Depuis le 1er janvier dernier, la profession d’avoué a disparu. 440 professionnels de la procédure civile d’appel font face à la mutation imposée de leur métier. Coup de projecteur sur une reconversion déjà réussie.
Faisant suite aux préconisations du rapport Darrois1, la loi du 25 janvier 2011 a supprimé la représentation obligatoire par avoué devant les cours d’appel de l’ordre judiciaire. Depuis la disparition effective des avoués le 1er janvier 2012, la profession s’organise. «?Nous avons dû faire face à une attitude indigne de la Chancellerie durant trois ans et avons appris à ne compter que sur nous-mêmes. Une chose est sûre : il nous était impossible de rebondir sur les anciennes bases ; il fallait revoir notre organisation?», se souvient Philippe Leconte, associé fondateur de Lexavoué. Certains ont résisté jusqu’au bout, espérant l’abandon de la réforme. D’autres ont, dès la publication du rapport Darrois en avril 2009, pris conscience que les choses allaient bouger et choisi d’anticiper et de réfléchir à un nouveau business plan.

Un monopole de fait
Les avoués conservent naturellement un monopole de fait, puisque l’expertise sur les procédures d’appel reste entre leurs mains. Concrètement, les dossiers se scindent en deux catégories : d’une part ceux qui ne présentent pas de difficulté fondamentale et dont les avocats apprennent déjà à se saisir, et d’autre part ceux qui nécessitent une certaine stratégie procédurale qui continueront d’être confiés à des professionnels de la procédure. C’est ici que les anciens avoués ont une carte à jouer : dénouer les règles de procédures pour faire preuve d’ingénierie procédurale. Seule une pratique expérimentée et une fine connaissance des règles permettent d’atteindre ce haut niveau de conseil. La valeur ajoutée de l’avoué est incontestable. Dès lors, si leurs parts de marché diminuent par la prise en charge d’une partie des déclarations d’appel par les avocats eux-mêmes, les avoués vont en gagner par ailleurs, en exerçant véritablement la profession d’avocats. Jusqu’à présent, en qualité d’officiers publics ministériels, ils étaient détenteurs d’une charge et n’avaient pour seuls clients que les avocats. Ils vont maintenant apprendre à développer leur propre clientèle. La difficulté est de taille puisque, les avocats le savent bien, le business development ne s’improvise pas.

Un contexte bouleversé
La difficulté majeure tient au contexte juridique et judiciaire complè­tement bouleversé : réforme de la procédure d’appel, mise en place du RPVA (le réseau privé virtuel des avocats) et suppression des avoués. L’avocat qui prend en charge une procédure d’appel se confronte à un nombre croissant de contraintes légales (diminution des délais, augmentation des causes de nullité et des conditions de validité de la déclaration d’appel, multiplication des règles spéciales, etc.). Les décrets d’application de la réforme Magendie s’enchaînent, avec des textes à forte technicité. Cela sans compter sur les usages de chaque cour, dont seul l’avoué a la maîtrise. Par exemple, devant certains conseillers, à la déclaration d’appel électronique imposée par la loi s’ajoute une déclaration au format papier, imposée à peine de nullité. Les avocats n’ont qu’à le savoir…
L’avocat nouvellement en charge d’une déclaration d’appel doit de surcroît être détenteur d’une clé assurant la protection des échanges de conclusions et de pièces entre lui et les greffes des tribunaux. Cette clé, personnalisée, est source de responsabilité pour son détenteur. Hubert Mortemard de Boisse, avocat associé chez Lexcase, met l’accent sur les difficultés qui en découlent : «?Les cabinets sont confrontés à des difficultés d’utilisation de la clé du RPVA. Elle appartient à un associé, qui en déléguera fréquemment l’utilisation à son collaborateur ou à son assistante. Cette délégation posera un certain nombre de difficultés puisqu’un collaborateur se trouvera le cas échéant chargé du suivi de procédures en appel qui concernent d’autres avocats du cabinet, et par ailleurs, l’associé sera donc responsable des éventuelles erreurs d’utilisation.?» Or, à ce jour, les polices d’assurance des avocats ne sont pas étendues à ces actes qui n’entraient pas dans leur champ d’activité, alors même que des sommes importantes sont parfois en jeu. Les obstacles financiers ne s’arrêtent pas là. Ce que l’avoué faisait en un rien de temps demande à l’avocat plusieurs heures, qu’il ne peut rester sans facturer à son client. Conséquence aux antipodes de l’argument phare de la réforme : au lieu de diminuer le coût pour le client, la suppression des avoués peut l’augmenter. Sauf à ce que l’avocat ne se rode gratuitement sur ces nouvelles missions. «?Il y avait un préjugé important sur la justification des honoraires des avoués lorsqu’ils n’interviennent pas dans les dossiers, de la part des avocats notamment. En réalité, maintenant que la profession a disparu et que les cabinets ne peuvent plus compter sur ce partenaire régulier, nous sommes confrontés à l’absence d’interlocuteur expert du droit processuel en appel, lorsqu’une difficulté procédurale apparaît, ce qui devient de plus en plus fréquent compte tenu de la technicité de la procédure?», poursuit Hubert Mortemard de Boisse.

