Jean-Louis Debré est à l’image de l’immense collection de bustes de Marianne qui émaillent les recoins de son bureau : impressionnant autant que déconcertant.

Il y a neuf ans, l’ancien ministre de l’Intérieur quittait le Palais-Bourbon pour le Palais-Royal. Fier de sa « maison », le chiraquien à l’humour piquant a mis en ordre de bataille le 2 rue de Montpensier dont il rendra les clés en février prochain. En moins d’une décennie, le Conseil des sages a acquis ses lettres de noblesse en mettant en place un contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori (QPC). Une réforme qui a désormais valeur d’exemple dans le monde entier et permet au président de la juridiction constitutionnelle française de tirer sa révérence avec le sentiment du devoir accompli.

 

Décideurs. L’organisation du Conseil constitutionnel n’a guère évolué. Pourtant, en cinq ans, il y a eu plus de décisions rendues qu’en cinq décennies. Comment l’expliquez-vous ?

Jean-Louis Debré. Les membres du Conseil constitutionnel se sont mis à travailler plus. En 1973, par exemple, ils n’avaient rendu que trois décisions. Rassurez-vous, nous ne sommes pas surmenés. Après avoir observé l’organisation des cours constitutionnelles italienne et espagnole, je me réjouis d’ailleurs que nous ne soyons que neuf pour statuer. Ce petit comité ne nous empêche pas de rendre nos décisions dans les délais : deux mois et dix jours pour la QPC et un mois pour la saisine directe.

 

Décideurs. Cela justifie-t-il que le Conseil se saisisse de moins en moins souvent d’office ?

J.-L. D. Auparavant, lorsqu’il examinait une loi déférée au motif que certains articles pourraient être contraires aux droits et liberté garantis par la Constitution, il s’accordait la possibilité de regarder la constitutionnalité de l’ensemble de la loi et même des articles non contestés. Aujourd’hui, nous le faisons beaucoup moins du fait de la possibilité de QPC.  

 

Décideurs. La QPC, c’est votre combat…

J.-L. D. Sans cela, je ne serais probablement pas resté président du Conseil constitutionnel. C’est une avancée significative pour la Ve République et les justiciables, pour notre état de droit.

 

Décideurs. Quel bilan tirez-vous de vos neuf années à la tête du Conseil constitutionnel ?

J.-L. D. L’institution n’est plus la même que celle que j’ai trouvée en arrivant avec plus de décisions en cinq ans qu’en quarante-neuf ans, le nombre inchangé de fonctionnaires mais de très grand professionnalisme ou la construction d’une nouvelle salle d’audience qui marque la juridictionnalisation de cette institution, un greffe performant, des audiences publiques, des avocats qui plaident... Jamais la maison n’a été aussi ouverte sur l’extérieur notamment vers les étudiants en droit, concours de plaidoiries, salon du livre juridique…

 

Décideurs. Vous avez aussi réduit les dépenses…

J.-L. D. Elles ont été réduites de 23 %  alors que nous travaillons beaucoup plus.

 

Décideurs. Quelle est votre plus grande fierté ?

J.-L. D. L’indépendance de cette maison !

 

Décideurs. Avez-vous le sentiment du devoir accompli ?

J.-L. D. Oui, car nous n’avons pas hésité à annuler les comptes de campagne d’un candidat à la présidence, là où l’un de mes prédécesseurs avait préféré faire la sourde oreille. Nous ne craignons pas un instant de retoquer une surtaxe de 75 %, figurant pourtant parmi les promesses d’un candidat à la présidentielle. C’est ça l’indépendance ! Et elle s’illustre symboliquement. Aujourd’hui, il n’y a plus un seul portrait des anciens présidents de la République : ils ont tous été remplacés par des Marianne.

 

Décideurs. Quel est votre souvenir le plus marquant ?

J.-L. D. Il y en a plusieurs. Mais la première QPC reste gravée dans ma mémoire. En l’absence de salle d’audience, nous l’avons organisée dans le grand salon. La seconde QPC portait sur la présence des avocats lors de la première heure de garde à vue. Lorsque j’étais juge d’instruction, il y a plus de trente ans, le problème se posait déjà mais personne n’avait jamais osé dire que ce régime ne permettait plus de garantir le respect des droits et des libertés des citoyens. Nous l’avons fait ! La QPC vient bousculer l’administration et son immobilisme qui empêchent bien souvent le pays d’avancer. Mais mon plus grand souvenir, c’est lorsque nous avons annulé la loi de 1838 sur l’hospitalisation sans consentement. Ce jour-là, j’ai pensé à Camille Claudel hospitalisée contre son gré pendant trente ans. On l’a laissée mourir dans un hospice. C’est aussi ça la QPC : rétablir la justice. Je n’ai finalement que des bons souvenirs.

 

« Je n’ai pas de favori, ce qui n’empêche que j’ai beaucoup de sympathie pour Lionel Jospin »

 

Décideurs.  Et aucun regret ?

J.-L. D. Un seul, lorsque nous avons délibéré pendant sept heures. J’aurais dû dire : « On continue demain. » Mais la règle veut qu’on ne quitte la salle d’audience que si la décision est rendue. Celle qui a été prise n’était finalement pas parfaitement compréhensible.

 

Décideurs. Qu’attendez-vous de votre successeur ?

J.-L. D. Qu’il préserve l’indépendance de cette maison, qu’il continue de l’ouvrir pour qu’elle devienne une juridiction qui rayonne par sa jurisprudence, qu’il poursuive les économies. Je lui souhaite de résister au pouvoir quel qu’il soit et à tous ceux qui voudraient augmenter le nombre de membres du Conseil constitutionnel. Peut-être devra-t-il par ailleurs agir pour soulever un peu le voile du filtre et permettre aux autorités administratives indépendantes de nous saisir directement.

 

Décideurs. Lionel Jospin est-il votre favori ?

J.-L. D. Je n’ai pas de favori, ce qui n’empêche que j’ai beaucoup de sympathie pour lui. Il est un membre du Conseil à bien des égards exemplaire.

 

Décideurs. Et vous, quels sont vos projets ?

J.-L. D. Je suis en train d’écrire un livre intitulé Ce que je ne pouvais pas dire. Mais il ne traitera pas des délibérés, puisque je suis tenu au secret…

 

Décideurs. Allez-vous revenir en politique ?

J.-L. D. Non. J’ai toujours eu à cœur de la quitter avant qu’elle ne me quitte…

 

Propos recueillis par Capucine Coquand

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