Depuis l'entrée en vigueur en 2016 de la loi Sapin 2, les entreprises ont dû répondre aux obligations de la réglementation anti-corruption afin d'éviter de passer devant la commission des sanctions de l'AFA. Interview croisée de Patrick Rémot, directeur juridique et conformité de Clear Channel France, de son adjoint Xavier Françoise, tous deux lauréats du trophée d'or (direction de la compliance) lors de la 6e édition du Sommet du Droit en Entreprise, et de Nicolette Kost de Sèvres, avocate associée chez Mayer Brown.

Décideurs. Pensez-vous qu’il soit préférable que la compliance soit de la responsabilité de la direction juridique ?

Patrick Rémot. Dans les ETI comme Clear Channel France, la compliance est naturellement rattachée à la direction juridique, même si ce n’est pas forcément la meilleure configuration parce que le directeur juridique et conformité se retrouve alors parfois à être juge et partie. Par exemple, en tant que directeur juridique, je pourrais dire oui à certaines opérations tout en me disant que d’un point de vue « compliance », il conviendrait d’être plus prudent. Il existe donc une certaine dualité et une certaine ambivalence des deux fonctions qui ne sont pas toujours évidentes à gérer, raison pour laquelle dans la plupart des grands groupes plus « riches » en moyens humains et financiers, les deux fonctions sont bien séparées.

Xavier Françoise.  Le fait que chez Clear Channel France la compliance soit rattachée à la direction juridique, ce dans une ETI, nous permet néanmoins d’avoir une vision très transverse des choses car nous travaillons étroitement avec tous les métiers de l’entreprise dont on connaît parfaitement les rouages. C’est véritablement un atout dans le cadre de la mise en place de programmes de conformité.

Nicolette Kost de Sèvres. Je rejoins ces propos. Je pense que nous sommes très chanceux en France de ne pas être obligés d’avoir les deux fonctions juridique et compliance distinctes, ce qui donne de la flexibilité aux entreprises pour s’adapter à leurs besoins. Et ce n’est pas forcément le cas dans d’autres domaines tels que le financier aux États-Unis ou dans le cadre du RGPD en Europe qui impose l’obligation d’avoir un DPO. Le plus important demeure le fait d’avoir des connaissances juridiques en compliance : la direction juridique et/ou de la conformité doit avoir une approche qui met en avant la protection de son entreprise et travailler avec tous ses départements. Si la direction juridique et la direction de la compliance sont distinctes, elles doivent absolument travailler ensemble.

Comment vous assurez-vous du maintien d’un haut niveau de conformité dans tout le groupe après la mise en place d’un programme de compliance ?

Patrick Rémot. Chez Clear Channel France, nous avons la chance d’être très soutenus par l’instance dirigeante, laquelle est très présente sur les sujets de compliance, ce qui est essentiel pour maintenir un haut niveau de compliance dans toute l’entreprise. Les dirigeants ont en effet un rôle clé à jouer dans la mise en œuvre des programmes de conformité, aux côtés de la direction de la compliance, pour que les salariés y adhèrent eux aussi. C’est de l’impulsion que donne ou pas une instance dirigeante à la compliance dans une entreprise que dépend la réussite de la mise en place du programme de conformité et du niveau de maturité et d’engagement des salariés sur ce sujet.

Xavier Françoise. Nous avons mis en place un comité compliance présidé par notre présidente, qui se réunit une fois par trimestre. Il s’assure de la mise en place du programme de conformité et du suivi des actions. Il arbitre aussi entre les priorités en matière de compliance et fixe des objectifs à atteindre. La première réunion de l’année élabore la feuille de route pour les douze prochains mois. Nous faisons ensuite le bilan à la fin de l’année, avec des points d’étape tous les trimestres.

Patrick Rémot. Nous communiquons également beaucoup en interne car chez Clear Channel France, nous sommes convaincus que la compliance est l’affaire de tous les salariés et pas seulement de certaines catégories. Certes certains managers ou certaines fonctions doivent être beaucoup plus sensibilisés que d’autres, mais la compliance ne peut trouver sa pleine efficacité que si l’ensemble de l’entreprise est au diapason sur ce sur sujet. Si dans l’orchestre, un membre joue faux, c’est tout l’orchestre qui est pénalisé. Il appartient donc à chacun dans l’entreprise de veiller à ce qu’il n’y ait pas de fausses notes et donc de connaître sa partition. C’est pourquoi nous donnons notamment des formations et nous diffusons très régulièrement une « lettre de la conformité » à l’ensemble des salariés du groupe dans un langage simple avec un update de la mise en place du programme de conformité chez Clear Channel France, les dernières actualités de l’AFA mais aussi des cas concrets de corruption pour que tous puissent comprendre comment survient une situation de corruption et ce qu’elle engendre. Enfin, depuis deux ans maintenant, les managers sont objectivés concernant les sujets de compliance notamment concernant le suivi des formations compliance par leurs équipes : c’est aussi une façon d’embarquer tout le monde et rapidement !

