24,5 % : c'est le pourcentage de femmes associées dans les cabinets d'avocats d'affaires en France. Quel impact pour le business ?
Plus de la moitié des avocats sont des femmes. Elles ne représentent cependant que 24,5?% des associés des cabinets. Un écart net qui ne tend à réduire que trop lentement. Analyse et résultats de notre étude menée en partenariat avec le Cercle Montesquieu – qui réunit les principaux directeurs juridiques en France – à l’initiative de Béatrice Bihr et Isabelle Roux-Chenu de la commission DJ au féminin.

Situation constante
Cette année encore, l’analyse des chiffres de la mixité dans les cabinets d’avocats révèle une stagnation du nombre de femmes associées. Une situation qui n’évolue pas depuis plus de dix ans : elles représentent moins du quart des associés avec 24,5 % en 2015. Dans le même temps, le nombre de collaboratrices, lui, ne cesse de croître pour atteindre plus de 60?% des effectifs. Les cabinets anglo-saxons, qui nous serviront de points de comparaison et que l’on présente souvent comme plus vertueux, sont tout aussi conservateurs.

En France, les différentes branches du droit ne sont toutefois pas soumises au même régime. Si le droit social ou la propriété intellectuelle demeurent des spécialités féminines, les matières corporate restent à dominante masculine. Des arguments historiques sont avancés. Les opérations financières et la négociation ont longtemps été réservées aux hommes. Si cette discrimination s’est logiquement répercutée dans la compo­sition des effectifs des universités puis dans ceux des cabinets d’affaires, cet argument n’est cependant plus d’actualité, le monde des affaires et les masters spécialisés s’étant féminisés. Pourtant, peu de femmes qui exercent en corporate, fusions-acquisitions, private equity, marchés de capitaux ou plus généralement dans les matières transactionnelles, accèdent aujourd’hui à l’association.

Champions de la mixité
Il existe cependant des structures championnes de la parité, comme les cabinets indépendants BMH Avocats ou Nomos, dans lesquels les associés sont autant des hommes que des femmes. Quelques cabinets sont même composés en majorité d’associées. Ils se placent en tête des meilleurs élèves de la mixité, allant au-delà de la simple parité. Bird & Bird et Sekri Valentin Zerrouk sont de ceux-là. Pour Jean-Marie Valentin, associé fondateur, «?cette mixité découle naturellement de l’ADN de notre cabinet (…). Il ne s’agit pas pour nous de choisir “tels” ou “telles” au-delà de ce qu’ils sont, mais bien compte tenu de ce qu’ils sont.?» Bird & Bird ou Coblence tiennent le même discours. Ils ne cherchent pas à être paritaires, cet état de fait découle d’une ouverture d’esprit inhérente à certains avocats. D’autres cabinets n’ont pas encore pris toute la mesure de l’importance de cette question et plusieurs ont refusé de s’exprimer sur le sujet.


Les 50 meilleurs cabinets français en matière de parité

Pourtant, la parité devient de plus en plus un élément stratégique. «?Beaucoup directions juridiques prennent désormais en compte le critère de la parité dans la constitution de leur panel de cabinets?», confirme Béatrice Bihr, directrice juridique de Teva Santé et membre du conseil d’administration du Cercle Montesquieu. Elle ajoute que «?la question du nombre de femmes associées est de plus en plus fréquemment posée aux cabinets.?» Les directions juridiques, principaux clients des avocats, pourraient bientôt les contraindre à la mixité en refusant de collaborer avec des cabinets trop masculins, mis à l’écart en dépit de leurs qualités techniques. Héléna Delabarre, nouvellement élue managing partner du cabinet Nomos, corrobore cette évolution : «?Nous constatons notamment à l’occasion des appels d’offres que de plus en plus d’entreprises intègrent cet élément comme critère de sélection des cabinets et que nous sommes désormais régulièrement interrogés sur ce terrain.?»

