Fraîchement élu à la tête du Conseil national des barreaux, l’avocat marseillais Jérôme Gavaudan n’entend user de l’influence due à sa position que pour défendre ses confrères. Pour le reste, il préfère se cantonner au rôle de chef de file, validant le mode collégial de prise de décision de l’institution qu’il dirige.

Difficile mission que de succéder à la charismatique Christiane Féral-Schuhl à la présidence du Conseil national des barreaux (CNB), cette institution qui défend devant les pouvoirs publics et représente devant la société civile les 70 000 avocats de France. C’est, depuis le 4 janvier, la mission de l’ancien bâtonnier de Marseille Jérôme Gavaudan, élu par les nouveaux membres du CNB le 19 décembre dernier en assemblée générale.

Pas de commande

Ce n’est pas parce qu’aucun adversaire n’a tenté sa chance lors de cette élection que l’avocat de 55 ans perd en légitimité. Car Jérôme Gavaudan est auparavant passé au crible du premier scrutin, celui constituant le corps des représentants nationaux des avocats. Il a alors réuni plus des deux tiers des voix des avocats aux conseils des ordres de province, soit quelque 23 000 suffrages. Ces moments sont encore frais dans son esprit. Il les revit en se remémorant cette journée de décembre et le stress qui était le sien. "Il est de tradition que les candidats se déclarent publiquement lors de l’assemblée générale élective, raconte l’intéressé. Dès lors, j’avais prévu deux discours. Celui à prononcer en cas de victoire face des concurrents était nécessairement plus combatif que celui qui a été le mien finalement." Son choix s’est donc tourné vers le discours plus conformiste, ce qui n’ôte rien à son esprit pugnace.

"Ce que nous allons faire, nous allons le décider ensemble", insiste l’ancien bâtonnier de Marseille

Jérôme Gavaudan rappelle avec insistance le cadre dans lequel il agit dorénavant. C’est celui d’une démocratie parlementaire, pas de présidentialisme au CNB. Certes, la fonction qu’il occupe aujourd’hui a pris de l’ampleur depuis qu’une réforme lui a confié un mandat de trois ans là où il y a encore peu de temps, le nom de l’avocat élu n’avait aucune chance d’être retenu tellement la valse était fréquente, tous les ans en réalité. Mais ce changement dans l’organisation de l’institution n’a pas créé pour autant une tête de proue derrière laquelle se réfugie l’ensemble de la profession. "Ce que nous allons faire, nous allons le décider ensemble, insiste l’ancien bâtonnier. Il n’est pas dans mon caractère de passer des commandes, d’exiger de l’assemblée générale que telle ou telle décision soit adoptée avant la fin de mon mandat", prévient-il. Mais alors, comment s’y prendre ?

Tous les avocats se sentent concernés

Le fil conducteur de Jérôme Gavaudan est la discrétion et le dialogue. Une démarche qu’il entame en répondant positivement à l’invitation du Garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti à la Chancellerie le 7 janvier, une rencontre à laquelle il a lui-même convié le bâtonnier Olivier Cousi et la présidente de la Conférence des bâtonniers Hélène Fontaine.  "Je viendrai bien sûr avec mes cahiers de doléances, confie-t-il le matin même du rendez-vous, citant comme exemple la force exécutoire des actes d’avocats et les pouvoirs du bâtonnier. Mais je m’y rends d’abord pour mieux faire connaissance avec un confrère que je n’ai que croisé rapidement par le passé, et l’écouter." Ensemble, ils parleront bien sûr de la réforme de la procédure pénale, la défense du secret professionnel étant au cœur de la feuille de route du ministre. "Sur cette question, je lui fais entièrement confiance pour agir, commente le président du CNB. Non pas parce qu’il a été directement concerné avant sa prise de fonction à la Chancellerie, mais parce que tous les avocats se sentent concernés. Dans la mesure où les juges, jusqu’à la Cour de cassation, font une interprétation restrictive des textes relatifs au secret professionnel, il est normal que la loi intervienne pour encadrer cette évolution de notre droit." L’avocat marseillais a d’autant plus confiance qu’Éric Dupond-Moretti a confié l’examen de cette question à un groupe de confrères parmi lesquels figure son prédécesseur à la tête des avocats du barreau de Marseille, Dominique Mattei.