De l’étude au cabinet
Pour chacun des 440 avoués, deux perspectives : le départ à la retraite pour les plus anciens ou l’accession à la profession d’avocat pour la plupart. Plusieurs schémas sont alors possibles : l’intégration dans un cabinet d’avocats, la conservation de leur structure reconvertie en cabinet d’avocats, ou enfin la création d’une nouvelle forme de structure d’exercice, par regroupement d’anciens avoués ou l’association avocat/ancien avoué.
Peu d’avoués ont rejoint des cabinets d’avocats. Alors que les deux professions sont naturellement liées et que les besoins des cabinets dans cette matière sont évidents, il semblerait que cela tienne au faible intérêt de l’opération. Et ce des deux côtés. Rares sont les cabinets à pouvoir occuper à plein-temps un avocat dédié à la procédure d’appel. Et lorsque la structure est de taille suffisamment importante pour que ce soit le cas, l’ancien avoué aura beaucoup de mal à parvenir au statut d’associé, son chiffre d’affaires étant insuffisant pour y prétendre. Du côté des anciens avoués, peu d’entre eux projettent d’embrasser véritablement la profession d’avocat en abandonnant leur expertise et en accédant aux dossiers sur le fond. C’est pourquoi les avocats ne craignent pas l’arrivée des avoués sur le marché.
La majorité d’entre eux ont fait le choix de conserver leur structure d’exercice en la transformant en cabinet d’avocats. Leur activité sera peu bouleversée puisqu’ils conservent leurs liens étroits avec les avocats de leur ressort qui continuent à leur confier leurs procédures d’appel. De l’étude au cabinet, seule la forme évolue.

Une nouvelle forme de cabinet
Certains sont pourtant allés au-delà en se posant très tôt les bonnes questions. Comment concilier la valorisation de l’expertise en matière de procédure d’appel, la mise en concurrence sur le marché des avocats et le développement d’une activité nouvelle ? Philippe Leconte réunit ses confrères dès 2008 pour leur proposer son projet : la constitution d’une holding regroupant des anciens avoués. Lexavoué voit le jour le 1er janvier 2012 et rassemble aujourd’hui vingt-neuf anciens avoués associés – avec l’objectif d’atteindre un professionnel dans chacune des trente-six cours d’appel – et douze collaborateurs. Le cabinet offre un service national aux avocats soucieux d’obtenir une expertise de pointe dans leurs procédures d’appel. Pour écarter tout danger de captation de la clientèle, les associés respectent une charte garantissant les limites à l’intervention du professionnel sur le dossier. L’ensemble des entités régionales partagent le même logiciel informatique et les bénéfices. Leur valeur ajoutée : le conseil en stratégie de procédure. «?Lorsque vous réunissez des spécialistes, cela donne des hyper spécialistes?», se félicite Philippe Leconte, qui entend bien remporter le pari d’asseoir un métier nouveau, celui de «?l’avocat partenaire?». Il y associe de nouvelles grilles d’honoraires, composées de modules afférents aux principales missions du professionnel. L’ancien tarif, incompréhensible et obsolète, disparaît.
Pour assurer la croissance de la structure, Lexavoué mise également sur le développement du métier traditionnel d’avocat. La perspective est floue à cet égard et la prudence est de mise puisque quelques mois ne suffisent pas pour asseoir un marché. Ce qui est sûr, c’est que l’intégration des avoués dans le monde des avocats est une victoire pour les professionnels et un bel exemple de reconversion.

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