Par Alexandre de Fontmichel, associé, et Alexandre Meyniel, collaborateur, SLV&F
À l’heure où s’achève le cinquième cycle de négociations entre l’Union européenne et les États-Unis relatives au partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), revenons brièvement sur le débat qui entoure l’inclusion d’un mécanisme de résolution des différends entre investisseurs et États au sein du TTIP.

Canaliser les contentieux

Le TTIP est un traité international dont l’objet est la suppression de barrières commerciales dans de nombreux secteurs économiques afin de faciliter les échanges commerciaux de services et de marchandises entre l’Union européenne et les États-Unis. Il assure en outre une protection réciproque aux investissements effectués par les nationaux de l’Union et des États-Unis. Cette protection se matérialise par des obligations prohibant notamment la discrimination entre les nationaux et les investisseurs étrangers, les expropriations sans compensation effective, ou encore les traitements injustes et inéquitables.

Il s’est alors posé la question de savoir si la protection des investissements couverts par le TTIP exigeait l’introduction de mécanismes procéduraux permettant de canaliser les contentieux entre les investisseurs des États-Unis et de l’Union d’une part, et les États-Unis et l’Union d’autre part. En l’espèce, il s’agirait de permettre à un investisseur de l’une des deux parties contractantes au TTIP de recourir à un arbitrage à l’encontre de l’autre partie contractante en cas de violation de ses obligations en vertu dudit traité.

Le succès de l’arbitrage d’investissement…

Plus communément intitulé arbitrage d’investissement ou investor state arbitration, cette méthode de résolution des conflits entre un investisseur étranger et l’État hôte de l’investissement n’est pas nouvelle, la première affaire intentée sur le fondement d’un traité datant de 1987(1)  . Depuis, plus de 568 affaires impliquant un différend entre un investisseur étranger et un État ont été comptabilisées, dont 57 en 2013(2) . Le succès rencontré par l’arbitrage d’investissement n’est pas anodin. Il est le fruit d’une volonté des États de dépolitiser le contentieux économique international et d’assainir les relations diplomatiques interétatiques.

Ces clauses se trouvent le plus souvent au sein de traités bilatéraux ou multilatéraux, comme c’est le cas avec le TTIP(3). La singularité d’inclure un tel mécanisme au sein d’un traité bilatéral ou multilatéral est que les États contractants s’engagent, avant même la naissance du litige, à soumettre à l’arbitrage leur différend avec un investisseur d’un autre État contractant dès lors que cet investisseur remplirait les conditions posées par le traité pour intenter un tel recours.

… face aux craintes de certains

Certains pays ont d’ores et déjà émis des craintes à l’idée d’inclure une clause d’arbitrage dans le chapitre relatif à la protection des investissements du TTIP . En effet, l’Allemagne a prévenu qu’elle s’opposera à l’insertion d’une clause d’arbitrage permettant un recours direct des investisseurs envers les deux parties contractantes, arguant que les investisseurs américains bénéficiaient d’ores et déjà une protection suffisante auprès des juridictions nationales de l’Union européenne. Telle n’est pas la position de la Commission européenne, des États-Unis ou encore des entreprises présentes sur les deux continents.

La position de l’Allemagne peut surprendre. Rappelons qu’elle fut le premier État à signer des accords de protection et de promotion des investissements avec le Pakistan et la République dominicaine en 1959 comprenant un mécanisme de résolution des différends(4). Une telle position peut également surprendre au vu du silence qui a entouré la conclusion de principe de l’Accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada (AECG) le 18 octobre 2013 qui prévoyait le recours à l’arbitrage(5).

Une menace pour la démocratie ?