Ce niveau élevé de consensualisme, qui est l’apanage d’un homme qui prend ses marques, n’a pas été celui qui a guidé la carrière institutionnelle de Jérôme Gavaudan. On l’a vu, lu et entendu : l’avocat sait se montrer très critique, mais de manière ciblée et percutante. C’est notamment lors de son mandat de président de la Conférence des bâtonniers entre 2018 et 2020 qu’il est monté au créneau après l’adoption de la loi de modernisation de la justice. Impossible de dire si ses critiques portant sur l’éloignement de la justice du justiciable étaient fondées, les magistrats détenant les clés de cette nouvelle organisation ayant dû remettre à plus tard la mise en place de la réforme en raison de la crise sanitaire. En revanche, l’homme reste amer à l’évocation de la façon dont les choses se sont passées : "Nicole Belloubet consacrait beaucoup de temps à nous écouter et semblait comprendre nos arguments, mais sa méthode était très frustrante parce que n’en sortaient que des textes contraires à nos recommandations." Les choses devraient se passer différemment dorénavant puisque "l’agenda nous contraint positivement : avec les élections présidentielles et législatives qui s’annoncent à la moitié de mon mandat, les avocats vont pouvoir se montrer proactifs. Nous allons interpeler les candidats pour leur demander d’écouter ce que nous avons à dire." Avant d’ajouter : "La presse a beaucoup repris ma formule des avocats qui entrent en campagne, mais il ne s’agit pas d’une campagne politicienne, nous sommes une profession qui sait rester éloignée des objectifs politiques pour servir au mieux la justice."

Allumer les lumières le matin

On l’aura compris, son mandat sera celui de la défense des intérêts des avocats. Sans pour autant créer de cataclysme réglementaire. Le nouveau président du CNB accepte l’idée de réfléchir à certaines réformes de la profession d’avocat, mais attention, encore une fois, à la méthode et aux mots. Par exemple, s’il est question de faire entrer les avocats dans une nouvelle ère, pourquoi parler de salariat ? "J’aimerais comprendre en quoi l’avocat salarié est moderne ?", s’inquiète ce spécialiste du droit social, avant d’ajouter que les contrats de salariés sont tout ce qui a de plus ancien en droit. "J’accepte qu’on me dise que l’avocat en entreprise est utile, nécessaire, bénéfique pour les entreprises, intéressant pour les jeunes avocats, etc. Mais qu’on ne vienne pas me dire qu’il s’agit d’une réforme qui vise à faire entrer les avocats dans la modernité." Quant aux expérimentations de ce statut dans certains barreaux qui y sont favorables, comme celui de Paris, encore faut-il que l’assemblée générale du CNB vote en leur faveur.

On l’a vu, lu et entendu : l’avocat sait se montrer très critique, mais de manière ciblée et percutante.

Pour l’heure, le Marseillais s’est installé à Paris, une nouvelle adresse qu’il avait déjà largement occupée ces deux dernières années durant son précédent mandat. Lorsqu’il regarde vers sa ville natale, il y trouve les avocats qui exercent dans le cabinet qu’il a fondé en 2017, Gavaudan & Associés. Celui qui s’est formé au droit social à l’université d’Aix-Marseille puis dans une structure familiale a toujours exercé cette matière, aux côtés notamment des acteurs du secteur associatif, mais aussi des entreprises, des cadres ou des victimes d’accidents du travail. Pour le moment, il est prévu que son équipe de collaborateurs fasse tourner le cabinet. Comme lors de son premier mandat de bâtonnier puis de président de la Conférence, il garde un pied dans ses dossiers. Son nouveau poste va l’occuper à plein temps, c’est certain, mais il a l’habitude d’allumer les lumières le matin. Et compte bien retrouver sa vie d’avant fin décembre 2023.

Pascale D'Amore

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