Arrivée de la 5G en France : tentative de blocage judiciaire
La Chine l’a déjà adopté mais l’Europe ne l’accueille que progressivement : le réseau 5G n’en finit pas d’alimenter la polémique. L’Hexagone semble à la fois se réjouir et redouter l’arrivée d’une telle technologie sur son territoire, en raison des conséquences sanitaires et sociétales irréversibles que pourraient provoquer les puissantes fréquences utilisées pour accélérer le débit d’Internet. Pourtant, les opérateurs sont prêts. Afin de contrer la mise en service de ce nouveau réseau, la plateforme MySmartCab, dédiée aux actions collectives au service des consommateurs et des citoyens, a lancé en février dernier une "pétition action collective" dite "PAC", qui a réuni 50 000 signatures. Après une tentative de résolution à l’amiable, l’heure est maintenant à l’offensive : quatre actions collectives conjointes seront engagées contre les opérateurs Free, Orange, SFR et Bouygues afin de suspendre le déploiement de la 5G.
Procédure participative avortée
La plateforme MySmartCab, n’en est pas à son premier coup d’essai en matière d’action collective. Réunissant un réseau d’une trentaine d’avocats de toute la France, elle propose de lancer des actions en faveur de citoyens ou consommateurs contre certains services ou produits afin de faire cesser des pratiques illégales, illégitimes ou pour indemniser un préjudice dont ils sont victimes. Des actions contre les laboratoires Merck en raison d’un défaut d’information sur le Lévothyrox, contre l’État pour l’utilisation du pesticide Chlordécone ou encore contre le compteur intelligent Linky ont déjà été engagées. "Par le biais de ces actions, notre objectif est de rétablir les consommateurs et les citoyens dans leurs droits, explique Arnaud Durand, avocat défenseur des signataires contre la 5G aux côtés de Christophe Lèguevaques. Il ne faut pas confondre l’action collective conjointe, que nous portons, de l’action de groupe, prévue par la loi Hamon." Cette dernière permet en effet aux consommateurs ou à des membres d’un groupe de défendre leurs intérêts d’une seule voix grâce à une association ou un syndicat.
À l’instar de l’affaire Linky, les deux avocats ont d’abord tenté, dans un premier temps, de recourir à une solution amiable, alors que la plateforme atteignait les 10 000 signatures : "Nous avons mis en demeure les quatre principaux opérateurs de la 5G, SFR, Orange, Free et Bouygues, par lettre recommandée avec accusé de réception. Seul Orange nous a répondu mais cela n’a pas débouché sur ce que nous escomptions, à savoir la mise en place d’une procédure participative fondée sur la recherche de bonne foi et de solutions." Cette procédure participative, prévue par l’article 2062 du Code civil, n’ayant pas abouti, une mise en demeure a été déposée le 23 juillet, alors que les signataires se chiffraient à 50 000. Cette fois-ci, un huissier de justice est intervenu au siège des trois opérateurs mobiles, SFR, Free et Bouygues pour les sommer de suspendre le déploiement anticipé de la 5G, intervenu entre temps.
Déploiement anticipé et illicite
"Free, SFR, Orange et Bouygues ont procédé à un pré-déploiement de la 5G, alors qu’ils n’avaient encore aucune autorisation pour le faire", relève Arnaud Durand. Dans son cahier des charges, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) avait fixé l’objectif d’équiper 10 500 sites d’ici 2025 de la 5G. "Dans un premier temps, nous installerons les équipements 5G sur les antennes 4G existantes. Il n’y aura donc aucune nouvelle antenne pendant plusieurs années, en dehors de celles prévues dans le cadre du New Deal Mobile", prévoyait le régulateur.
Sans feu vert gouvernemental, Xavier Niel, président d’Iliad, la maison mère de Free Mobile, a pourtant déclaré publiquement déployer activement des antennes de 5G. "Malgré les 50 000 signatures obtenues par le biais de la pétition, les opérateurs n’ont pas réagi, ni l’État", constate Arnaud Durand. C’est pourquoi la stratégie d’engagement de quatre actions collectives, proposée à tous ceux qui le souhaitent, s’est imposée comme une évidence pour l’avocat et son confrère.
