Le doute profite à celui qui s’engage
Notre droit tend à protéger ceux qui sont exposés à un déséquilibre contractuel et/ou économique. L’article 1162 du code civil en est une illustration. Il prévoit que le juge doit, en cas de doute, protéger celui qui s’oblige, au détriment de celui qui a stipulé l’obligation. Un texte qui peut s’avérer lourd de conséquences en cas de contentieux.
La loi protège celui qui s’oblige, en cas de doute
On a coutume, en matière pénale, de dire que « le doute profite à l’accusé ». Or, le doute peut aussi être utilement invoqué à l’occasion de différends portés devant les tribunaux, tant en droit commercial qu’en droit de la consommation. Le législateur aime protéger « le faible », ou celui qui se trouve en position de déséquilibre. À ce titre, les mécanismes ne manquent pas en faveur de la victime d’une position dominante (cf. l’abus de position dominante visé à l’article L. 420-2 du code de commerce ou l’abondante jurisprudence sur les clauses abusives).
Mais, outre ces règles spéciales, il existe une disposition beaucoup plus générale du droit des obligations qui reste malgré tout assez peu connue et dont les effets peuvent pourtant s’avérer redoutables en cas de litige : l’article 1162 du code civil aux termes duquel « dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation » . Ce texte d’application très large (puisque figurant dans le socle des principes fondateurs du droit des contrats) a vocation à être invoqué dans de multiples matières : droit immobilier, droit des assurances, droit de l’informatique, etc. La même règle est reprise à l’article L. 133-2 du code de la consommation qui dispose que « les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels (…) s’interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel » .
L’absolution judiciaire par le doute
Gare à celui qui prend le risque de la rédaction d’une clause ambigüe ou ne permettant pas de trancher clairement ce qui doit être appliqué lorsque le différend survient. Il s’expose alors à une interprétation du contrat par le juge en sa défaveur, celui qui s’est obligé pouvant se trouver absous grâce au doute sur le fondement de l’article 1162 du code civil s’il n’existe pas d’autre solution permettant de trancher le litige.
Le rédacteur d’un contrat doit donc avoir à l’esprit qu’il risque, un jour, de perdre son procès si les dispositions contractuelles qu’il rédige ne sont pas suffisamment précises, notamment si elles ne permettent pas de caractériser la nature et la portée de l’engagement de son cocontractant. Véritable « bombe à retardement », l’article 1162 du code civil viendra en effet libérer le débiteur qui saura faire, à bon escient, usage de cette arme au détriment de son créancier.
Illustrations jurisprudentielles du bénéfice du doute – Recommandations
La pratique regorge de situations concernées par l’article 1162 du code civil. Citons le cas d’une clause de complément de prix de cession d’une entreprise dont les modalités de calcul se révèleraient complexes à mettre en œuvre et conduiraient ainsi les parties à un procès à opposer, devant la juridiction saisie, deux positions contraires. Si le juge ne se trouve pas in fine en mesure de trancher, il peut alors à la demande du cessionnaire faire application de l’article 1162 du code civil et ainsi faire prévaloir la solution sollicitée par ce dernier, en l’exonérant, si le doute subsiste, de tout ou partie du paiement des sommes réclamées par le cédant.
Initialement conçu comme devant porter secours au seul « débiteur » d’une obligation, vis-à-vis de son « créancier », l’article 1162 du code civil a connu au cours de ces dernières années une application beaucoup plus extensive avec le développement de la pratique des contrats d’adhésion, notamment dans le domaine des assurances ou en matière informatique. À ce titre, ce ne sont plus seulement les créanciers stricto sensu qui ont subi l’application de ce texte mais plus généralement les rédacteurs de contrats, pour lesquels la Cour de cassation (mais aussi des juridictions d’appel) ont donné raison aux adhérents, au bénéfice du doute, en présence de clauses obscures ou empreintes de lacunes. 1
Les exemples ne manquent pas, notamment en droit des assurances 2 , en matière de baux 3 , dans le domaine des contrats informatiques 4 , ou encore en droit du travail 5 .
Par un arrêt du 27 mars 2007, la Cour de cassation a même été conduite à ériger l’article 1162 du code civil en tant que règle de droit dans des termes qui, s’ils n’ont pas été approuvés par la majeure partie de la doctrine, n’en sont pas moins révélateurs de l’importance que ce texte peut prendre : « (…) ayant énoncé qu’aux termes de l’article 1162 du code civil, la convention doit s’interpréter contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation, la cour d’appel en a déduit, par une interprétation souveraine des termes des actes que leur ambiguïté rendait nécessaire, que la résiliation des contrats reconduits était autorisée à tout moment ; qu’en l’état de ces énonciations, et appréciations, la cour d’appel a légalement justifié sa décision (…) » 6 .
Ainsi, les rédacteurs de contrats, ou ceux qui en ont « hérités », pourraient avoir intérêt à faire réaliser un audit contractuel (ou seraient bien inspirés d’y penser) afin de se prémunir contre le risque de voir un jour les tribunaux donner raison à leurs cocontractants, sur la foi d’un simple doute.
1. Cass. 1ère civ. 22 octobre 1974 (Bull. Civ. 1974, I, n°271)
2. CA Paris, 15 septembre 2008 n°07/00893 (Jurisdata n°2008-002047)
3. CA Versailles, 10 décembre 2013, n°12/01829 (Jurisdata n°2013-030463)
4. CA Paris, 5 décembre 2014, n°12/05089 (Jurisdata n°2014-031028)
5. CA Nancy 5 juin 2000, n°00/00548 (Jurisdata n°2000-122313)