Le parquet financier et l’AMF ne peuvent plus poursuivre conjointement les abus de marché. Le législateur devra trancher sur la répartition de leurs compétences avant septembre 2016. En attendant, l’ensemble des acteurs de la répression se sont réunis pour élaborer des solutions.

Le colloque de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) aurait pu être comme chaque année un simple retour sur le bilan de l’action de l’institution. Sauf que le contexte politique et juridique a alimenté un vif débat sur la répartition des compétences entre le gardien des marchés financiers et le parquet national financier (PNF) en matière d’abus de marché. « Le temps presse et aucune solution ne s’impose d’elle-même », prévient Michel Pinault, président de la commission.

 

Quelques cas seulement d’annulation

« Le dispositif était rodé, avec uniquement quelques cas d’annulation de sanction », regrette France Drummond, membre de la commission de sanction. Pour rappel, la situation de blocage est née de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars dernier[1] adoptée après QPC dans le dossier EADS. Sur le principe du non bis in idem, elle interdit le cumul des poursuites des abus de marché par des autorités judiciaire et administrative. Elle renvoie au législateur le soin de prévoir les modalités de la répartition de ces compétences. Mais avec quelle réglementation exactement s’agit-il de mettre notre droit en conformité ? La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ou la Constitution ? Pour la CJUE[2], deux faits identiques ne peuvent être poursuivis par deux autorités différentes. « Cela induit que ce qui est du droit fiscal et ce qui est de l’urbanisme peuvent être requalifié en pénal », explique le conseiller d’État Mattias Guyomar. Pour la CEDH[3], c’est le cumul des poursuites qui est interdit, pas des sanctions. Le Conseil constitutionnel préfère se référer au principe de proportionnalité des délits et des peines. « Quoi qu’il en soit, le rapprochement de ces différentes jurisprudences aboutit au même résultat : une personne poursuivie pour les mêmes faits ne peut l’être deux fois », conclut Mattias Guyomar.

 

Ni l’AMF ni le PNF

« Nous ne pouvons pas rester dans un débat de techniciens du droit. Il faut lui redonner un objectif politique au sens noble du terme, c’est-à-dire améliorer la répression de la délinquance financière », commente Michel Pinault. Une concertation entre autorités judiciaire et administrative est donc indispensable. « Faisons confiance aux parties en présence ! », conclut-il. Sauf que celles-ci en présence ne sont pas d’accord sur le mécanisme à mettre en œuvre pour que le droit français soit conforme à la Constitution et au droit européen.

Une proposition de loi a été déposée au Sénat jeudi 7 octobre. Son auteur, Claude Raynal, tente une approche politique. Le sénateur, déjà à l’origine des lois sur la fraude fiscale et sur la séparation des activités bancaires s’interroge sur l’opportunité de la création d’un tribunal arbitral des marchés financiers, composé de trois magistrats de la Cour de cassation, trois du Conseil d’État et une présidence tournante. Une solution qui ne séduit ni l’AMF ni le PNF. « Nous proposons un arbitrage par le parquet général, annonce Éliane Houlette, procureur national financier. Il départage déjà les parquets régionaux, notamment en matière de fraude fiscale ou d’atteinte à la probité. De plus, il a compétence exclusive pour connaître des décisions de la commission des sanctions. » Pour cette dernière, « avec des critères simples de répartition des compétences, de la volonté et la coopération intelligente entre l’AMF et le PNF, il est possible de s’affranchir des débats stériles. »

 

Dépénalisation partielle

L’AMF n’est pas plus d’accord avec l’instauration d’un tribunal arbitral. Rien de mieux que son propre rapport présenté en mai dernier. Celui-ci propose une dépénalisation partielle des abus de marché puisque tout ce qui serait qualifié de manquement serait de la compétence de l’autorité administrative[4]. Gérard Rameix explique sa position : « Nous devrions inscrire dans la loi les critères de gravité qui décident de la poursuite du parquet. Les cas les plus graves seraient qualifiés au pénal. Mais si c’est pour mettre une bonne amende, mieux vaut aller voir Michel Pinault », ironise-t-il. Son objectif : ne pas devenir un obstacle à l’action publique. « Heureusement, jusqu’à présent, le PNF a toujours répondu que les dossiers que nous lui présentions ne l’intéressait pas ! L’essentiel est de ne pas être cet âne posté à équidistance de deux mottes de foin et qui reste immobile. » Une position qui inquiète Claude Raynal car cet « heureusement » trahit l’éventualité d’un « malheureusement », lorsque PNF et AMF ne seront pas d’accord. C’est justement dans ces cas que le sénateur a prévu un arbitrage indépendant, extérieur au parquet général, « qui est de votre maison, Madame le procureur financier, et qui ne vous contredira donc jamais », lance-t-il.

 

Arrière-garde

L’absence de consensus sur les modalités de répartition de la compétence entre le PNF et l’AMF en matière d’abus de marché est donc criante. Comment pourraient-ils se mettre d’accord sur le quotidien des dossiers ? D’autant plus que les deux autorités ne s’entendent pas sur l’opportunité d’inscrire les critères dans la loi. « L’absence de critère objectif dans le texte crée une inégalité devant la loi. Il faut garder à l’esprit qu’au pénal, une peine d’emprisonnement est encourue. Et il faut que ça tranche ! Nous sommes le pays d’Europe qui cumule le plus faible montant de réparation des préjudices causés par les abus de marché », précise Didier Martin, avocat associé chez Bredin Prat.

Un combat d’arrière-garde, pour Michel Prada, ancien président de l’AMF qui pose la question que personne n’ose esquisser : « Pourquoi acceptons-nous que ce cadre nous soit imposé ? La France cède de manière surprenante à un gouvernement des juges. » C’est-à-dire celui de la CEDH et de la CJUE, qui déséquilibre un système bien « rodé », mais qui permettait tout de même à l’AMF de rejeter les poursuites dans un dossier comme EADS qui semblait retenir toute l’attention du juge pénal, prêt à sanctionner durement.

 

 

Pascale D'Amore

 

[1] Décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015

[2] CJUE, Aklagaren c./ Hans Akerberg Fransson, 26 février 2013

[3] CEDH, Grande Stevens et a. c/ Italie, 4 mars 2014

[4] Selon les critères suivants : gravité, intentionnalité, récidive, manœuvres frauduleuses ou bande organisée

 

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