Quatre actions pour riposter
"Quatre actions sont prévues. Nous demandons la suspension du déploiement de la 5G le temps que les études d’impact, encore en cours, soient terminées. Un premier avis devrait être rendu au premier semestre 2021. Dans l’intervalle, nous sommes face à des incertitudes sanitaires évidentes", expose Arnaud Durand. D’abord fondées sur le respect du principe de précaution et le droit à l’autodétermination de chacun afin de prévenir des atteintes, les quatre actions collectives ont vu leurs fondements élargis, à l’initiative des signataires, pour viser en plus la santé, le droit au respect de la vie privée, la liberté de choix ou droit à l’autodétermination, le respect de l’environnement et enfin le principe de réalité.
"Malgré les 50 000 signatures obtenues par le biais de la pétition, les opérateurs n’ont pas réagi, ni l’État"
Une première action collective conjointe sera portée devant le juge judiciaire pour l’ouverture d’une procédure d’enquête afin d’obtenir des preuves sur des faits sous-jacents au déploiement. MySmartCab envisage également de former un recours devant les instances administratives portant sur l’acte qui autorisera le déploiement de la 5G, lorsque les enchères, qui doivent permettre de finaliser en France l’installation des fréquences 5G, seront closes. "Pour ces deux actions-là, nous agirons au nom des signataires qui le souhaitent : parmi les 50 000, il faudra au moins 1 000 requérants pour que juridiquement, l’action conjointe soit constituée." Une procédure judiciaire sera intentée contre les quatre principaux opérateurs qui commercialisent la 5G ainsi qu’une procédure devant la CEDH, sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit au procès équitable. Cette dernière action pourrait notamment être engagée au nom de citoyens, associations, fondations, ONG ou encore professionnels de santé.
Pas de class action européenne à l’horizon
Tout récemment, le Parlement européen et les États membres réunis au Conseil de l’Europe s’accordaient sur la création d’une procédure d’action de groupe européenne. Ce moyen d’agir en justice, tout droit venu des États-Unis, sera bientôt concret sur le Vieux Continent. La class action européenne votée le 22 juin dernier octroie aux consommateurs la possibilité de mettre en place des actions de groupe dans le cadre de poursuites judiciaires. La transposition de ce mécanisme américain en Europe était particulièrement attendue des consommateurs, notamment depuis le scandale du Diesel Gate. Pour ce qui concerne le déploiement de la 5G, le recours à ce type de procédure n’est pour le moment pas opportun. "Dans le cas où il y aurait des victimes de dommages causés par la 5G, une class action européenne pourrait être envisagée. Mais aujourd’hui, nous n’avons pas encore assez de recul sur les effets causés par ce réseau, il faudra très certainement attendre quelques années pour en percevoir l’ampleur", analyse Arnaud Durand.
Le rapport final des 150 citoyens tirés au sort, dans le cadre de la Convention citoyenne sur le climat, proposait par ailleurs "d’accompagner l’évolution du numérique pour réduire ses impacts environnementaux" et demandait l’instauration d’un moratoire sur la mise en place de la 5G, en attendant les résultats de son évaluation sur la santé et le climat. Peu de temps après, Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État à l’Économie, annonçait début juillet que les enchères pour attribuer les fréquences 5G seraient bien lancées en septembre et fermait, par là même, la porte au moratoire demandé par la Convention citoyenne pour le climat. "Les autorités cultivent le doute sur l’innocuité de la 5G alors que 388 scientifiques ont demandé sa suspension", soulève Arnaud Durand. Face à une tenue de calendrier serrée et à la pression des industries et entreprises qui voient en la 5G un formidable outil d’innovation, la bataille risque de s’annoncer agitée.
Marine Calvo