Réglementation?: prévenir ou guérir, il faut choisir
Les décideurs politiques, sous l’égide du G20, se sont engagés à améliorer la résistance du système financier. La solution?: renforcer les fonds propres des institutions financières. Mais ces réglementations, instaurées par Bâle III et Solvabilité II, se heurtent à la désapprobation des banquiers et des assureurs. Les réformes arriveront-elles à accorder tous les acteurs ?
Peut-on, doit-on, sauver ces gens qui sont responsables de la faillite de nos institutions financières ? Au départ de la crise, décideurs politiques, banquiers centraux, et autres conseillers économiques ont dû se poser cette question. Le choix de la réponse leur échappait tant les conséquences de celle-ci étaient imprévisibles. Certes, Lehman Brothers a coulé, mais quelles auraient été les conséquences si un AIG, un Lloyds ou un Hypo Real Estate avaient fait de même ?
Très vite, le pragmatisme a dû calmer l’orthodoxie morale pour soigner l’essentiel. Car c’est bien le cœur qui a été touché. Les institutions financières sont au système capitaliste ce que les Twins Towers étaient à Manhattan. Il fallait à tout prix éviter un ground zéro !
Les États ont donc mis sur pieds des structures de soutien ponctuelles permettant aux Banques de se décharger des actifs toxiques, ou de renforcer leurs fonds propres (cf. encadré ci-dessous)
Aujourd’hui, le risque systémique semble s’être éloigné. Dans le cadre du G20, gouvernants et régulateurs ont défini les pistes qui doivent permettre aux institutions financières de se prémunir contre de tels dysfonctionnements. Les réglementations Bâle III et Solvabilité II sont au centre de ces réflexions. Mais celles-ci ont-elles bien été calibrées ?
Plus de capital pour moins de défaut
L’idée principale de ces réglementations est de demander aux banques et assurances d’augmenter de manière significative leurs fonds propres. Ce matelas de sécurité supplémentaire doit être un gage de solidité qui leur permettra, à l’avenir, de faire face au risque de défaut.
Pour prendre l’exemple de Bâle III, la réglementation prévoit des mesures visant à renforcer d’une part la solvabilité, de l’autre la liquidité.
Du point de vue de la solvabilité, une redéfinition qualitative du capital est engagée, au niveau de la notion de ratio « Core » Tier-1. Ce ratio, qui est « composé du capital de meilleure qualité », ne sera plus composé que d’actions ordinaires. Sont désormais exclues les intérêts minoritaires détenus dans d’autres sociétés financières, les actifs incorporels, et autres titres hybrides, qui étaient jusqu’ici en partie pris en compte dans ce ratio.
Cette nouvelle classification va mécaniquement faire baisser le ratio en faisant sortir ces actifs de la meilleure classe d’actif. Dans le même temps, les banques doivent augmenter ce ratio. Pour coller aux nouvelles exigences, la profession estime que 450?milliards d’euros de capital devraient être levés d’ici à 2012. Du point de vue de la liquidité, le comité de Bâle souhaite mettre en place deux nouveaux ratios, l’un à un mois, l’autre à un an, qui doivent permettre aux banques de renforcer leur capacité de résistance à une crise de refinancement. |
Il préconise que les banques doivent détenir un stock d’actifs liquides, qui se limiterait à de la dette souveraine, et encourage un rallongement de la durée de leur refinancement. Selon les estimations, cette mesure pourrait contraindre les banques à lever près de 1 500 milliards d’euros de dettes supplémentaires d’ici à 2012.
Les banquiers vent debout
Depuis quelques semaines, banquiers et assureurs font un vrai travail de lobbying pour empêcher l’adoption de ces mesures. « Il n’est pas raisonnable de demander aux banques de lever tant d’argent en si peu de temps surtout dans la conjoncture actuelle », affirme un banquier, qui précise qu’« à titre de comparaison, les États se refinancent tous les ans à hauteurs de 1000 milliards d’euros », avant de conclure que : « ces mesures sont une aberration pour le capitalisme européen ! ».
