Atteintes au secret professionnel, limitation des libertés individuelles, multiplication de la concurrence, etc. : le président du Conseil national des barreaux (CNB) hausse le ton tout en gardant la réserve due à sa profession.

Décideurs. Pour prendre le relai de l’état d’urgence, le gouvernement prépare un texte de lutte contre le terrorisme renforçant les prérogatives étatiques dans le cadre de la procédure pénale. Quelle est votre réaction à ces mesures ?

Pascal Eydoux. Les avocats défendent les mis en cause tout autant que les victimes. Et les pouvoirs publics répondent ici à un souhait de sécurité de nos concitoyens, nous ne pouvons pas nous y opposer. Mais à chaque loi votée dans l’urgence, nos libertés sont diminuées. Suite à l’attentat contre Charlie Hebdo a été votée la loi sur le renseignement qui restreint le secret professionnel. Dans la foulée du 13 novembre, le gouvernement a fait voter l’état d’urgence, qui limite nos libertés individuelles. Or, les preuves d’inefficacité de ces mesures de réaction aux événements sont nombreuses. La loi sur le renseignement donne plus de moyens d’enquête aux officiers de police judiciaire mais pas dans le traitement des informations recueillies. Il faut nécessairement plus de moyens pour accompagner ces mesures, avec un effectif renforcé des forces de police, des formations adaptées et un réel budget associé.

 

Décideurs. C’est donc l’esprit de la réforme pénale que vous critiquez ?

P. E. Oui puisque ces lois sont des lois « consolatrices », politiques, donc peu efficaces.

 

Décideurs. La protection de la déontologie de l’avocat devrait primer sur la sécurité ?

P. E. Les avocats sont souvent mal vus puisque nous sommes considérés comme des complices et pas comme des défenseurs. Cette suspicion est prégnante autant dans l’opinion publique qu’auprès des pouvoirs publics. Nous sommes en tout cas considérés comme des obstacles à l’émergence de la vérité. C’est d’ailleurs sur cette conception que sont promulguées les lois antiterroristes, comme un éloignement de l’avocat tout au long de la procédure. Lors de la préparation de la loi sur le renseignement, j’avais prévenu le conseiller du Premier ministre sur l’erreur qui consiste à faciliter la faculté d’intrusion chez les individus, y compris dans le bureau d’un professionnel protégé comme l’avocat, sans aucune considération de l’éthique. Il me semblait déjà que cela n’empêcherait pas un nouvel attentat et que s’il se produisait, la crédibilité des textes d’urgence serait en question.

 

Décideurs. Que proposez-vous ?

P. E. Il faut, en amont, donner à l’ensemble des autorités d’investigation plus de moyens pour éradiquer la source du terrorisme. Cela induit un texte réfléchi et travaillé avec l’ensemble des acteurs de la police et de la justice, a contrario des lois consolatrices. Aujourd’hui, l’ensemble des pouvoirs est dévolu à la police tandis que l’institution judiciaire est négligée, en particulier le juge d’instruction et l’avocat.

 

Décideurs. Puisque vous partagez aujourd’hui les mêmes intérêts, est-ce le moment pour les avocats d’agir de concert avec les magistrats ?

P. E. Nous avons avec les magistrats la même mission de régulation des rapports sociaux. Mais je me demande si les pouvoirs publics ne font pas plus confiance au juge administratif qu’au juge judiciaire. On ne voit en effet aucune valorisation du juge d’instruction. La preuve, ils ne dirigent que 4 % ou 5 % des affaires pénales. Certains procureurs, au contraire, s’alarment parce qu’ils ont de plus en plus de missions mais sans le budget nécessaire pour les remplir.

 

Décideurs. Avez-vous un message à faire passer à vos confrères ?

P. E. Les pouvoirs publics ne peuvent pas ignorer l’institution judiciaire à ce point. Les avocats doivent pouvoir leur rappeler leur responsabilité, comme nous l’avons fait en saisissant le Défenseur des droits et le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale.

 

 

« La profession est régulée mais cela ne nous empêche pas d’être modernes et compétitifs »

 

 

Décideurs. Quelles sont les suites de cette démarche ?

P. E. Pour le moment, nous n’avons pas connaissance d’abus suite à la mise en place de l’état d’urgence. Cela veut dire aussi que l’opinion publique est favorable à cette idée et que nos concitoyens valorisent l’action des pouvoirs publics en pensant qu’ils seront ainsi mieux protégés.

 

Décideurs. N’est-ce pas le moment pour le président du CNB de faire entendre sa voix plus que d’habitude ?

P. E. Pour le moment, la position des avocats ne peut être que dans la retenue face à une opinion publique qui veut plus de sécurité et des pouvoirs publics qui adoptent des réformes dans l’urgence. Notre communication doit être celle de l’action et pas celle de la contradiction. Nous répondons lorsque nous sommes sollicités, mais nous n’avons pas de rôle à jouer dans l’opposition.

 

Décideurs. Le bâtonnier Frédéric Sicard, lui, est sur tous les fronts…

P. E. Oui, et tant mieux. Il tient son rôle qui n’est pas en contradiction avec le CNB.

 

Décideurs. Il a également relancé le débat sur l’avocat en entreprise, en indiquant qu’il devrait être réservé aux plus hauts gradés des directeurs juridiques. Qu’en pensez-vous ?

P. E. Il a surtout raison de dire qu’il faut travailler avec l’ensemble des avocats pour les intégrer dans l’entreprise. De notre côté, nous avons élaboré un projet pour permettre à l’avocat de développer une activité dans l’entreprise qui ne soit pas de nature à nuire à son indépendance.

 

Décideurs. Quelle forme prendrait l’avocat en entreprise version CNB ?

P. E. Nous ne voulons pas qu’une nouvelle profession réglementée se structure. La solution serait d’autoriser l’activité de l’avocat libéral au service exclusif d’une entreprise. Il serait aussi dépendant de l’Ordre. C’est exactement ce que les Allemands viennent de décider. Nous avons donc écarté la solution du salariat et nous discutons avec le Cercle Montesquieu et l’AFJE, qui considèrent encore qu’il est illusoire d’être libéral en entreprise. Mais nous devons le faire parce qu’aussi bien les avocats que les directeurs juridiques sont en concurrence avec les experts-comptables et les notaires.

 

Décideurs. C’est-à-dire ?

P. E. Les experts-comptables font du conseil juridique à titre accessoire et veulent développer cette activité à forte valeur ajoutée. A contrario : les avocats doivent pouvoir faire de l’expertise comptable. Les notaires craignent la perte de leur monopole sur l’acte authentique. Nous leur répondons que nous attendons l’ordonnance sur l’interprofessionnalité pour étendre stratégiquement notre collaboration.

 

Décideurs. La concurrence vient aussi des legal start-up. Comment agissez-vous ?

P. E. Le CNB ouvrira au premier semestre 2016 sa plate-forme de consultation, d’information et de conduite des procédures en ligne. Elle sera ouverte à tous les avocats de France. La profession est régulée mais cela ne nous empêche pas d’être modernes et compétitifs.

 

Propos recueillis par Pascale D’Amore

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