Bien que le caractère excessif des propos tenus à l’égard de l’arbitrage d’investissement suffise généralement à les disqualifier(6), il convient cependant d’y répondre brièvement à l’occasion de ce billet d’humeur(7). Il a ainsi été avancé que l’arbitrage d’investissement constituerait une menace pour la démocratie en raison du mode de désignation des arbitres et des atteintes portées aux politiques nationales des États souverains(8). Il s’agit là de formules purement incantatoires. Nos magistrats français ne sont pas élus, ni même choisis, par la population ou les litigants. Entend-on cependant crier que la justice française souffre d’un déficit démocratique ? En outre, le fait qu’aux États-Unis, certains juges Étatiques (et non les juges du système fédéral) soient élus ne garantit en rien une justice plus efficace.

Il est par ailleurs parfaitement faux qu’un tribunal arbitral puisse ordonner à un État souverain d’abandonner telle ou telle politique, ou d’abroger telle ou telle législation. Un tribunal statue selon un mandat strict. Il s’agit de déterminer si un État a enfreint une des obligations qui étaient les siennes au titre du traité applicable. Se prononcer sur la politique économique d’un pays conduirait à aller bien au-delà de sa mission et aurait pour conséquence de faire courir un risque significatif de nullité à la sentence arbitrale rendue. De nombreuses sentences se sont prononcées en ce sens. Ainsi, dans l’affaire LG&E Energy Corp. c. La République Argentine, le tribunal arbitral a rappelé qu’une réparation en nature « impliquerait une modification du régime juridique actuel par l’abrogation et l’entrée en vigueur de mesures législatives et réglementaires aux fins de pallier les effets de la législation qui a enfreint le traité. Le Tribunal ne peut ordonner à l’Argentine de se prononcer de la sorte sans le sentiment d’intenter trop fortement à sa souveraineté » . Un tribunal arbitral ne peut donc pas aller à l’encontre de la politique législative d’un État souverain.

Un système partial ?

Une critique récurrente tient à l’impartialité alléguée du système. Selon ses détracteurs, l’arbitrage des investissements internationaux serait au service des grandes corporations internationales et entraînerait un appauvrissement systémique des États souverains. Une telle affirmation est fausse. Au contraire, l’ensemble des statistiques accessibles témoignent plutôt en faveur d’un système neutre, comme l’illustre le fait que dans les 274 affaires conclues et recensées à compter de 2014, 43 % ont été rendues en faveur des États, 31 % en faveur des investisseurs, et 26 % ont été transigées.

Une justice onéreuse ?

Il a en outre été reproché à l’arbitrage d’investissement l’importance des frais de justice occasionnés. Or, comme c’est le cas dans un contentieux judiciaire, les coûts afférents dépendent en grande partie de l’affaire en question. Par définition, les situations rencontrées lors d’un arbitrage d’investissement sont souvent extrêmement complexes, impliquant l’application de plusieurs droits nationaux en plus du droit international, et exigeant la compréhension de documents en plusieurs langues. Il n’est pas surprenant que cela génère des frais de justice importants. Par ailleurs, on note que lorsque la procédure est jugée dilatoire, les tribunaux arbitraux n’hésiteront pas à ordonner à l’investisseur le paiement des frais de justice de l’État . À tout le moins, cela constitue pour les États une garantie significative du sérieux de la justice rendue.

Un club privé ?

Il a également été avancé que l’arbitrage serait le terrain de jeu d’un club privé dont chaque membre procéderait par nomination réciproque. Encore une fois, ces affirmations ne sont pas avérées. Alors certes, il est vrai que certains arbitres ont statué sur une grande majorité des affaires. Cependant, le fait que certains arbitres soient plus souvent nommés est tout autant le fruit de la pratique des États que celle des investisseurs. De la même manière que les investisseurs, les États sont en droit de désigner leur arbitre pour une procédure donnée. Les États ne sont donc pas les victimes de ce club privé puisqu’il leur permet justement de nommer des arbitres qu’ils savent constants sur certaines questions techniques. Les États participent donc naturellement à la monopolisation du contentieux arbitral des investissements internationaux par certains arbitres. Par ailleurs, la croissance exponentielle de l’arbitrage des investissements internationaux lors des dix dernières années a eu pour conséquence de considérablement étendre le nombre d’arbitres ayant statué dans une affaire d’arbitrage. La croissance de la densité du contentieux s’accompagne d’une diversification des arbitres nommés.

