Bruno Cavalié (Racine Avocats) : « Le vrai chef n’est pas celui qui décide, c’est celui qui convainc »
Décideurs. Les grands succès remportés par votre cabinet sont-ils le fruit d’un leadership individuel ou collectif ?
Bruno Cavalié. Le plus grand succès du cabinet a été de passer du leadership individuel au collectif. C’était il y a vingt ans et à l’époque cette évolution s’apparentait à une révolution qui heurtait la tradition de notre métier. En 1996, j’ai proposé à mes associés de modifier le nom du cabinet – qui s’appelait alors Cavalié & Associés – au profit d’un nom plus générique, collectif, représentant l’ensemble de l’équipe. Ce changement de paradigme en matière de leadership s’est révélé être un succès. Nous avons grandi rapidement et changé de stature pour bâtir un cabinet rivalisant avec les grands. Notre chiffre d’affaires est passé de 2,2 millions d’euros en 1996 à 41 millions d’euros en 2014 avec un taux annuel de croissance de 18 %.
Décideurs. Quelles sont les qualités indispensables pour susciter un leadership collectif ?
B. C. Le doute et l’écoute. Sans le respect des autres, rien n’est possible. Celui qui prétend toujours détenir la vérité peut être un leader charismatique, mais il ne suscitera jamais le moindre leadership collectif. L’écoute et le doute sont les deux maîtres mots de notre culture d’entreprise que nous avons fait l’effort de codifier. Ce sont des mots qui peuvent paraître curieux pour des avocats. En principe, ils sont considérés comme des hommes de certitudes et non des sceptiques. Nous sommes plutôt attendus sur nos prises de parole que sur notre capacité à écouter. Or, il n’y a de prise de parole forte et utile que si elle a été précédée de l’écoute attentive des autres. John Fitzgerald Kennedy disait que la meilleure façon de convaincre, c’est d’écouter ! Et c’est dans le doute préalable, qui induit le contrôle et le débat, que les grandes convictions se forgent et que le leadership collectif naît.
Décideurs. Si tout le monde est chef, alors il n’y a plus de chef ?
B. C. Le vrai chef n’est pas celui qui décide, c’est celui qui convainc. Le leadership de plein droit – « je décide parce que je suis le patron, et je suis le patron parce que j’ai créé le cabinet ou parce que j’ai été nommé, ou même élu » – n’a pour moi aucune valeur. Le seul leadership qui vaille est celui qui naît de l’influence naturelle sur les autres. Il y a toujours un chef, mais ce n’est pas toujours le même : c’est celui qui a convaincu les autres de prendre la décision qu’il souhaite.
Décideurs. Le leadership collectif est-il complémentaire du leadership individuel ?
B. C. Le leadership collectif se comprend comme celui d’un groupe dont les membres s’influencent mutuellement, chacun apportant le meilleur de lui-même. Or, si chacun des membres du groupe est lui-même un leader, l’alchimie qui se crée génère des valeurs qui sont celles du groupe et dont aucun de ses membres ne peut revendiquer la paternité exclusive. J’ai pu le constater ces dernières années en accompagnant le trio Bergé-Niel-Pigasse dans leurs investissements dans les médias. Le leadership de chacun d’eux n’est pas seulement avéré, il est proprement exceptionnel. Chacun de ces trois leaders charismatiques a des qualités différentes et leur mise en commun crée un leadership collectif sans égal. Celui-ci n’est pas fait de la seule juxtaposition de leurs talents individuels mais bien d’un leadership d’une autre nature, complémentaire. L’alchimie qui s’opère lors de leur réunion crée une autorité d’influence, une vision, une capacité à générer de l’enthousiasme supérieure à la somme des trois. Et lorsqu’elle est durable, c’est qu’une marque a été créée. Gide est un exemple, tout comme Racine. Mais, en France, ces cabinets devenus marques sont rares.
Propos recueillis par Pascale D’Amore