Par Julien Visconti, avocat associé. Visconti & Grundler
Malgré un environnement économique, procédural et judiciaire relativement hostile, l’activisme actionnarial est un phénomène relativement nouveau en France mais qui est amené à connaître un fort développement. Sous l’impulsion notamment de certains fonds activistes américains, la «?corporate governance?» française va connaître certaines évolutions, conformes à l’intérêt des actionnaires.

En déclarant en juin dernier dans le magazine Forbes que «?ce que je fais est bon pour l’Amérique?», le célèbre actionnaire activiste Carl Icahn ne cherchait pas à paraphraser le mythique personnage de Gordon Gekko dans Wall Street, le film d’Oliver Stone. Dans le monde anglo-saxon, l’activisme actionnarial, s’il n’est évidemment pas toujours bien accueilli par ceux qui en sont l’objet, a en effet plutôt bonne réputation. En Europe continentale, et particulièrement en France, il faut bien reconnaître que ce mouvement, qui a pris ses racines aux États-Unis dans les années 1980, n’est pas conforme aux usages de la place, et que l’environnement juridique et judiciaire qui l’encadre est peu favorable à son développement.

L’activisme actionnarial, Une pratique protéiforme
L’activisme actionnarial est un comportement qui consiste, pour un investisseur, un groupe d’investisseurs ou un fonds spécialisé, à renoncer à un statut d’actionnaire passif pour endosser un rôle plus «?actif?» dans l’entreprise dans laquelle cet actionnaire possède une participation. Il peut prendre plusieurs formes, la plus fréquente étant la désignation d’un représentant au conseil d’administration, qui permettra à l’activiste de peser directement dans la gestion de la société, ou la proposition de résolution en assemblée générale soumise aux votes. Cette pratique, courante aux États-Unis, était jusqu’à il y a peu plutôt rare en France. Chacun se souvient de la tentative du raider franco-américain Guy Wyser-Pratte de faire évoluer la gouvernance du groupe Lagardère en proposant à l’assemblée générale de 2010 la transformation de la société en commandite en société anonyme. Cette demande, qui paraissait pourtant tout à fait conforme à l’intérêt des actionnaires, avait été rejetée à une très large majorité. L’utilité économique des actionnaires activistes est évidente. Ils permettent en effet de mettre en lumière les conflits d’intérêts inhérents au fonctionnement de toutes les entreprises, et d’y apporter des solutions.

L’activisme met en lumière et tente de résoudre les conflits d’intérêts
Ces conflits d’intérêts sont souvent révélés au cours des offres publiques, comme l’illustre le récent contentieux sur l’offre publique des fonds d’investissement «?Axa Private Equity?» et du chinois Fosun sur le Club Méditerranée. Un fonds de «?private equity?», investisseur financier par excellence, n’a pas vocation à gérer directement les sociétés dans lesquelles il investit. Il a ainsi souvent besoin de conserver l’équipe dirigeante en place, qu’il va fidéliser par l’attribution d’actions gratuites ou de parts de «?carried interest?». Or cet intéressement peut, selon ses modalités, influencer l’appréciation que va porter le dirigeant sur l’intérêt de l’offre pour l’actionnaire dont il doit protéger les intérêts. Il est regrettable que la réglementation française des offres publiques ne permette pas à l’AMF ou aux actionnaires de procéder à un contrôle effectif de ce conflit potentiel. En effet, il est en l’état de la réglementation impossible de contester le rapport de l’expert financier censé analyser cette question. De plus, cet expert financier est désigné par l’organe de direction de la société cible, qui est par définition en conflit d’intérêts, ce qui ne place pas l’expert, chacun en conviendra, dans les meilleures dispositions pour rendre un rapport défavorable à l’offre publique envisagée. Il serait souhaitable que cet expert soit, comme c’est par exemple le cas au Royaume-Uni, nommé par l’Autorité des marchés, afin qu’il puisse prétendre à une véritable indépendance.

La sévérité de la réglementation et de la jurisprudence
La réglementation est extrêmement sévère pour les actionnaires minoritaires qui auraient l’audace de vouloir contester la conformité d’une offre publique. Ceux-ci ne disposent en effet que d’une période de dix jours pour déposer un recours contre la décision de l’AMF, qui repose sur des notes d’informations rédigées de longue date par des bataillons de banquiers et d’avocats. Au-delà de ces dix jours, plus aucun recours n’est possible, et aucun nouvel argument ne peut être invoqué après le dépôt des mémoires, qui doit intervenir dans les 15 jours suivant le recours. Si ces restrictions procédurales peuvent se comprendre à l’aune de la nécessité de ne pas causer de retard excessif dans le calendrier des offres publiques, il faut malheureusement constater que la jurisprudence elle-même semble plutôt hostile à l’activisme judiciaire. Parmi les décisions les plus caricaturales rendues ces dernières années, il faut citer l’affaire «?Orange?» de 2004, au cours de laquelle France Telecom est parvenue, sans être contestée par l’AMF, la cour d’appel et la Cour de cassation, à retirer de la cote l’action Orange à 9,50 euros, alors qu’elle la valorisait à 11,80 euros, puis 12,40 euros dans ses propres comptes, au curieux motif que la valeur pour le majoritaire qui conserve une participation ne serait pas la même que pour un minoritaire qui cède ses actions sur le marché.

Le fort potentiel de l’activisme actionnarial en France
C’est par exemple le cas récent du fonds activiste TCI, qui a publiquement interpellé EADS, à l’été 2013, pour lui demander de céder sa participation de 4?milliards d’euros dans Dassault Aviation, qui constituait selon lui une «?mauvaise utilisation du capital d’EADS?». Sur un plan judiciaire, certaines batailles ont aussi été gagnées, à l’instar du dossier «?Buffalo Grill?», dont l’offre publique s’est soldée par une rare décision de non-conformité de l’AMF, fondée sur l’insuffisance du prix. L’offre a finalement été complétée par un dividende exceptionnel de 18,7 euros, ce qui a presque doublé le prix de l’offre, initialement fixé à 20 euros par action (et pourtant validé par un expert). On peut également rappeler que ce sont notamment des contestations auprès de l’AMF relatives à l’offre visant l’action «?Sperian Technologies?» qui ont donné lieu à l’abandon de l’offre «?amicale?» de Cinven libellée à 70 euros par action, et à une offre finale d’un autre acquéreur à 117 euros par action. Au vu de ce potentiel de création de valeur pour l’actionnaire, il y a fort à parier que les actionnaires activistes, et en particulier les fonds d’investissement spécialisés, trouvent en France de nouveaux défis, que ce soit sur le terrain de l’intervention directe ou de l’activisme judiciaire.

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