Les avis sont tranchés sur cette question. Thierry Million, directeur de la gestion obligataire chez Allianz GI, est convaincu que « c’est aussi un excès de complexité qui nous a conduit à la crise », et affirme que « la vraie solution consisterait à limiter la taille des institutions pour réduire le risque systémique ». Selon le directeur d’une grande banque internationale, « avec des mesures trop sévères, le risque est de casser le financement de l’économie est réel ». Il est vrai que ces nouveaux ratios, marqués du sceau de l’aversion au risque, vont entraîner les banques à immobiliser des sommes colossales. |
C’est autant d’argent qui ne sera pas injecté dans l’économie. Or, selon un administrateur d’une grande banque française, « l’économie européenne dépend à 60 % du crédit bancaire pour son financement, contre 40 % aux États-Unis ». Avec autant d’argent immobilisé dans le bilan des banques, « le risque d’hypothéquer la croissance de demain est réel ».
Sans doute, les banquiers, agacés qu’un tiers vienne s’immiscer dans leur gestion, tentent de noircir le tableau. D’autant que Danièle Nouy, secrétaire générale de l’autorité de contrôle prudentielle (ACP) est bien consciente que « des hypothèses de calcul trop sévères pourraient restreindre le rôle et la capacité de transformation des établissements » et précise que des études d’impacts sont en cours « pour éviter que ces mesures ne pèsent négativement sur la contribution des banques au financement de l’économie ».
Risque de dumping réglementaire
Le vrai talon d’Achille de cette réglementation se situe au niveau de l’hétérogénéité annoncée de sa mise en application. Des pays, comme les États-Unis, la Chine, ou d’autres, ne sont pas prêts à se conformer à Bâle III. Et les fonds de pension nordiques ou britanniques ne sont pas soumis à Solvabilité II. Tous ces éléments créent une situation de distorsion de concurrence. Selon le directeur financier d’une institution financière allemande, « Solvabilité II est un retour en arrière […] La question du dumping réglementaire se pose ».
Patrick Artus, directeur de la recherche économique chez Natixis, affirme qu’ « avec de telles contraintes, le régulateur organise une énorme aversion au risque, ce qui pose la question suivante : qui va financer l’économie à long terme ? », et ajoute que, « si rien n’est fait, le risque est grand de voir à terme les fonds souverains et des investisseurs asiatiques notamment, devenir propriétaires de nos entreprises en besoin de financement ».
Toutes ces craintes sur le financement de l’économie, bien que fondées sur le papier, sont sans doute exagérées. À chaque fois que des règles contraignantes sont mises en place, des esprits malins cherchent à les contourner. Pour exemple : les assureurs réfléchissent actuellement à développer les contrats à unité de compte. Ces contrats, de type assurance-vie, ont la particularité de faire porter le risque au souscripteur, et de permettre aux assureurs d’échapper à Solvabilité II.
On l’aura compris, le débat est loin d’être clos entre des régulateurs volontaires et entrainés par les recommandations du G20, qui ont pour mission de s’assurer que les erreurs d’hier ne se reproduiront plus, et les banquiers. Leur réponse est surtout quantitative, en imposant aux institutions financières des niveaux de fonds propres bien supérieurs à ce qu’ils étaient.
Mais deux limites apparaissent dans la démarche de l’ACP qui veut œuvrer pour un « système financier stable et solide ». La première est que ce mouvement ne semble pas être homogène au niveau mondial, ce qui induit un biais de concurrence à la défaveur des établissements européens. D’autre part, les nouveaux ratios et mécanismes affichés par le régulateur sont très quantitatifs. Or, pour bien apprécier le risque, l’approche qualitative est essentielle. Avant d’imaginer le pire des scenarii en se focalisant sur le passif, les banques se doivent d’apprécier le risque de la manière la plus fine possible en améliorant la traçabilité de leurs actifs.
Pourquoi le régulateur ne s’est-il pas davantage tourné vers les quelques banques qui ont relativement bien traversé la crise – JP Morgan ou BNP Paribas – pour s’inspirer de leurs méthodes de gestion du risque, plutôt que d’imposer des niveaux de fonds propres qui ne seront, par nature, jamais assez importants ?