Le refus d’inclure un tel mécanisme susciterait un certain nombre de difficultés à l’avenir lors de négociations d’accords de promotion et de protection des investissements avec des pays tels que la Chine et le Myanmar. En effet, comment justifier le refus d’inclure une telle clause avec les États-Unis mais d’en souhaiter l’inclusion avec des pays en voie de développement ?
Enfin, et c’est là l’essentiel, l’arbitrage d’investissement permet avant tout de distiller un degré de neutralité bien supérieur à ce que l’on pourrait entrevoir lors d’un procès devant les juridictions Étatiques.

1. Asian Agricultural Products Ltd c. La République du Sri Lanka (Cirdi Aff. n° ARB/87/3) Sentence Finale, 27 juin 1990. Il est nécessaire de préciser que la requête a été enregistrée en 1987 alors que la sentence fut rendue en 1990.
2. UNCTAD (United Nations Conference on Trade and Developments), Recent Developments in Investor-State Dispute Settlement, 2014 (1). Ce chiffre tient compte des affaires recensées.
3. S. Donnan, S. Wagstyl, « Transatlantic trade talks hit German snag », Financial Times (14 mars 2014); S. Donovan, J. Politi, « Official warns EU-US trade deal at risk over investor cases », Financial Times (27 mars 2014) ; K. Karadelis, « Germany shuns arbitration in EU-US treaty », Global Arbitration Review (19 mars 2014).
4. Z. Elkins, A. T. Guzman, B. Simmons, « Competing for Capital : The Diffusion of Bilateral Investment Treaties, 1960-2000 », International Organization (Automne 2006), p. 816.
5. Certaines critiques ont néanmoins été émises, voir A. Nelsen, « L’accord commercial UE-Canada ouvre la porte à des poursuites judiciaires » (12 février 2014), disponible sur http://www.euractiv.fr/sections/commerce-industrie/laccord-commercial-ue-canada-ouvre-la-porte-des-poursuites-judiciaires (dernière consultation le 24 juin 2014).
6. P. de Clerck, « Investor-state dispute settlement is undemocratic », Financial Times (19 mars 2014) ; J. Hillary, The Transatlantic Trade and Investment Partnership: A charter for deregulation, an attack on jobs, an end to democracy (février 2014); P. Eberhardt, C. Olivet, Profiting from injustice: How law firms, arbitrators and financiers are fueling an investment arbitration boom, Corporate Europe Observatory and the Transnational Institute (novembre 2012). Voir aussi, Déclaration publique sur le régime d’investissement international, Osgood School of Law, York University (31 août 2010).
7. Voir en revanche l’excellente critique publiée par George Kahale III intitulé « Is Investor-State Arbitration Broken ? », TDM 2012, vol. 9.
8  M. J. Bond, « In disputes, a neutral voice is vital », Financial Times (25 mars 2014).
9. LG&E Energy Corp., LG&E Capital Corp. and LG&E International Inc. c. La République Argentine (Cirdi Aff. n° ARB/02/1) Sentence, 25 juillet 2007, para. 87 ; CMS Gas Transmission Company c. La République Argentine (Cirdi Aff. n° ARB/01/8) Sentence, 12 mai 2005, para. 406.
10. Voir notamment Benvenuti & Bonfant c. La République Populaire du Congo (Cirdi Aff. n° ARB/77/2) Sentence, 15 août 1980, in 1 ICSID Reports 1993, p. 365; MINE c. Guinée (Cirdi Aff. n° ARB/84/4) Sentence, 6 janvier 1988, in 4 ICSID Reports 78; American Manufacturing Trading c. Zaire (CIRDI Aff. n° ARB/93/1), Sentence, 21 février 1997, in 36 ILM 1531; Phoenix Action c. La République Tchèque (Cirdi Aff. n° ARB/06/5) Sentence, 15 avril 2009, paras. 142-152.

 







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