Critère concurrentiel
Au-delà d’une simple exigence d’égalité, la mixité est un véritable avantage concurrentiel. Les bénéfices retirés de la diversité de profils de leurs avocats sont mis en avant par certains cabinets. Jean-Marie Valentin se dit «?convaincu de la valeur intrinsèque de ce foisonnement?». Héléna Delabarre enchérit : «?Il est toujours beaucoup plus agréable de travailler dans un environnement mixte. Cette diversité participe au plaisir que nous avons à travailler tous ensemble.?» Une diversité qui se ressent aussi bien au sein de l’équipe qu’auprès des clients. Cette satisfaction professionnelle constitue un critère concurrentiel de promotion des femmes à l’association. Jean-Marie Valentin s’interroge : «?Comment des cabinets pensent-ils être crédibles en 2015 en alignant vingt associés copiés/collés ??» Il y a tout à gagner à ressembler à l’entreprise que l’on conseille.

Un effort déjà accompli particulièrement par les anglo-saxons, sous l’impulsion de leur maison mère. Freshfields est de ceux-là. Pour Élie Kleiman, à la tête du bureau de Paris : «?La mixité au sein du cabinet est une priorité stratégique mondiale. Nous nous sommes engagés à lancer un certain nombre d’actions concrètes, que nous mettons en œuvre, pour faire évoluer les mentalités sur cette question importante.?» Maria Pernas, directrice juridique adjointe groupe et responsable du développement du programme diversité chez Atos, confirme l’engagement des firmes anglo-saxonnes : «?Les choses ont évolué depuis quatre ou cinq ans et, au-delà des considérations sociales, la diversité est devenue un facteur de performance et de compétitivité des entreprises (“we live in the age of the war of talents”) et, un exemple, c’est la notable évolution dans les cabinets internationaux. » Mais la progression est lente. Ces «?actions concrètes?» passent par une flexibilité des conditions de travail, avec notamment le développement du télétravail. La plupart des avocats interrogés appellent à une meilleure organisation entre vie professionnelle et vie familiale. Et cette recherche d’équilibre est devenue aussi essentielle tant pour les femmes que pour les hommes.

Des «?programmes de développement de carrière ciblés pour les femmes (notamment, mentoring et coaching)?» sont mis en place chez Freshfields afin d’encourager la mixité. Ce mentorat rappelle le système qui concerne vingt-cinq étudiantes en deuxième année de master, mis en place en 2014 par la commission DJ au féminin. L’initiative vise à encourager les femmes à briguer des postes de direction au sein d’un département juridique d’une entreprise dans le but de briser les paradigmes. Ce dispositif pourrait également être appliqué à des élèves avocats ou à de jeunes collaboratrices afin de les inciter à l’association. L’évolution des mentalités passe en effet par l’éducation. Il est donc important que, dès l’université, des programmes rappellent aux futures juristes qu’elles peuvent elles aussi prétendre au statut d’associée ou de directrice juridique.

Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur sur l’égalité professionnelle (1), ajoute que «?les cabinets d’avocats doivent adopter des politiques volontaristes. Ils doivent s’imposer des objectifs chiffrés concernant le nombre d’associées et travailler sur l’organisation du travail par une appréciation des compétences qui n’est pas uniquement fondée sur le critère présentiel.?»
L’efficacité des différentes mesures mises en œuvre à ce jour par les cabinets est en effet tempérée par Valence Borgia, avocate chez K&L Gates et présidente de l’Union des jeunes avocats de Paris. Elle précise que «?malgré la création de programmes de coaching/mentoring au sein de certaines structures, les avocates semblent avoir toujours autant de difficultés à accéder à l’association. Il faut donc qu’au-delà des initiatives particulières, la profession mette en place une politique d’égalité volontariste et transversale. En cela, la récente création d’une commission Égalité au sein du Conseil national des barreaux est un signe fort.?»

