementaux et sociaux : les actions en faveur du climat, l’eau et les ressources naturelles, les villes durables, l’inclusion sociale, la santé et le bien-être, et enfin la Tech for Good. Outre le filtre ESG, chaque entreprise doit contribuer aux ODD à hauteur d’au moins 20 % de son chiffre d’affaires et, à l’échelle du portefeuille, la contribution minimale doit être d’au moins 40 %. Il s’agit d’un portefeuille de conviction composé d’une quarantaine de positions. L’une de ses particularités concerne la poche « scale-up », constituée  ̶ pour 10 % du portefeuille au maximum  ̶ d’entreprises innovantes dont la capitalisation est inférieure à un milliard d’euros et qui, à terme, auront un impact positif systémique.

S. F. Nous adoptons également les codes de l’investissement à impact, né dans le private equity, que sont l’intentionnalité, l’additionnalité et la mesure.

Comment mesure-t-on alors l'impact réel d'un fonds à impact ?

S. F. À l’issue de la première année d’existence du fonds, nous produirons un rapport dans lequel nous montrerons l’impact qu’ont eu les entreprises investies. Même si nous sommes tributaires des informations fournies par les sociétés, il faut se baser sur des données précises telles que la quantité d’émissions de CO2 évitées, le nombre de patients soignés, les tonnes de déchets recyclés...

M. D. La contribution du chiffre d’affaires aux ODD et sa ventilation par thème, représentent aussi un point de mesure efficace. Aujourd’hui, la contribution du portefeuille aux ODD se situe aux alentours de 65 %.

 

Propos recueillis par Marc Munier

 

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