Par Martin Donato, avocat associé, et Laure-Anne Rosier, avocat. Scemla Loizon Veverka & de Fontmichel
La réforme de l’arbitrage a consacré l’absence d’effet suspensif du recours contre une sentence arbitrale en matière d’arbitrage international et prévu une exception à ce nouveau principe lorsque l’exécution de la sentence est susceptible de léser gravement les droits de l’une des parties. Une ordonnance rendue le 23?avril 2013 accueille une demande d’aménagement de l’exécution d’une sentence.

L’une des grandes innovations du décret n°?2011-48 du 13?janvier 2011 portant réforme de l’arbitrage est la disparition du caractère suspensif du recours en annulation contre la sentence ou de l’appel de l’ordonnance d’exequatur en matière d’arbitrage international (1). Le principe de l’effet suspensif du recours demeure en matière d’arbitrage interne selon les termes de l’article 1496 du Code de procédure civile.

L’article 1526 du Code de procédure civile issu de la réforme
L’article 1526 issu de la réforme, applicable aux sentences rendues après le 1er?mai 2011 en matière d’arbitrage international, dispose que : «?Le recours en annulation formé contre la sentence et l’appel de l’ordonnance ayant accordé l’exequatur ne sont pas suspensifs.
Toutefois, le premier président statuant en référé ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut arrêter ou aménager l’exécution de la sentence si cette exécution est susceptible de léser gravement les droits de l’une des parties?».
La Doctrine a souligné d’emblée que l’alinéa 2 de l’article 1526 introduit une notion nouvelle par rapport au «?risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives?» de nature à fonder l’arrêt ou l’aménagement de l’exécution provisoire aux termes de l’article 524 du Code de procédure civile (2).

L’ordonnance du 23?avril 2013
Par une ordonnance en date du 23?avril 2013 (RG n°13/02612), le premier président de la cour d’appel de Paris a aménagé l’exécution d’une sentence rendue en matière d’arbitrage international. Cette décision, non publiée, est à notre connaissance la première à faire droit à une demande fondée sur l’article 1526 alinéa?2. Dans cette affaire, une société française interjette appel de l’ordonnance d’exequatur d’une sentence qui la condamne à payer à une société tchèque une somme supérieure à quatre millions d’euros, la sentence ayant en outre condamné la société tchèque à verser à la société française plus de 800 000?euros. La société française sollicite en référé du premier président à titre principal d’être autorisée à consigner la somme due après compensation. Le premier président, qui refuse de procéder à une compensation ou d’arrêter le cours des intérêts, autorise la consignation de quatre millions à la Caisse des dépôts dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel ou d’une éventuelle transaction. Cette ordonnance a été rendue aux motifs «?qu’en cas d’infirmation de l’ordonnance d’exequatur, il sera très aléatoire pour [la société française] d’obtenir restitution des sommes payées à une société tchèque en vertu d’une sentence rendue à Lausanne dont l’efficacité, hors du territoire national, ne sera pas affectée par les décisions de justice française?» et «?que cet obstacle à la répétition est, compte tenu du montant de la somme en cause, de nature à léser gravement les droits de [la société française]?». Il n’échappera pas aux praticiens qu’un paiement à une société étrangère en vertu d’une sentence rendue à l’étranger, ainsi qu’un enjeu de quelques millions d’euros, se rencontrent très souvent en matière d’arbitrage international. La notion de risque de lésion grave des droits de l’une des parties apparaît d’autant plus large que l’ordonnance ne semble pas reposer sur une appréciation in concreto de l’enjeu au regard de la situation financière des parties.

Une jurisprudence naissante sur une notion nouvelle
Les précédentes décisions, de rejet, ayant fait application de l’article 1526 semblaient limiter étroitement l’exception prévue au second alinéa (3). Ainsi, par ordonnance rendue le 18?octobre 2011, le premier président de la cour d’appel de Paris rejette une demande de sursis à exécution d’une sentence condamnant une société française à payer à une société malienne près de deux millions d’euros (4). Le premier président considère que «?l’atteinte grave aux droits d’une partie doit en conséquence s’apprécier plus strictement que le risque économique couru par le débiteur eu égard aux facultés de remboursement du créancier, ou des difficultés financières dans lesquelles il risquerait de se trouver du fait de l’exécution immédiate de la sentence?». Cette interprétation a été critiquée par M. le professeur Jarrosson et Maître Pellerin qui estiment au contraire, en vertu d’une analyse comparée des termes des articles 524 et 1526, que «?le champ d’application de l’article 1526 alinéa?2 englobe nécessairement des situations plus fréquentes - car devant répondre à des conditions moins sévères - que celui des articles?524 et?1497?». La différence de nature entre le jugement assorti de l’exécution provisoire, ordonnée en tant que telle, et la sentence arbitrale internationale revêtue de l’exequatur au terme d’une procédure non contradictoire, pourrait nourrir ce débat. Ni l’ordonnance du 23?avril 2013, ni une ordonnance de rejet rendue par le conseiller de la mise en état le 8 mars 212 (5) ne contiennent de référence à la notion de «?conséquences manifestement excessives?» ce qui confirme l’autonomie du régime de l’article 1526 alinéa 2, à dessiner par la jurisprudence
L’article 1526 obéit à un objectif particulier poursuivi par le législateur : lutter contre les recours dilatoires. C’est au regard de cet objectif que M. le professeur Gaillard et M. de Lapasse observaient, à la lecture du décret du 13?janvier 2011, à propos du critère de l’article 1526 alinéa?2 : «?Le seul fait qu’il s’agisse d’une partie de nationalité étrangère ou domiciliée à l’étranger ne suffira naturellement pas à satisfaire ce critère, sauf à vider la réforme de toute substance, et il appartiendra au juge compétent d’apprécier l’ensemble des circonstances de la cause pour justifier sa décision?». Si elle tend légitimement à assurer un équilibre entre les parties, il n’est pas certain que la motivation de l’ordonnance du 23?avril 2013, fondée sur l’aléa de la restitution d’une somme payée à une société étrangère en vertu d’une sentence rendue à l’étranger, favorise l’objectif précité.

1-Notamment Présentation du nouveau décret sur l’arbitrage, Cahiers 2011 du Conseil national des Barreaux p.14, par P. Duprey
2-Le droit français de l’arbitrage après le décret du 13?janvier 2011, Rev. Arb. 2011 p.74, par C. Jarrosson et J. Pellerin
3-La notification et l’exécution de la sentence (art. 1519 et 1526 CPC) : droit transitoire et conditions d’application, Rev. Arb. 2012 p. 403, par C. Jarrosson et J. Pellerin
4-CA Paris, Ord. 1er Pres., 18?octobre 2011, n°?11/14286
5-CA Paris, Ord. Cons., 8?mars 2012, Rev. Arb. 2012 p.399


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