Responsabiliser les femmes
Au-delà de ces mesures, il est essentiel de responsabiliser les femmes, qui devraient d’elles-mêmes boycotter les cabinets composés uniquement d’hommes, comme y incite Héléna Delabarre. Une femme souhaitant accéder au statut d’associée ne devrait tout simplement pas présenter sa candidature. Pour ces cabinets, cela reviendrait à se priver de la compétence des femmes, soit de plus de la moitié des avocats français. Ce qui est dommageable pour Frédérique Dupuis-Toubol, associée fondatrice du bureau parisien de Bird & Bird, qui prend le contre-pied des idées reçues : «?Plus une femme a d’enfants, plus je suis prête à lui confier des responsabilités.?» La capacité d’organisation des mères est un bon critère d’évaluation des compétences. Le reste est une question de confiance. «?Au-delà des comportements individuels des femmes, c’est l’environnement professionnel qui doit évoluer. Les femmes ne doivent pas porter seules la responsabilité du changement?», conclut Valence Borgia.

Pascale D'Amore et Marianne Briand

(1). Auteur de La Vie en rose – Pour en découdre avec les stéréotypes publié en 2014 chez Albin Michel.

Les 50 mauvais élèves en matière de parité

Paroles d’avocats

Benjamine Fiedler, managing partner, Bird & Bird

«?Le bureau français de Bird & Bird a été fondé par un petit groupe d’associés animé par une femme, Frédérique Dupuis-Toubol. Notre objectif était dès l’origine de développer un modèle d’organisation dynamique, moderne, et permettant le respect d’un équilibre entre vie professionnelle et vie familiale.?»

«?Le principe de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes fait partie de l’ADN du cabinet. La parité professionnelle contribue à une meilleure cohésion des équipes par l’équilibre, la stabilité et à l’épanouissement professionnel des individus. Nous combattons l’idée cliché selon laquelle réussir en tant que femme dans un cabinet d’affaires implique nécessairement des sacrifices personnels et familiaux.?»


Hubert Flichy, associé fondateur, Flichy Grangé Avocats

«?La compétence des femmes avocats s’est imposée. Il faut promouvoir la place des femmes en reconnaissant leurs compétences et en aidant hommes et femmes à remplir leurs obligations familiales à parts égales.?»

«?La parité n’est pas un but en soi. Nous nous attachons à ce que, hommes ou femmes, tous les avocats du cabinet aient les mêmes opportunités.?»


Héléna Delabarre, managing partner, Nomos

«?Nous n’avons jamais décrété cette égalité entre les associés du cabinet. Elle existait déjà au sein des fondateurs lors de la création de Nomos en 1998. Nous sommes contre toutes les formes de discriminations professionnelles quelle qu’en soit la nature. Le jour où cette question ne sera plus un sujet d’interrogation, cela signifiera que tous les cabinets auront fait leur révolution !?»

«?Toutes les jeunes collaboratrices qui ont le projet de devenir un jour associées devraient boycotter les cabinets où les fonctions d’associé sont trustées par les hommes.Il faut que les femmes aient des ambitions et qu’elles arrêtent de se dire qu’il faut choisir entre être associée et être une bonne mère car les deux sont parfaitement conciliables.?»


Jean-Marc Coblence, associé fondateur, Coblence

«?Jusqu’à récemment, les femmes étaient majoritaires chez les associés. Les cabinets ne doivent pas se priver de compétences sous prétexte de déroulements de carrières. La qualité du travail et l’ambiance doivent beaucoup au fait d’avoir donné une large part de responsabilité aux femmes.

« Il faut savoir reconnaître et valoriser les différences et mettre à disposition les outils de la promotion réciproque des qualités (charte, formation, réflexion stratégique). Il est essentiel de ne pas faire semblant de ne pas voir la maternité ou la présence de jeunes enfants, et surtout il est primordial de ne pas considérer cela comme des handicaps.?»


Jean-Marie Valentin, associé fondateur, Sekri Valentin Zerrouk

«?Nous connaissons depuis dix ans une forme de foisonnement intellectuel, culturel et philosophique qui nous conduit à être rejoints indifféremment par des hommes et des femmes de grand talent et d’horizons particulièrement variés. Nous sommes convaincus de la valeur intrinsèque de ce foisonnement.?»

« La mise en valeur de nos singularités au service d’un projet commun, d’une ambition commune, rend notre cabinet extrêmement pertinent et efficace pour appréhender les enjeux que nos clients nous confient dans un monde complexe, international et multiculturel. ?»

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