Pour sa troisième édition, le baromètre des directions juridiques connaît une participation grandissante de la part d’une profession qui entérine sur le fond des tendances déjà constatées auparavant, notamment concernant le recours à l’avocat.
Pour cette troisième édition du baromètre des directions juridiques1, les chiffres se suivent et se ressemblent. L’AFJE, le Cercle Montesquieu, l’Association française des juristes d’assurance et de réassurance (Afjar) et l’Association nationale des juristes de banque (ANJB) sont les partenaires du cabinet Lexqi Conseil qui réalise cette enquête annuelle. Fonction, évolution des effectifs, gestion par secteurs ou périmètre géographique… sans doute faudra-t-il attendre quelques années pour tirer les conclusions judicieuses sur l’évolution de la profession et les tendances profondes qui se dégagent derrière l’importance croissante des fonctions juridiques dans l’entreprise. Quoi qu’il en soit, cette nouvelle étude met en lumière les rapports entre directeurs juridiques et avocats. L’occasion pour Hervé Delannoy, président de l’AFJE et directeur juridique de Rallye, et Denis Musson, vice-président du Cercle Montesquieu et directeur juridique d’Imerys, de combattre les idées reçues.

Sur la réputation des grandes marques du droit
La constitution de panels de cabinets d’avocats par les directions juridiques est au cœur des préoccupations des professionnels. Comme les grands cabinets internationaux présentent une activité full service liée à un réseau transfrontalier, il est communément admis qu’ils ont de meilleures chances d’entrer dans les panels des directions juridiques. Ils sont également mieux armés pour rentrer dans les panels des entreprises multinationales.
Cependant, les propos des directeurs juridiques eux-mêmes ont dans le même temps toutes les chances de rassurer les cabinets plus spécialisés ou plus petits. Denis Musson rétablit l’ordre des choses : «?L’intuitu personae est fondamental dans la relation avocat/directeur juridique. La personne de l’avocat est souvent plus importante que le cabinet pour lequel il exerce puisque c’est avec lui que nous sommes en contact. Il nous arrive même d’ignorer la marque qui se cache derrière l’avocat. Cela induit que nous suivons fréquemment l’avocat partenaire lorsqu’il change de structure d’exercice. (…) Travailler pour la première fois avec une entreprise n’est pas facile. C’est la longévité qui crée de l’attachement. Réactivité et technicité sont les qualités essentielles pour rester dans les panels.?» Hervé Delannoy illustre ces propos : «?Un bon moyen d’entrer dans les panels est de séduire en étant avocat de la partie adverse. C’est souvent au cours d’un litige ou d’une négociation difficile qu’on repère les bons avocats.?»
Côté chiffres, l’étude révèle que 84?% des directions juridiques ont mis en place un panel pour leurs activités en France. Soixante-cinq pour cent d’entre eux compren­nent moins de dix cabinets. Des indicateurs qui mettent en évidence l’importance d’entrer dans ses short lists.

Sur le détachement en entreprise
La question du détachement en entreprise est autant débattue qu’elle est faiblement pratiquée dans les faits. Néanmoins, nombreux sont les cabinets à mettre à la disposition de leurs plus grands comptes un avocat expérimenté pour une durée qui peut aller jusqu’à plusieurs mois. Christiane Féral-Schuhl, bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, a fait ressortir récemment le débat en suggérant la création d’un «?commissaire au droit?», c’est-à-dire un avocat délégué en entreprise pour que cette dernière puisse mieux appréhender les règles juridiques qui la concernent. L’AFJE et le Cercle Montesquieu ont fait savoir leur mécontentement concernant ce commissaire au droit, en qui ils voient un concurrent au directeur juridique sur lequel pèseraient des soupçons de lacunes juridiques.
Au-delà de cette réaction ponctuelle, Denis Musson précise les conditions les plus fréquentes d’utilisation du détachement d’un avocat en entreprise. «?Nous recourons au détachement d’un avocat lorsque nous avons un besoin de remplacement de collaborateurs en congés, suite à un départ ou en raison d’un gros dossier, pour nous équiper en interne. Les périodes normales d’activité sont autant concernées que les périodes exceptionnelles.?» Hervé Delannoy estime que «?le sujet est important parce qu’il est au cœur de l’actualité de la profession. En revanche, l’utilisation de l’avocat détaché est marginale en nombre, en fréquence et en conséquence dans une entreprise qui est déjà équipée en interne.?» Cet outil de travail est par contre beaucoup plus utilisé dans les entreprises d’origines anglo-saxonnes. «?Le détachement d’un avocat dans une entreprise est quasiment systématique au Royaume-Uni, précise Marc de Lapérouse, président de l’ANJB. C’est aussi un moyen pour l’entreprise de répondre utilement à ses besoins et pour le jeune avocat de mieux connaître celle-ci.?»
Quoi qu’il en soit, sur les 126 directeurs juridiques ayant répondu à cette question du détachement, seuls 17?% y ont eu recours, 80?% pour une longue durée (d’un à six mois).

La part d’externalisation de la fonction juridique
«?Plus la part de contentieux de l’entreprise est importante, plus le recours à des avocats externes est régulier. Mais tout dépend du secteur d’activité?», lâche Denis Musson. Le vice-président du Cercle Montesquieu constate par exemple que le ratio entre la part du budget accordé aux juristes d’entreprise et aux conseils externes est totalement inversé entre la France et les États-Unis. En France, ce ratio est de 64/36 alors qu’aux États-Unis il est de 40/60. Cela s’explique certainement par le coût très élevé du contentieux outre-Atlantique. Il en est de même pour le Canada qui affiche un ratio de 45/55. Cette question devrait prendre de l’ampleur avec le développement des données en provenance de l’international.
Valoriser les fonctions de direction juridique
Le poids économique de la fonction de juriste d’entreprise s’élève à 3,25?milliards d’euros par an pour la France, ce qui fait de la direction juridique un véritable acteur du marché du droit. Il représente 0,15?% du budget général des entreprises, frais d’avocats inclus. Ce chiffre reste loin derrière celui des États-Unis (0,36?%) et du Canada (0,42?%). La France présente donc une belle marge de progression.
Denis Musson appelle les directeurs juridiques à participer à ce mouvement qui rapproche avocats et juristes en entreprise : «?Intégrons-nous davantage pour une connaissance intime des avocats, une imbrication des ressources internes et externes, et faisons évoluer notre métier pour qu’avocats et juristes d’entreprise ne fassent plus qu’une seule profession. De notre investissement dépend la croissance économique de la France, qui passera par la multiplication des juristes étrangers en France et des avocats français à l’étranger.?»
«?L’important est de conserver notre indépendance. Les directions générales continuent d’exiger des avis indépendants, tant intellectuellement que techniquement?», conclut Hervé Delannoy.

1 Cartographie 2012 des directions juridiques réalisée par Lexqi Conseil et présentée le 21 novembre 2012.

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