Par Philippe Bouchez El Ghozi, avocat associé, Paul Hastings. Paul Hastings
L'entreprise reste, à juste titre, méfiante envers les nombreuses infractions économiques et financières qui la menacent sans pour autant maîtriser ce risque en croissance continue et alors que sa responsabilité pénale connaît une évolution de plus en plus sensible et répressive. Comment dès lors mieux s'adapter à l'environnement normatif interne et international et anticiper ces nouveaux risques pénaux ?


En France, force est de constater que le dispositif légal de lutte contre la corruption et les infractions économiques et financières n'impose pas en soi un programme de conformité au sein de l’entreprise, destiné à limiter, voire exonérer, celle-ci d'une responsabilité pénale. Cet aspect n'est toutefois que simple apparence car, si le droit pénal français semble ignorer les dispositions des législations anti-corruption telles que le FCPA (1) ou le UK Bribery Act - qui exigent de l’entreprise la preuve qu’un programme de conformité effectif ait bien été mis en œuvre -, la condamnation en première instance de la société Safran pour corruption active d’agents publics (2) peut notamment laisser augurer du contraire. Certes, une telle évolution peut encore sembler timide mais il est révélateur de constater qu’une proposition de loi sur «?le devoir de vigilance (3)?» des entreprises envers leurs sous-traitants prévoit d’ajouter aux obligations de prévention existantes une obligation de vigilance en matière sanitaire, environnementale et de protection des droits fondamentaux. En corollaire de cette obligation, ce projet prévoit non seulement une présomption de responsabilité civile de l’entreprise (si celle-ci ne démontre pas avoir pris toutes les mesures nécessaires en son pouvoir en vue de prévenir ou d’empêcher la survenance d’un dommage ou d’un risque sanitaire, environnemental ou constitutif d’une atteinte aux droits fondamentaux), mais prévoit également une responsabilité pénale de la personne morale qui pourrait être engagée pour manquement à son obligation de vigilance. Une transposition de ces mesures au domaine de la corruption et des infractions économiques et financières pourrait dès lors être rapidement envisagée sachant que le législateur a déjà soumis les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions atteignant certains seuils à une obligation de prévention en matière de lutte contre la corruption (4). Cela étant, le droit pénal français, à travers la responsabilité pénale de la personne morale, conduit déjà, dans une certaine mesure, aux mêmes effets que les dispositions américaines et britanniques évoquées. Ainsi, dans la pratique, les entreprises françaises, pour pouvoir s’exonérer en cas de poursuites, doivent démontrer qu’a été mise en œuvre une organisation de nature à prévenir les risques et à s’assurer du respect des règles auxquelles elles sont soumises dans leur activité. Les personnes morales, on le sait, sont pénalement responsables des infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants. Aussi, afin de démontrer qu'un acte illicite n'a pas été commis pour son compte (5), l’entreprise devra prouver que, si infraction il y a eu, celle-ci n'a pu être commise qu'en violation de ses règles internes et n’a donc pas été commise «?pour son compte?» mais dans le seul intérêt de son auteur, pris à titre individuel. Et, à défaut pour l’entreprise de prouver qu’elle a pris les mesures de nature à empêcher que l’infraction ne soit commise, l’entreprise et/ou ses organes et représentants agissant pour son compte sont alors susceptibles d’encourir une responsabilité d'ordre civil et pénal qui tiendra compte de cette abstention ou de cette insuffisance. À cet égard, est née de la pratique judiciaire la notion de délégation de pouvoirs, à travers laquelle le dirigeant d'une entreprise a, sous certaines conditions, la possibilité de transférer la responsabilité pénale à une autre personne physique qui se substitue dans le rôle premier assumé par le dirigeant de l’entreprise. Malgré l’absence de texte légal en fixant les contours, la délégation de pouvoirs est aujourd'hui considérée comme obligatoire par la jurisprudence afin d'inciter les entreprises à se prémunir contre les risques pénaux. En revanche, en cas d’absence ou d'insuffisance de délégation, le dirigeant peut se voir reprocher une faute caractérisée entraînant la responsabilité pénale aggravée de la personne morale et de lui-même, à moins qu’il ne soit prouvé qu’il s’agisse d’une faute individuelle.
Sans mesures de prévention adaptées, le risque d’engagement de la responsabilité pénale des entreprises se trouve par conséquent fortement exacerbé. Dès lors, pour pallier ce risque, les entreprises n’ont d’autre choix que d’adopter une réelle politique de lutte contre les infractions économiques et financières, laquelle doit être suffisamment efficace et conçue selon leurs activités spécifiques.
D’abord perçus comme des systèmes contraignants - en ce qu’ils représenteraient une charge financière trop lourde pour l’entreprise ou parce qu’ils contribueraient à établir une véritable «?loi interne?» dont il faudrait répondre en cas de défaillance -, les programmes de conformité présentent pourtant des avantages indéniables. Ainsi, outre le fait de permettre aux entreprises d’échapper à d’éventuelles poursuites pénales ou de limiter leur responsabilité, le déploiement d’un programme de conformité présente aussi un avantage concurrentiel à l’égard de leurs pairs : arme de guerre économique comme l'est devenu le droit pénal, la conformité est alors envisagée comme facteur d’une meilleure compétitivité de l’entreprise et devient un levier de performance pour celle-ci. La mise en place d’un programme de conformité effectif au sein de chaque entreprise permet ainsi d'endiguer le risque inhérent à la corruption et aux fraudes qui y sont assimilées, faisant ainsi de ces infractions un ennemi utile, permettant d'améliorer la gouvernance, l'éthique et la réputation de l'entreprise, à condition encore que celle-ci se dote d'un programme de conformité adapté et efficace…

1- Foreign Corrupt Practices Act.
2- Safran a été condamnée en première instance par le Tribunal correctionnel de Paris à verser 500 000?euros d’amende en 2012. Safran a relevé appel de cette décision. L'arrêt d’appel devrait être rendu le 12?décembre 2014.
3- Proposition de loi sur «?le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre?» déposée à l’Assemblée nationale le 6?novembre 2013.
4- Loi n°2010-788 du 12?juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement dite loi «?Grenelle 2?» - Décret d’application n°2012-557 du 24?avril 2012 relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale.
5- Selon la formule de F. Le Gunehec, «?pour son compte signifie dans l’exercice d’activités ayant pour objet d’assurer l’organisation, le fonctionnement ou les objectifs du groupement doté de la personnalité morale?».


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