Par Benoît Le Bars et Raphaël Kaminsky, avocats associés. Lazareff le Bars
Les activités du commerce international contemporain placent de plus en plus les entreprises privées, grands groupes comme entreprises de taille moyenne, dans des situations litigieuses impliquant des États ou des entités étatiques.

Cette réalité est due à l’émergence de nouveaux acteurs sur le marché mondial, au développement des investissements étrangers dans les pays émergents ainsi qu’à une croissance accélérée des économies des pays émergents en forte évolution pour lesquels la place de la volonté étatique, pour ne pas dire politique, joue un rôle moteur dans l’impulsion et la conduite du développement économique.

La recherche d’un mode de résolution des litiges adapté
Cet état de fait conduit des acteurs privés ne disposant pas des mêmes protections, des mêmes ressources ou des mêmes moyens de contrainte que des États, à chercher des modes de résolution des litiges adaptés à la protection de leurs intérêts. À cet égard, les modes de règlement des contentieux issus de la seconde moitié du xxe siècle, héritiers des grands conflits mondiaux, sont souvent cités en exemple comme les seules solutions à la disposition des entreprises. C’est notamment le cas de l’arbitrage d’investissement sous les auspices du Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) créé par la Convention de Washington du 18 mars 1965 ou de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) créée par la Convention de La Haye pour le règlement pacifique des conflits internationaux en 1899. Mais la réalité du contentieux mondial est plus diverse et souvent mal connue par les entreprises. En tant qu’acteurs du commerce mondial, les États sont très souvent amenés à entrer dans des relations contractuelles avec des sociétés privées qui conduisent à s’interroger sur la validité, l’efficacité ou la pertinence des modes de règlement des litiges choisis par les parties si une difficulté survient. Les statistiques récentes de la Chambre de commerce internationale (CCI) révèlent que pratiquement 15 % (1) des arbitrages conduits sous l’égide de cette institution privée impliquent des États ou des entités étatiques. Ainsi, le règlement d’une institution privée est mis de plus en plus fréquemment en œuvre pour régler une partie des différends qui opposent des États à des entreprises privées.

Les typologies de litiges impliquant entités étatiques et entreprises

Les exemples de situations pouvant donner lieu à un arbitrage de ce type sont très nombreux, qu’il s’agisse de grands travaux en matière de santé ou d’éducation (comme la construction d’hôpitaux, d’universités ou d’écoles), d’institutions publiques (telle la construction de parlements ou d’administrations), de projets d’infrastructures (construction d’usines de traitement de l’eau, de réseaux routiers, de réseaux de téléphonie mobile ou de chemins de fer), ou qu’il s’agisse de la restructuration d’un secteur stratégique (comme les matières premières, les minerais), de la gestion des ressources agricoles cotées sur les marchés mondiaux (cacao, coton, huile de palme) ou des services d’accompagnement des opérateurs privés (telles l’assurance, la banque ou les garanties sur créances). Quand ces conventions entre une partie privée et un État ou une entité étatique sont protégées par des traités bilatéraux d’investissement entre le pays d’origine de l’investisseur et le pays de réalisation du projet, l’investisseur privé bénéficie d’une protection, parfois sans le savoir, grâce à l’arbitrage d’investissement. Il peut parfois faire usage de cette voie de droit car le contrat qui lie l’investisseur prévoit expressément le recours à ce type d’arbitrage ou parce qu’une réglementation locale spécifique lui permet d’invoquer ce type de règlement des litiges (un code sectoriel ou un code des investissements). Mais cette solution n’est pas toujours à l’avantage de l’entreprise. Publique par nature et inspirée de la tradition diplomatique, une procédure d’arbitrage d’investissement est souvent plus longue à mettre en œuvre, suppose le respect de périodes de négociations préalables souvent de six mois, et sera généralement beaucoup plus coûteuse qu’une procédure d’arbitrage privé. Les États eux-mêmes n’en sont pas toujours friands car ce type d’arbitrage est soumis à publicité. Dès lors, la défaillance de l’État ou les difficultés d’application d’une convention apparaissent au grand jour, ce qui n’est pas nécessairement facile à gérer sur le plan local.

Le développement d’une nouvelle tendance d’arbitrage commercial impliquant des États
C’est pourquoi se développe une tendance à l’évolution croissante du contentieux impliquant les États ou les entités étatiques dans le cadre d’arbitrages commerciaux de droit commun. Les statistiques de la CCI révèlent une pratique actuelle du commerce international impliquant les États cherchant une voie médiane entre les procédures publiques, de type CIRDI et l’arbitrage commercial, souvent totalement confidentiel, tout en ménageant des modes de négociations sous les auspices des représentations diplomatiques. C’est ainsi que se fait jour ce que l’on pourrait appeler une pratique internationale des grands contentieux d’affaires contre les États. Ces situations sont légions, que l’État soit actionnaire d’une société de portage de projet, qu’il soit intervenu dans sa négociation initiale ou qu’un acteur local soit indirectement détenu par l’État. Dans de telles situations, ce sont d’autres réflexes et stratégies qui doivent être mis en œuvre. Dès la phase de démarrage précontentieux, lors d’une première lettre de mise en demeure ou d’une entrée en négociation, se pose la question de l’interlocuteur ou des interlocuteurs à contacter ou à mettre en copie (ambassade dans le pays de l’investisseur ou ministère local). Il est en effet essentiel de montrer sa détermination sans rompre le fil des discussions et en maintenant une volonté d’accompagner l’État dans la politique qu’il a souhaité initier au moment de l’entrée en relation d’affaires. Se mettent alors en place des modes de résolution des litiges alternatifs, parfois sous protection diplomatique ou faisant intervenir des ambassadeurs ou consuls, souvent confidentiels, pour trouver une issue négociée tout en laissant avancer les premières phases d’un arbitrage destiné à protéger l’entreprise des impayés ou des inexécutions auxquels elle est peut-être déjà confrontée, tout en évitant de perdre un précieux temps procédural. Il s’agit là d’un nouveau droit de l’arbitrage et du contentieux international, aux frontières des mondes publics et privés, dans lequel il est possible d’entrer et de sortir la tête haute, à condition de bien s’y préparer et d’être bien accompagné.

1- D’après le rapport annuel de la CCI, 86 arbitrages sur 767 nouvelles affaires en 2013 impliquaient des États.

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