Le 29 janvier dernier, Airbus signait des accords transactionnels avec quatre autorités de poursuite différentes ayant ouvert des enquêtes principalement pour des faits de corruption. Une lourde sanction financière au bénéfice de la réputation de l’industriel européen qui en ressort muni d’une validation temporaire de son programme de compliance. Et qui renforce le crédit du Parquet national financier capable de jouer dans la même cour que le DoJ américain ou que le SFO britannique. Un deal gagnant-gagnant.

« À partir du moment où l’on décide de coopérer, il faut le faire pleinement. » Une règle établie par John Harrison, le directeur juridique d’Airbus, qui vient de signer, à la suite de la découverte de faits de corruption, des accords transactionnels avec quatre autorités de poursuite : le Parquet national financier (PNF) en France, le Serious Fraud Office (CFO) britannique, le Department of Justice (DoJ) américain et son homologue chargé des relations internationales, le Department of State (DoS). La stratégie de collaboration avec les procureurs, élaborée très rapidement après la découverte des éléments de preuve, permet au géant de l’aéronautique européen de sortir de cette période difficile la tête haute.

Le groupe risquait bien plus 

Certes, Airbus a été condamné à une amende totale de 3,6 milliards d’euros principalement pour corruption d’agents publics étrangers, abus de biens sociaux, abus de confiance, escroquerie en bande organisée, blanchiment de ces délits, faux et usage de faux (ce sont les qualifications retenues par le parquet français). Mais le groupe risquait bien plus si une procédure judiciaire classique avait été entamée.

Moins de quatre ans ont suffi pour aboutir à une négociation, durée de l’enquête judiciaire comprise, « là où il aurait peut-être fallu une quinzaine d’années si l’entreprise n’avait pas participé à la recherche de la vérité », rapporte Thomas Baudesson, l’un des avocats d’Airbus.

D’abord sur le volet financier. Le montant de l’amende a été calculé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés. Si ce montant a été multiplié par 275 % en raison notamment du caractère répété de ces manquements, Airbus a bénéficié d’une réduction de 50 % de la somme à payer grâce à sa coopération pleine et entière à l’enquête. Ensuite, sur la durée de la procédure. Moins de quatre ans ont suffi pour aboutir à une négociation, durée de l’enquête judiciaire comprise, « là où il aurait peut-être fallu une quinzaine d’années si l’entreprise n’avait pas participé à la recherche de la vérité », rapporte Thomas Baudesson, l’un des avocats d’Airbus. Enfin, autre avantage notable et peut-être le plus important : la sauvegarde de la réputation du groupe. « Nous ressortons définitivement renforcés de ce processus, commente John Harrison. Nous avons su nous réformer tel que les autorités l’ont reconnu et notre niveau de commandes et de livraisons ne faiblit pas. Il s’agit d’un avantage concurrentiel significatif dans un environnement plus vertueux. »

Une coopération exemplaire

Pourtant, rien n’était joué d’avance. Les 22 pages de la convention judiciaire d’intérêt public signée entre John Harrison et Jean-François Bohnert, le patron du PNF, le 29 janvier dernier et homologuée deux jours plus tard en audience publique par le président du tribunal judiciaire de Paris retrace l’historique. C’est le 1er avril 2016 qu’Airbus signale les manquements relevés dans sa propre revue de conformité au SFO. Le dossier démarre donc en Angleterre puisque le groupe pointe des irrégularités dans les demandes de financement de crédits à l’export, certaines informations relatives à ces demandes n’ayant pas été transmises à l’autorité britannique compétente, l’Ukef (le UK Export Finance). Airbus, qui vient tout juste de recruter l’ancien directeur juridique de Technip, révèle ces éléments au SFO. Les bons réflexes sont immédiatement adoptés et diffusés en interne auprès des 130 000 salariés du groupe. En effet, le nouveau group general counsel a signé pour son ancienne maison un DPA (Deferred Prosecution Agreement) – c’est d’ailleurs la première entreprise française à négocier ce deal de justice avec le DOJ – pour des faits de corruption. La situation n’est donc pas inédite pour lui. « Il m’a fallu moins de quinze minutes pour convaincre le CEO de l’opportunité de la démarche », se souvient-il.

 « Il m’a fallu moins de quinze minutes pour convaincre le CEO de l’opportunité de la démarche », se John Harrison.

Et c’est heureux, puisqu’à partir de ce moment, les événements s’enchaînent. Le procureur national financier, qui en est alors à ses toutes premières heures d’exercice, est destinataire d’un signalement par le Trésor relayant les éléments de l’Ukef. Il ouvre une enquête le 20 juillet 2016 confiée à l’Office central de lutte contre les infractions financières et fiscales (Oclciff). Ce dernier témoignera, quatre ans après, de l’exemplarité du comportement du groupe dans cette enquête.

Les parquetiers commencent leurs investigations, en toute indépendance. Une équipe commune d’enquête est mise en place entre le PNF et le SFO. Elle s’assure du respect de la loi de blocage[1] dans la transmission des preuves et commence l’analyse des 30,5 millions de documents collectés par Airbus auprès de 200 détenteurs au cours de son enquête interne diligentée par un pool de cabinets d’avocats (Dechert, Clifford Chance, August Debouzy, Arnold & Porter et Paul Hastings). Les parquetiers français et anglais se répartissent les zones géographiques à inspecter[2] selon des règles qui leur sont propres. Auditions de salariés et d’anciens salariés (parfois les mêmes que ceux qui ont déjà été interrogés au cours de l’enquête interne), de consultants, d’intermédiaires commerciaux, perquisitions et revue de documents sont alors menés.

