Si pour Rose Ouahba les politiques non conventionnelles menées par les banques centrales ont répondu en partie aux attentes, elles ont également créé de fortes distorsions en termes de valorisation d'actif et conduit les investisseurs à prendre davantage de risque dans la quête de rendements plus élevés.

Décideurs. De nombreux observateurs s’interrogent sur l'efficacité de la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Estimez-vous qu'elle a répondu aux attentes ?

Rose Ouahba. Avant le lancement du programme d’assouplissement non conventionnel de la BCE, le marché financier européen était fragmenté. Mario Draghi avait pour ambition de réparer les mécanismes de transmission de la politique monétaire pour que la baisse des taux d’intérêt puisse profiter à l'économie réelle. Pour atteindre cet objectif, il fallait opérer une réduction des primes de risques des obligations souveraines sur le marché puis le stabiliser. De ce point de vue-là, le quantitative easing a fonctionné. S'agissant de l’inflation, plusieurs facteurs viennent troubler sa lecture, notamment la baisse des matières premières. Malgré tout, nous ne sommes plus dans une optique de déflation puisque la croissance en Europe s'est enfin stabilisée. Celle-ci devrait d'ailleurs se poursuivre l'année prochaine. Concernant l'impact sur les taux d’intérêt, il convient de rappeler que le quantitative easing est une politique de reflation. On ne doit donc pas s'attendre à avoir une baisse des taux très importante sur la période. Les baisses des taux espagnols, italiens et portugais se sont faites dans des proportions très mesurées par rapport à ce que l'on pouvait attendre au début de ce QE. C'est, à mon sens, le signe que la politique monétaire fonctionne. À ce titre, nous pourrions assister au cours des prochains mois au rétrécissement de la prime de risque entre les dettes des États souverains périphériques et l'Allemagne, cette prime de risque étant encore supérieure de 50 points de base. En conclusion, je dirais que le QE fonctionne en matière de diffusion de la politique monétaire mais qu'elle ne se réalise pas sans dommages collatéraux.

 

Décideurs. Vous évoquez les dommages collatéraux provoqués par le quantitative easing. Quels sont-ils ?

R. O. Ces politiques non conventionnelles ont créé de fortes distorsions en termes de valorisation d'actifs. Elles ont conduit les investisseurs à prendre davantage de risques dans la quête de rendement, tant est si bien que la valorisation de certains actifs n'était plus en rapport avec les fondamentaux observés. L'exemple des obligations souveraines allemandes en est la plus parfaite illustration. Ces distorsions ont également touché les marchés du crédit. Leur dégradation est visible aux États-Unis mais demeure absente des marchés européens. Les entreprises ont augmenté leur niveau d'endettement. Cela a été sanctionné par une vague d'abaissement des ratings par les agences de notation, mettant en exergue la dégradation de leur solvabilité. Une problématique à laquelle s'ajoute une crise sectorielle sur les matières premières qui aggrave un peu plus le stress autour du marché du crédit. Si les actifs risqués demeurent toujours soutenus par la politique de la Banque centrale, nous arrivons aujourd'hui au terme de ces distorsions de valorisation.

 

Décideurs. L'heure n'est donc pas à la prise de risque ?

R. O. Nous sommes dans un temps réservé aux investissements plus défensifs. L'idée est de se créer de la marge de manœuvre pour pouvoir profiter d'un rattrapage des valorisations et des fondamentaux. Nous souhaitons ainsi garder des moteurs de performance tout en nous protégeant contre une diminution de la valeur des actifs risqués. Notre stratégie d'investissement repose sur plusieurs piliers de performance. Parmi eux, on notera les obligations émises par les banques, émissions subordonnées et très subordonnées que l'on appelle Cocos bonds et additionnal tiers one. Ces dernières offrent un rendement attractif pour une prise de risque mesuré, sur les établissements bancaires de premier rang. Notre confiance vis-à-vis de ces titres réside dans le fait que les établissements financiers sont en train de se désendetter, renforcent leur structure de capital et ont accès à tout moment à des liquidités bon marché auprès de la banque centrale européenne. Les entreprises non financières n'ont pas cette chance, puisqu’elles sont tributaires des évolutions de marché pour se refinancer. Une obligation dite Coco émise par une banque de premier ordre propose une rémunération de 7 % à 8 %. Nous nous sommes donc positionnés sur les titres des champions nationaux tels que le Crédits agricole, la BNP, Banco Santander, le Crédit suisse, UBS ou encore Barclays. Nous sommes, en outre, actifs sur le marché du haut rendement européen, avec des choix spécifiques, comme celui du complexe Altice-Numéricable. Notons également que nous avons protégé nos encours, sur la partie hors financière, en faisant l'acquisition d'assurances contre le risque de défaut. Enfin s'agissant des obligations gouvernementales, les titres émis par l'Espagne, le Portugal et même les États-Unis ont notre préférence. Nous pensons, en effet, que la flexibilité des autorités chinoises vis-à-vis de leur politique de change et les dépréciations graduelles de leur monnaie constituent une force déflationniste venant soutenir les marchés obligataires.  

 

Propos recueillis par Aurélien Florin

Retrouvez la suite de cet entretien dans l'édition 2016 du supplément « gestion de patrimoine & gestion d'actifs » du magazine décideurs

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