Le fait religieux en entreprise : quel cadre juridique, quel comportement adopter ?
L’entreprise, en participant à l'économie et à la force de notre société, est dans le même temps le réceptacle et l’amplificateur des phénomènes qui se produisent en son sein.
Le chef d’entreprise, en organisant les missions de ses salariés, doit de plus en plus faire face à de nombreuses questions, notamment celle de la manifestation par le salarié de son appartenance religieuse.
Ce phénomène, constaté régulièrement, peut trouver des réponses appropriées et pérennes.
L’entreprise est régie par plusieurs principes (en droit social): principe de subordination juridique (cadre habituel de la relation de travail) ; liberté d’expression, protection de la santé et la sécurité du salarié et…. liberté religieuse. il convient de les articuler. En effet, dans les entreprises privées (je ne traiterai pas des entreprises publiques qui bénéficient d’un statut particulier), le principe est la liberté religieuse. Il n’est donc pas possible d’imposer un strict devoir de neutralité religieuse ou encore interdire toute manifestation religieuse.
Cependant, même si la liberté religieuse est protégée par de nombreux textes : international, européen et français (absence de discrimination, possibilité d’exprimer ses convictions religieuses, ….,) celle-ci pourra cependant être encadrée si la restriction apportée est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.
Pour cela, il convient d'une part d’analyser plusieurs éléments: le fait religieux en cause (fête religieuse, port de signes distinctifs, etc….), l’activité du salarié et son environnement, et d'autre part mettre en place des mesures proportionnées.
En voici quelques illustrations, de la plus simple à la plus complexe:
I. Vous, entrepreneur, avez l’obligation d’assurer la sécurité au travail : le respect de cette obligation peut conduire à apporter des restrictions objectives et légitimes.
La jurisprudence est constante sur ce point : s’il y a incompatibilité entre une pratique religieuse (port d’un signe religieux, pratique, …) et la sécurité au sein de l’entreprise, il est possible, voire nécessaire, d’interdire cette manifestation.
Les exemples sont nombreux et j’en citerai simplement quelques-uns pour lesquels la santé et la sécurité priment et le salarié ne pourra pas opposer sa liberté religieuse: un maçon refuse de mettre son casque de protection sur un chantier car sa religion lui interdit de se couper les cheveux, un machiniste refuse de tailler sa barbe alors qu’elle peut se prendre dans la machine, un salarié refuse la visite médicale au motif que sa religion lui interdit de se dévêtir devant une personne de sexe opposé, une infirmière garde sa croix alors que cela est interdit pour des raisons d’hygiène vis-à-vis des patients. Le refus du salarié n’est pas légitime.
II. De même, tout acte de prosélytisme peut être sanctionné car cela dépasse le cadre simple de la liberté religieuse.
Bien sûr, un certain nombre de situation nécessite une analyse fine pour savoir ce qui est déterminant entre la liberté religieuse et la restriction apportée par l’entreprise :
La demande d’autorisation d’absence pour une fête religieuse : la gestion de cette absence doit se faire comme toute demande d’absence : le chef d’entreprise l’analysera au regard de l’organisation du service concerné : il pourra la refuser si cela perturbe l’organisation du service (ex. : si 60 % demande le même jour à s’absenter alors qu’il est nécessaire d’avoir pour la bonne gestion du service d’avoir au minimum la moitié des effectifs).
Demeure un thème plus sensible : la restriction à la liberté religieuse liée à des impératifs commerciaux : la sensibilité de la clientèle et l’image de marque.
Les juges européens et français n’ont pas explicitement tranché cette question mais donnent cependant des orientations.
Je citerai pour exemple le dernier arrêtde la Cour de Cassation du 9 avril 2015. Les faits sont les suivants: une ingénieure en informatique qui intervenait dans les locaux de clients a été licenciée car elle refusait de retirer son voile suite à la demande formulée en ce sens par le client. La Cour de Cassation n’a pas tranché cette question et l’a posée à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). La questiona posé est la suivante : « Le souhait du client de ne plus travailler avec des salariées voilées constitue-t-il une exigence professionnelle essentielle et déterminante ….., habilitant l’employeur à restreindre la liberté religieuse d’une salariée ? ». Nous attendons avec intérêt la position de la CJUE.
En conclusion : mes recommandations : Au-delà des grandes lignes de la jurisprudence, il est aujourd’hui nécessaire pour les entreprises de prendre en compte ce phénomène.
Il convient bien sûr de traiter chaque demande individuelle et d’y apporter une réponse adaptée, que ce soit une acceptation ou un refus. L’important est de pouvoir le justifier par des raisons objectives.
Il peut être également intéressant de réfléchir avec vos partenaires sociaux à la mise en place d’une charte de bonne conduite, qui favorisera d’une part une prise de conscience de tous et d’autre part, de trouver les moyens, tout en respectant les convictions de chacun, de mieux vivre ensemble dans l’entreprise.