Depuis la promulgation de la loi Pacte en mai 2019, impossible pour les grandes entreprises de concevoir l'exercice de leur activité économique sans prendre en compte leur impact sur la société et l’environnement. Les avocats, eux, n’ont rien fait en ce sens et n’ont écopé d’aucune sanction pour leur inaction. Il y a fort à parier qu’ils changent leur fusil d’épaule.

Soixante-dix pour cent des professionnels du droit affirment être prêts à quitter la structure dans laquelle ils exercent si cette dernière, désormais, ne devait pas prendre leur responsabilité sociétale et environnementale : soit les conditions de travail et la santé au travail pour 45 % d’entre eux, la diversité pour 15 % et la protection de l'environnement pour 10 %. Ces données ont été récoltées grâce à notre enquête réalisée auprès de notre lectorat au mois de février 2021. Pourtant, parmi les cabinets d’avocats en France, il semblerait que seuls deux ont recruté un professionnel de la RSE : il s’agit de Claisse & Associés (devenu Centaure Avocats) et de Baker McKenzie. Le sujet, lorsqu’il est abordé, l’est souvent par le gros bout de la lorgnette. Pourquoi ?

Un rôle social au cœur de la cité

Interrogé, le fondateur de Claisse & Associés, Yves Claisse, porte un regard bienveillant sur le barreau : "La profession d’avocat est déjà intrinsèquement engagée dans la société. Cela induit que la plupart de mes confrères considèrent que le seul exercice de leur métier suffit à prouver leur action en faveur de l’intérêt général." Pourtant, depuis peu de temps, les institutions représentatives des avocats tentent de forcer le changement. Le Conseil national du barreau (CNB) a publié en 2017 une charte, à adhésion volontaire, à laquelle se couple un outil d'autodiagnostic à destination des structures, quelle que soit leur taille. Il propose de réduire la consommation d’énergie, de lutter contre le gaspillage, de recourir à des moyens d'échanges dématérialisés afin de réduire la quantité de papier utilisé, de recycler, de réduire les déchets et de ne sélectionner que des prestataires respectant une politique sociétale et environnementale. La même année, le barreau de Paris lui aussi publiait son guide de la RSE, relevant que le juriste occupait un "rôle social au cœur de la cité qui [l'invitait] à une proximité particulière avec la RSE".

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Mais à ce jour, aucune obligation de résultat ne pèse sur les cabinets d’avocats. Le mouvement, qui vient des entreprises, leur est encore éloigné.

La loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, dite "loi NRE", voulait en effet inciter les entreprises à développer une stratégie RSE et stipulait que les rapports annuels des entreprises devaient tenir compte des impacts sociaux et environnementaux de leurs activités, y compris les émissions des gaz à effet de serre dans l’air. Mais elle ne concernait que les entreprises cotées. La loi Grenelle 2 de juillet 2010 fera progresser les choses, les sociétés dont le chiffre d’affaires excède 100 millions d’euros et 500 salariés devant elles aussi se soumettre à cette obligation de reporting, ainsi que les établissements de crédit, les entreprises d’investissement et les compagnies financières, quelle que soit leur forme juridique, et les sociétés d’assurance mutuelle. Dans le même temps, en novembre 2010 plus exactement, la norme ISO 26000 paraît, qui représente le premier standard international en la matière. Elle tente de préciser les choses en définissant le périmètre de la responsabilité sociale des entreprises selon sept préoccupations centrales : la gouvernance de l’organisation, les droits de l'Homme, les relations et conditions de travail, l'environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs ainsi que les communautés et le développement local. Ces préoccupations centrales aidant les entreprises à mettre en pratique les principes de la RSE. Mais c’est la loi Pacte du 22 mai 2019 qui, en modifiant l’article 1833 du Code civil,  a énoncé que toutes les sociétés devaient déterminer un objet social qui prenne "en considération des enjeux sociétaux et environnementaux".

Une place de choix

Depuis la loi Pacte donc, toutes les organisations, y compris les cabinets d’avocats, sont concernées par les thématiques de RSE. Sans pour autant que pèsent sur elles des obligations précises. En l'absence de contraintes en la matière, chaque structure s’est organisée et a adopté des politiques individuelles, dont la plus courante est la mise en place d'une charte traduisant ses engagements. Une démarche bien plus courante en entreprise qu’en cabinet de conseil (avocats ou étude de notaires). Les juristes in house sont 62,5 % à attester de la présence d'une telle charte RSE au sein de leur structure, les avocats ne sont que 8,16 %.

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Par ailleurs, une grande majorité des avocats ayant répondu à notre sondage reconnaissent que leur cabinet n'a encore instauré aucune politique de recrutement et de tolérance vis-à-vis des personnes LGBT+ (61,2%), en situation de handicap (63,2%) ou encore issues de milieux défavorisés (63,3%). Quant à la question de la parité, elle est souvent évacuée d’un revers de main, d’aucuns ayant comme argument principal que seule la compétence compte. Certains cabinets relèvent le niveau sur le plan de la parité, comme le montre le classement des 30 meilleurs cabinets d'avocats, mais également en matière d’activité bénévole, comme l’atteste le succès remporté par les trophées pro bono du barreau de Paris, qui prépare en 2021 sa dixième édition.

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Mais ces exemples restent rares, et ce, alors même que les avocats et les notaires auraient tout intérêt à utiliser la RSE comme un outil de développement, notamment commercial. Les entreprises vont en effet de plus en plus sélectionner des conseils qui leur ressemblent. Les directeurs et directrices juridiques, impliqués dans ces questions sociétales et environnementales en accord avec la politique générale de leur maison, seront à l’avenir bien plus exigeants vis-à-vis de leurs avocats et de leurs notaires sur ces questions. Sans oublier bien évidemment les problématiques environnementales, lesquelles, si elles sont prises en compte par les entreprises, permettront de maintenir les équipes en place voire de les étoffer avec de nouvelles recrues. Travailler dans une organisation respectueuse de la planète alimente le sentiment d’adhésion à un groupe, est source de fierté. Les talents restent au sein de leur maison ce qui améliore sa réputation sur le marché et qui facilite le recrutement. Il ne serait donc pas étonnant que les associé(e)s dirigeant(e)s des cabinets d’avocats et des études de notaires prennent rapidement conscience de l’importance de ces sujets s'ils aspirent à se développer.

Pascale D'Amore et Louise Tydgadt

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