Jean-Michel Darrois : "L’OPA de Veolia/Suez est la plus difficile de ces dix dernières années"
Quel est le dossier dont vous êtes le plus fier et pourquoi ?
Je suis surtout fier de mes associés dans le traitement des dossiers. Mais si la question est centrée sur mon activité, je citerais le rachat des eaux Perrier par Nestlé en 1992, longtemps bloqué par le groupe italien Agnelli. Quand nous avons démarré le projet pour notre client (Nestlé), nos adversaires détenaient la majorité de la cible. C’est grâce à une stratégie contentieuse que nous sommes parvenus à réduire leurs droits de vote. De nombreux banquiers m’ont alors confié que c’était l’unique fois qu’une OPA était un succès grâce au droit. Dans un tout autre registre, je retiens aussi avec beaucoup d’émotion la relaxe de Laurent Fabius par la Cour de justice de la République.
Plus récemment, quel a été le dossier le plus difficile à clôturer et quelles leçons en avez-vous tirées ?
C’est sans conteste le deal Veolia/Suez. Là, ce sont surtout mes associés qui se sont impliqués. Il s’agit de l’opération la plus difficile de ces dix dernières années pour plusieurs raisons, notamment l’ancienneté de la rivalité entre les deux groupes, le fait qu’ils aient de nombreuses fois échouer à se rapprocher, les tergiversations de l’État, ou encore les incertitudes juridiques et réglementaires qui ont été le foyer de la multiplication des procédures. Certains de mes associés considèrent que le capitalisme n’a jamais été aussi violent mais en réalité, les grandes batailles boursières des années 1990 l’étaient tout autant. Elles duraient simplement moins longtemps.
Comment avez-vous obtenu la confiance des grands patrons ?
Il me semble qu’ils sont convaincus de ma loyauté. Il faut qu’ils considèrent que ce que vous leur dites est ce que vous pensez réellement. Ils attachent de l’importance à la qualité de votre jugement personnel. En quelque sorte, la contradiction renforce la confiance. Il faut aussi qu’ils constatent que l’on travaille pour tenter de mettre en forme leurs idées.
Quels sont les pièges à éviter lors d’une fusion ou d’une acquisition d’entreprise ?
Du côté du patron, l’un des domaines de plus en plus importants, c’est le droit de la concurrence, si essentiel et à la fois si compliqué puisqu’il transcende les frontières. Chaque pays peut interdire ou compliquer l’opération. La fiscalité et le droit social sont également fondamentaux. Alors, bien sûr, ensemble, nous réfléchissons à la stratégie du projet mais dans cette réflexion, il faut inclure ces domaines. Il faut aussi agir de telle sorte que les organisations représentatives du personnel soient convaincues des atouts de l’opération et ne tentent pas de l’annuler ou la ralentir. C’est un volet important que les patrons étrangers ont du mal à saisir.
Dans ce contexte, nous avons de plus en plus recours à des conseils indépendants, la plupart du temps pour asseoir notre position, parfois pour que certains ne travaillent pas pour l’adversaire.
Dans la réalisation d’un deal cross border, quels points d’attention spécifiques à votre région relevez-vous ?
Incontestablement l’importance de l’État dans le déroulé des opérations, mêmes privées et même dans des secteurs non contrôlés par l’État. Cela nous impose le réflexe d’y penser et, lorsque cela est possible, d’avertir l’État qu’un projet important se prépare avant d’aller se présenter aux autorités concernées. De manière générale, au cabinet, un deal sur deux contient une composante publique. Indépendamment des règles applicables, une réaction vive de l’État peut rafraîchir les ardeurs.
Quel autre métier auriez-vous souhaité exercer ?
De manière tout à fait spontanée, j’aurais aimé être archéologue.
Propos recueillis par Pascale D’Amore