Inquiet de la situation économique et budgétaire de la France, le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale tire la sonnette d’alarme.
Décideurs. Vous avez évoqué pour la France une « situation infiniment plus grave qu'en 2012 ». Ces propos ne sont-ils pas excessifs ?
Gilles Carrez.
Une simple comparaison avec nos principaux partenaires européens suffit à s’en convaincre : en 2013, les pays de la zone euro ont quasiment résorbé leur déficit primaire, c’est-à-dire le déficit hors charge d’intérêts de la dette. La situation est comparable pour les pays de l’UE à vingt-huit dont le déficit primaire s’est réduit à 0,5 % du PIB. En France, même s’il s’est réduit par rapport à 2012 (2,0 % du PIB en 2013 au lieu de 2,3 % l’année précédente), le déficit primaire français est resté plus élevé, en 2013 comme depuis 1995, que la moyenne de l’UE. Je rappelle que la France n’a connu, depuis 2002, qu’une seule année sans déficit primaire, en 2006. Dans ces conditions, la dette publique a continué à croître dans des proportions élevées (+3 points en 2013 et +3,1 points en 2014), ce qui nous place dans une situation de très grande vulnérabilité à l’égard de nos créanciers. Les dépenses publiques françaises, qui représentent plus de 57 % du PIB, ont, en outre, atteint leur niveau le plus élevé, rapporté au PIB, depuis plus de cinquante ans.

Décideurs. Les 50 milliards d'euros d’économies en trois ans prévus dans le cadre de la nouvelle loi de programmation des finances publiques vous paraissent-t-ils suffisants ?
G. C.
De quoi parle-t-on ? L’effort prévu par le gouvernement d'une moindre augmentation des dépenses publiques de 50 milliards d’euros sur trois ans (rapporté à 3 600 milliards d’euros de dépenses) doit permettre de limiter à environ 55 milliards d’euros l’augmentation des dépenses de 2014 à 2017 (leur hausse « tendancielle » étant estimée à 105 milliards d’euros. Celui-ci s’avère donc d’une ampleur très limitée et n’empêchera pas notre dette publique de dépasser les 100 % de PIB à la fin de l’année 2015 et ce d’autant plus que le gouvernement prévoit, sur la même période, une diminution des prélèvements obligatoires de l’ordre de 14 milliards d’euros.

Décideurs. Le projet de loi de finances propose de supprimer la première tranche d’imposition, au taux de 5,5 %, qui s’applique actuellement à la fraction des revenus comprise entre 6 011 euros et 11 991 euros et d’avancer à 9 690 euros la seconde tranche imposable au taux de 14 %. Cette disposition ne va-t-elle pas, une nouvelle fois, faire peser une grande partie des efforts sur la classe moyenne ?
G. C.
En supprimant la première tranche du barème, le gouvernement ne fait que décaler l’entrée dans l’imposition et les conséquences qui y sont associées, notamment en matière d’imposition locale. Surtout, cette mesure – non financée – mine le lien qui unit citoyenneté et impôt dans la mesure où elle conduit à sortir environ 3 millions de foyers fiscaux de l’imposition. Désormais, seuls 45 % des Français acquitteront l’impôt sur le revenu. En conséquence, la charge fiscale sera désormais encore plus concentrée sur ces ménages, dont la plus grande partie est constituée des classes moyennes.

Décideurs. Que proposez-vous pour réduire des dépenses publiques ?
G. C.
Je ne suggère pas de réduire les dépenses publiques, mais je propose leur stabilisation en valeur, à un montant proche de ce qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire 1 200 milliards d’euros. Cette démarche, bien que substantiellement moins anxiogène que celle du gouvernement consistant à afficher un objectif ostentatoire de 50 milliards d’euros d’économies, ne peut faire l’économie d’une réflexion stratégique sur le périmètre et les missions de l’État. Surtout, elle doit se concentrer sur l’ensemble des administrations publiques : État, collectivités locales et Sécurité Sociale. Je prendrai ainsi trois exemples. Concernant l’État et les collectivités locales, l’un des principaux leviers d’action réside dans la masse salariale. Il est indispensable d’agir à la fois quantitativement en réduisant, peu à peu, le nombre de fonctionnaires et qualitativement en réservant le statut d’agent public aux missions régaliennes de l’État. Concernant la Sécurité sociale, le report de l’âge légal de la retraite à 64 ou 65 ans – la moyenne européenne – permettrait de générer des économies substantielles tout en maintenant le pouvoir d’achat des retraités, ce qui est exactement l’inverse de la réforme de 2013.

Propos recueillis par Aurélien Florin

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