Par Paul Talbourdet et Matthieu Barthélemy, avocats associés. de Pardieu Brocas Maffei 
Les pièces sont au cœur du débat judiciaire. Le juge, garant du respect du contradictoire, doit imposer à la partie qui invoque une pièce de la communiquer si la demande lui en est faite. Le juge peut enjoindre une partie ou un tiers de produire une pièce réclamée par une partie qui ne la détient pas. Si le sujet paraît simple, l’expérience montre que des confusions sont commises. Brefs rappels.

L’importance des pièces dans le procès civil a conduit certains systèmes, comme ceux de common law, à instituer des procédures dites de discovery dans lesquelles l’administration de la preuve ne repose pas sur l’initiative des parties mais sur une obligation faite aux parties de divulguer tous les éléments de preuve pertinents dont elles disposent, y compris ceux qui lui sont défavorables, et ce par des moyens variés et contraignants. Dans notre système, l’administration de la preuve repose sur la production et la communication spontanées des pièces (1). Une partie peut toutefois compléter les preuves dont elle dispose en sollicitant du juge qu’il enjoigne la production forcée des pièces que l’adversaire n’accepterait pas de verser spontanément ou de celles détenues par un tiers. On rappellera qu’elle peut aussi, mais avant tout procès au fond, solliciter le prononcé d’une mesure d’instruction et les mesures tendant à la conservation ou à l’établissement de la preuve (article 145 CPC). Le régime de la communication et de la production forcées des pièces pendant le procès civil fait l’objet de trois brefs chapitres du CPC (articles 132 à 142), outre quelques dispositions particulières à certaines juridictions.

Pièce non communiquée : attention à l’astreinte
L’obligation de communiquer les pièces posée par l’article 132 CPC (2) est sanctionnée par les articles 133 à 137 qui prévoient les modalités de recours au juge en cas de méconnaissance. L’obligation est stricte et ne saurait être considérée comme remplie au motif que les pièces sont «?à la disposition?» de l’autre partie (3).
Le juge, saisi «?sans forme?» d’une demande d’injonction (4), fixe le délai de communication et prononce «?au besoin?» une astreinte (5). En pratique, la saisine du juge sera faite aux termes de conclusions précédées d’une sommation de communiquer délivrée par acte d’avocat ou d’huissier et restée sans effet. La demande est formée dans des conclusions dites d’incident mais rien n’interdit qu’elle soit contenue dans les conclusions au fond. La demande de communication forcée doit être une véritable demande… : il ne suffit pas de signaler que la partie adverse a omis de communiquer une pièce dont elle fait état, encore faut-il réclamer au juge qu’il force cette partie à la communiquer. Le juge, une fois saisi, a l’obligation, et non la simple faculté, d’enjoindre la communication (6) ; seuls l’astreinte et le délai pour communiquer sont laissés à sa discrétion. Pour échapper au prononcé d’une astreinte dissuasive, la partie sommée de communiquer une pièce pourra renoncer à en faire état et l’écarter elle-même des débats. Le juge peut aussi en vertu de l’article 135 CPC – ce n’est qu’une faculté - écarter du débat «?les pièces qui n’ont pas été communiquées en temps utile?». Une partie peut donc, au lieu de requérir la communication forcée d’une pièce invoquée par l’autre, ou dans le cas où cette communication interviendrait tardivement, demander qu’elle soit écartée des débats.
Des textes particuliers à certaines juridictions complètent ses dispositions générales. Ainsi, devant la cour d’appel, l’article 906 CPC modifié par le décret du 3 mai 2012, applicable à la procédure avec représentation obligatoire, oblige les avocats à communiquer les pièces et les conclusions simultanément, à peine d’irrecevabilité (7). Un régime plus strict de communication est également institué dans les procédures à jour fixe et à bref délai où les pièces visées dans l’assignation doivent être signifiées et déposées avec l’assignation, toute production ultérieure faisant courir au demandeur le risque de perdre le bénéfice des délais courts. Quant aux règles particulières de compétence, on citera l’article 770 CPC applicable au tribunal de grande instance qui donne pouvoir au juge de la mise en état pour trancher tout incident relatif à la communication et à la production des pièces, tandis que l’article 942, applicable à la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel, donne compétence à cet effet au magistrat chargé de la mise en état.

Demande de production : le juge est souverain
Qu’elles soient détenues par un tiers ou par une partie au procès, les pièces dont une partie veut faire état mais qu’elle ne détient pas peuvent faire l’objet d’une production forcée dans les conditions prévues aux articles 138 à 142 CPC. La demande est faite sans forme comme pour la communication forcée. Lorsque c’est un tiers qui est enjoint, ce dernier dispose d’un recours en rétractation ou en modification de la décision, s’il invoque un «?empêchement légitime?» (en pratique une obligation de confidentialité, le secret des affaires…) laissé à l’appréciation du juge. Si la notion d’empêchement légitime ne figure qu’au chapitre de l’obtention des pièces détenues par un tiers, rien n’empêche a priori la partie au procès à qui il est demandé la production d’invoquer un tel empêchement.
Le juge n’est pas lié par la demande, laquelle doit viser précisément les pièces réclamées, en établir l’existence et expliquer en quoi elles peuvent contribuer à la solution du litige. C’est ce qu’a rappelé un conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Paris, pour rejeter une demande de production forcée (8), en ces termes :
«?…en application des articles 138 et suivants du CPC, une partie peut demander au juge la production des pièces détenues par une autre partie si elles sont nécessaires à la solution du litige et si elles sont suffisamment déterminées pour que l’existence puisse en être vérifiée ; (…) la demande générale de tous documents, courriers, télécopies (…) entre X et Y dont l’existence n’est pas certaine et dont la pertinence n’est pas avérée au regard du débat en cause est totalement indéterminée et il ne peut y être fait droit.?» On ne saurait être plus clair.


1*Article 9 CPC.
2-« La partie qui fait état d’une pièce s’oblige à la communiquer à toute autre partie à l’instance. La communication des pièces doit être spontanée. »
3-Cass. Civ. 1ère, 20 mars 2013, n°12-14.488, Revue Lamy Droit civil n°104.
4-Article 133 CPC
5-Article 134 CPC
6-Cass. Civ. 1ère, 20 mars 2013, précité.
7-Sur ce point voir notre article dans le hors-série Risk management, assurance et contentieux 2013, p. 136
8-CA Paris, 25 novembre 2010, RG 08/15478.


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