Par Daniel Rota, directeur associé, avocat, et Régis Pihery, avocat. Fidal
À côté des actes de débauchage ou de détournement de clientèle, le dénigrement apparaît comme l’une des pratiques de concurrence déloyale les plus sanctionnées. Cela tient notamment à l’interprétation souple de cette notion par les tribunaux : le simple fait de divulguer une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent est condamnable, peu importe qu’elle soit exacte.

Dans une conjoncture économique difficile, toute avance prise sur la concurrence peut s’avérer déterminante. Celle-ci est généralement le fruit de moyens mis en œuvre en vue d’accélérer son propre développement – tels que des investissements pour innover ou renforcer la productivité – mais aussi, de plus en plus en souvent, de procédés tendant à freiner celui des concurrents – telles que des pratiques de concurrence déloyale. Parmi les actes de concurrence déloyale les plus courants, figure en bonne place le dénigrement, défini comme le fait de divulguer une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent.
L’interprétation extensive de cette notion en jurisprudence doit appeler la vigilance des entreprises. La diffusion d’une information même exacte concernant un concurrent peut suffire pour faire condamner son auteur sur le fondement des articles?1382 et?1383 du Code civil.

Agissements illicites du concurrent
De manière évidente, la communication d’une entreprise axée sur le caractère illicite des pratiques de concurrents est sanctionnable lorsqu’elle s’accompagne de propos excessifs ou agressifs. Par exemple, dans un jugement du 15?janvier 2013, le tribunal de commerce de Paris a estimé que constituaient un «?acte de dénigrement constitutif de concurrence déloyale?» les propos tenus par le fondateur d’un opérateur de téléphonie mobile accusant l’un de ses concurrents de pratiques commerciales déloyales et trompeuses, en ce qu’ils étaient exprimés en des «?termes démesurés (...) indui[sant] un jugement de valeur nuisible à l’image du concurrent?», leur large médiatisation marquant «?la volonté de [lui] nuire?» (T.com. Paris, 15 janv. 2013, RG n°2012/033422). Le risque de condamnation existe toutefois même en présence d’une communication qui se veut objective, ainsi que cela ressort d’un arrêt de la Cour de cassation du 24?septembre 2013. Dans cette affaire, des distributeurs commercialisaient sous leur marque des cartouches de gaz. Un concurrent de leur fabricant leur avait adressé des courriers dénonçant la non-conformité desdites cartouches à une directive européenne. La Cour de cassation approuve l’arrêt d’appel ayant qualifié ces courriers d’actes de dénigrement, considérant que «?la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu’elle soit exacte?» (Cass. com., 24 sept. 2013, n°12-19.790).

Procédure initiée à l’encontre d’un concurrent
Selon une jurisprudence constante, la dénonciation par une société de la procédure judiciaire en cours contre un concurrent peut caractériser un acte de concurrence déloyale, dans le cas où aucune décision n’a encore été prononcée. Dans un arrêt de principe, la Cour de cassation a ainsi censuré, au visa de l’article 1382 du Code civil, l’arrêt d’appel ayant rejeté l’action en concurrence déloyale, estimant «?qu’est fautive la dénonciation faite à la clientèle d’une action n’ayant pas donné lieu à une décision de justice?» (Cass. com., 12?mai 2004, n° 02-16.623). Cela vaut également en présence d’une décision non définitive rendue à l’égard du concurrent. Dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 mars 2013, il s’agissait d’une décision de l’OHMI aux termes de laquelle celle-ci avait refusé la demande formulée par le promoteur d’un réseau de franchise de dépôt d’enregistrement de sa marque et fait droit à l’opposition formée par un concurrent en raison de l’existence d’un risque de confusion avec la marque de ce dernier. Le concurrent avait alors adressé à l’ensemble des franchisés un courrier les mettant en demeure de cesser toute exploitation de la marque du franchiseur. La cour d’appel de Paris a jugé qu’une telle mise en demeure, «?en imputant [au franchiseur] une infraction aux marques [du concurrent] fondée sur une résolution de l’OHMI faisant l’objet d’un recours et donc non exécutoire, constitue un acte d’intimidation et de dénigrement (…) de nature à entacher la réputation [du franchiseur], à porter atteinte à [sa] crédibilité et à désorganiser [son] réseau commercial?» (CA Paris, 23?mars 2012, n°11/11910).

Qualité d’ancien partenaire
Des juges du fond ont pu parfois estimer que le fait pour une entreprise d’informer la clientèle de la rupture de ses relations avec un partenaire n’était pas constitutif d’acte de concurrence déloyale. Dans un arrêt de la cour d’appel de Lyon du 16 décembre 2010, il était notamment reproché au promoteur d’un réseau de concession d’avoir adressé à la clientèle une lettre précisant : «?Malheureusement, [l’ancien concessionnaire] suite à des problèmes personnels et financiers n’assure plus les engagements de notre réseau et il a négligé ces derniers mois le contact privilégié avec vous. Il a récemment revendu sa clientèle à une grosse société d’accueil aux entreprises qui, de par sa taille et sa qualité de service, ne correspond pas du tout à l’identité de notre enseigne?». Observant que le concédant justifiait «?de ce qu’aucun des éléments mentionnés dans la lettre du 29?septembre 2006 ne présente un caractère mensonger?», la cour d’appel de Lyon a considéré que ladite lettre «?constat de faits avérés et non contestés, ne saurait donc être qualifiée de dénigrement susceptible d’engager [la] responsabilité [du concédant]?» (CA Lyon, 16 déc. 2010, RG n°09/03875).
La dernière jurisprudence semble cependant aller dans le sens d’une plus grande sévérité. Dans un arrêt de la cour d’appel de Nancy du 2?octobre 2013, était concerné un distributeur qui s’était interdit, dans le protocole transactionnel mettant fin à sa relation avec un fournisseur, «?de tenir auprès d’un tiers des propos constitutifs d’un dénigrement de la marque [du fournisseur]?» et s’était engagé «?à faire preuve de discrétion et de retenue vis-à-vis des tiers au sujet de [leur relation], de façon à ne pas porter atteinte aux intérêts du [fournisseur]?». Peu après, il avait pourtant fait placarder sur sa devanture une grande affiche annonçant une «?liquidation totale K?» accompagnée de la mention «?K, c’est fini?». La cour d’appel de Nancy y voit une «?opération de liquidation au caractère tapageur en laissant croire que la marque K était appelée à disparaître?», de sorte que le distributeur avait manqué «?à son obligation de discrétion et de retenue à l’égard des tiers?» (CA Nancy, 2 oct. 2013, RG n°12/01543).

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