Une conformité innovante

En interne, il faut alors diffuser le message : l’entreprise a choisi de coopérer, ses cadres doivent accepter de se plier aux interrogatoires. « À présent que les faits ont été rendus publics, les salariés comprennent mieux que la coopération était la meilleure solution », analyse John Harrison, qui, avec son équipe, a fait œuvre de pédagogie tout au long de ces quatre années d’enquête judiciaire. Il faut bien sûr comprendre la situation fragile de certains cadres ou anciens cadres : la CJIP et le DPA ne concernent que les entreprises morales. Rien n’empêche les procureurs de poursuivre les personnes physiques au titre de leur responsabilité pénale personnelle. Ces derniers sont donc interrogés puis exclus de la négociation avec les parquets. Le dossier n’est donc pas clos sur ce volet.

Quoi qu’il en soit, pour Airbus, les efforts se sont prolongés au-delà de la coopération avec les enquêteurs français et britanniques puisque le DoJ est lui aussi intervenu en ouvrant sa propre enquête portant notamment sur la violation de la législation FCPA (Foreign Corrupt Practices Acte). Le DoS aussi, en arguant du non-respect des règles Itar relatives au commerce international de l’armement.

Le programme de compliance, « digne des standards les plus élevés en la matière », selon l’expression de l’Agence française anticorruption mentionnée dans la CJIP, est un autre exemple de l’engagement d’Airbus dans la lutte contre la corruption.

Le programme de compliance, « digne des standards les plus élevés en la matière », selon l’expression de l’Agence française anticorruption mentionnée dans la CJIP, est un autre exemple de l’engagement d’Airbus dans la lutte contre la corruption. Pour le mettre en œuvre, John Harrison fait appel dès à son arrivée à celle avec laquelle il a mis en place la conformité post-DPA chez Technip : Sylvie Kandé de Beaupuy. Et lui donne les moyens de remplir sa mission. Tout d’abord, en liant la remédiation des comportements déviants à la mise en place de nouvelles règles : « Afin de nous assurer que le programme de conformité traite bien tel ou tel problème, le mieux est d’y être confronté, explique le directeur juridique et de la compliance. À côté de cela, les règles doivent correspondre à la réalité de chaque métier et au business. » Plusieurs centaines de millions d’euros ont été dévolus à la mission de la nouvelle équipe qui a bénéficié de recrutements en nombre et d’outils technologiques sécurisés conformes à la cartographie des risques établie en amont. « Le premier niveau est le programme, le second est le contrôle de son application partout dans le monde, le troisième est l’audit, explique John Harrison. Des démarches sans cesse renouvelées par des formations, de la communication… » Et, au-delà de ces mesures relativement classiques, Airbus a innové en la matière en instituant un comité indépendant composé de trois experts : l’ancienne ministre et avocate Noëlle Lenoir, son confrère anglais Lord David Gold et l’ancien ministre allemand Theo Waigel. Ils ont eu la liberté d’aller où il leur semblait bon d’aller, de rencontrer les personnes qu’ils souhaitaient rencontrer et ils ont accompagné la division conformité dans son travail avec l’objectivité de ceux qui n’appartiennent pas au groupe. Une idée originale de John Harrison, un quasi-monitoring. « Ils nous ont poussés à faire le maximum », se réjouit-il. Il fallait aussi compter sur l’aide des conseils en droit pénal et conformité, Gilles August d’une part, et Thomas Baudesson d’autre part. « Il est important pour un directeur juridique de pouvoir discuter de stratégie et de profiter de la vision des meilleurs experts », explique John Harrison.

Un deal gagnant-gagnant

Les résultats sont là : même si l’entreprise est encore sous surveillance durant trois ans – une mesure classique –, l’AFA a reconnu que le programme était « abouti » et conforme aux exigences de la loi Sapin 2. Airbus fera à l’avenir l’objet d’un monitorat de la part des services de l’Agence consistant principalement en la vérification de son déploiement par le biais d’audits ciblés. Dorénavant, l’entreprise est capable de détecter et de remédier efficacement les conduites non conformes.

Airbus n’est pas la seule partie à ce contrat à être satisfait. Le PNF vient de montrer qu’il pouvait prendre la direction d’une enquête internationale et trouver les moyens de lutter contre la corruption. Grâce ce dossier, qui a réuni quatre procureurs de trois nationalités différentes, le parquet français fait valoir à l’ensemble de ses homologues la force de ses équipes et sa capacité tant à poursuivre qu’à sanctionner. « Certes, les enquêtes internes ne sont pas nées avec la loi Sapin 2, réagit Gilles August. Mais la réforme a introduit un mécanisme de dialogue fructueux entre le parquet et les avocats de la défense. » Et son confrère Thomas Baudesson, de renchérir : « Sans l’aide d’Airbus, l’affaire aurait connu une autre issue, celle que nous avons déjà connue par le passé et qui consiste à voir une entreprise européenne sanctionnée par une autorité américaine. » Il est vrai que le DoJ et le DoS ont aussi sanctionné Airbus, mais la France est le pays qui a condamné le groupe à la plus lourde amende : 2,082 milliards d’euros pour le PNF, 984 millions d’euros pour le SFO, 9 millions d’euros pour le DoJ et 4,5 pour le DoS. Un deal gagnant-gagnant.

Pascale D'Amore

 

[1] La loi de blocage du 26 juillet 1968 encadre la transmission de documents incriminants une entreprise française à des autorités étrangères.

[2] Pour le PNF : Émirats arabes unis, Chine, Corée du Sud, Népal, Inde, Taiwan, Russie, Arabie saoudite, Vietnam, Japon, Turquie, Mexique, Thaïlande, Brésil, Koweït et Colombie. Pour le SFO : Corée du Sud, Indonésie, Sri Lanka, Malaisie, Taiwan, Ghana et Mexique.

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