Nicolette Kost de Sèvres. Comme vous l’avez dit, il est indispensable que les dirigeants s’impliquent sur les sujets de compliance car ils sont intimement responsables lorsqu’un fait de corruption est découvert. Il y a en effet l’information qui remonte du terrain et celle qui descend, que ce soit au travers de comités ou par la préparation au questionnaire de l’AFA. Il faut vraiment que tout le monde soit impliqué au sein de l’entreprise. Les responsables des départements compliance et juridique doivent être créatifs mais également psychologues.

Quels sont les prochains enjeux de compliance pour les entreprises ?

Patrick Rémot. L’évaluation des tiers est encore un sujet épineux pour beaucoup d’entreprises. Chez Clear Channel France, nous avons choisi de travailler sur ce sujet avec la regtech Legiform/Eval’Tiers, donc clairement dans une optique de digitalisation qui nous a paru rapidement la meilleure solution pour nous permettre d’éviter la gestion du « monstre » administratif que pourrait constituer l’évaluation des tiers. Mais les recommandations de l’AFA n’étaient pas très précises sur cette thématique. C’est pourquoi les entreprises ont donc cherché la meilleure solution possible pour répondre à cette problématique. Il reste encore beaucoup du travail sur ce sujet pour qu’on arrive à une évaluation des tiers qui soit industrialisée et comprise par tous. Nous faisons ainsi un vrai travail de pédagogie envers nos tiers en leur expliquant les tenants et les aboutissants de ces obligations. Inversement, nous trouvons que nous ne recevons nous-mêmes très peu de questionnaires d’évaluation des tiers, ce qui montre que le sujet n’est pas encore vraiment pris en compte par les entreprises ou en tout cas n’est pas encore abouti à date. Au-delà de ce sujet, la place et le rôle de l’AFA qui est encore une institution très jeune constituent aussi un enjeu important pour les entreprises car de ce rôle, de cette place dépend aussi étroitement celui de la compliance dans les entreprises pour les années à venir !

Xavier Françoise. Les recommandations de l’AFA manquaient de précisions sur l’évaluation des tiers, raison pour laquelle certaines entreprises ne savaient pas par quel bout prendre le sujet. Chez Clear Channel France, nous avons développé notre outil d’évaluation des tiers en cocréation avec la regtech Legiform/Eval’Tiers de façon à ce que l’outil tienne parfaitement compte de notre activité. Pour une ETI comme la nôtre, mais pour beaucoup d’entreprises y compris beaucoup plus grandes, l’évaluation des tiers reste clairement un enjeu. 

Nicolette Kost de Sèvres. Il ne faut également pas oublier de vérifier l’efficacité des systèmes mis en place car l’AFA, lors de ses enquêtes sur place, creuse toujours très loin : quel est le processus décisionnel ? Quelles sont les méthodologies prises une fois la vérification effectuée ? Et c’est là que se trouve un certain défi pour les années à venir, de passer à une étape plus approfondie : comment justifier à une autorité que le tout fonctionne bien ?

De plus, la compliance peut aller au-delà de la loi Sapin 2 et du risque de corruption. Il faut donc en profiter pour créer un outil qui couvre une grande partie des alertes et pas uniquement le limiter à la corruption. Il ne faut pas oublier que les régulateurs se parlent et échangent des informations, ce plus que jamais, dans tous les domaines, tant sur le plan français que sur le plan international !

Enfin, il est important de revenir sur le rôle de l’AFA : va-t-il changer et devenir encore plus un acteur d’éducation et d’accompagnement ? En effet, sur le plan réputationnel, aujourd’hui, il est difficile pour une entreprise de faire comprendre à l’étranger ce que c'est d’être sous le contrôle de l’AFA, car on peut croire à l’international qu’une société a été sous contrôle car elle a révélé des faits de corruption alors que ce n’est pas le cas.

Propos reccueillis par Margaux Savarit-Cornali

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