Par Philippe Bouchez El Ghozi, avocat associé, et Clémence Auroy, avocat. Paul Hastings
Dans un contexte économique international de concurrence exacerbée, la lutte effective contre la corruption est un enjeu majeur pour les entreprises françaises.

Un an après la condamnation de Safran par le tribunal correctionnel de Paris pour corruption active d’agents publics 1, quelques mois après la transaction de Total avec les autorités américaines, l’intérêt pour une entreprise française de respecter des règles strictes de conformité n’est plus à démontrer. Si certaines législations anti-corruption telles que le FCPA 2 ou le UK Bribery Act s’imposent aux entreprises françaises, ces législations n’ont pas pour seul objet d’interdire et de réprimer toute pratique corruptive : elles exigent également de l’entreprise la preuve qu’un programme de conformité adapté et effectif ait bien été mis en œuvre.
Le 8?octobre 2013, Transparency International France a publié un rapport aux termes duquel elle constate que seul un pays sur cinq ayant ratifié la convention de l’OCDE 3 contre la corruption applique correctement ces dispositions, la France ne faisant pas partie des bons élèves.
Les États-Unis imposent, quant à eux, leur modèle en matière de poursuite et de répression de la corruption. Ainsi, dans une récente affaire, la SEC 4 a poursuivi une entreprise française dont il a été allégué qu’elle aurait payé des pots-de-vin à des intermédiaires afin d’obtenir la conclusion de contrats. Pour mettre fin aux poursuites, une transaction de plusieurs millions de dollars a dû être conclue et l’entreprise s’est vue contrainte d’accueillir en son sein, pendant trois ans, un independant Monitor chargé d’évaluer et de contrôler son dispositif de compliance ainsi que l’implication du management dans le développement d’un programme de lutte contre la corruption.

Aux termes d’un récent classement des sanctions prononcées par les autorités américaines 5 , il ressort que neuf entreprises sur dix condamnées ne sont pas américaines et que trois entreprises parmi les dix les plus lourdement condamnées sont françaises. Si ces chiffres peuvent être le reflet d’une probable méconnaissance du champ d’application très large du FCPA, ils sonnent également le glas du «?marketing éthique?» ou «?markhétique?» dont certains avaient pu croire qu’il serait suffisant pour éviter des poursuites pénales à l’encontre de la personne morale.

Or, seule la mise en place d’un programme de conformité effectif et adapté permet de limiter, voire d’écarter, toute mise en cause de la personne morale. Ainsi, dans une récente affaire de fraude immobilière en Chine, le Department of Justice (DOJ) a renoncé à poursuivre une importante entreprise américaine, compte tenu notamment des systèmes de contrôle interne mis en place par l’entreprise.

Si le dispositif légal français de lutte contre la corruption ne prend pas encore en considération l’existence d’un programme de conformité au sein de l’entreprise pour limiter, voire écarter, une mise en cause au plan pénal - à la différence des réglementations américaines et britanniques qui s’imposent dans une large mesure aux entreprises françaises exportatrices -, une telle évolution se dessine toutefois au regard de la pratique judiciaire.

Dans son récent rapport sur la mise en œuvre par la France de sa Convention contre la corruption, l’OCDE a d’ailleurs préconisé que les pouvoirs publics français s’assurent «?d’une mise en œuvre effective de ces programmes dans la pratique?» et a recommandé que «?la France fasse davantage d’efforts en vue d’encourager les PME impliquées dans le commerce international à adopter et mettre en œuvre des programmes de conformité dans le domaine de la lutte contre la corruption sur les marchés étrangers?»6.

L’OCDE faisait également état de sa préoccupation face à «?la faible réactivité des autorités dans des affaires impliquant des entreprises françaises pour des faits avérés ou présumés de corruption à l’étranger?», aux «?peines trop peu dissuasives et [à] l’absence de confiscation des profits tirés de la corruption?». À cet égard, l’OCDE pointe du doigt le fait que, douze ans après l’entrée en vigueur du dispositif légal français de lutte contre la corruption issu de la Convention contre la corruption d’agents publics étrangers dans le commerce international, seules 33 procédures judiciaires ont été initiées et 5 condamnations prononcées. À titre de comparaison, 275 procédures ont été initiées par les États-Unis et 176 en Allemagne.

Très récemment, le 16?septembre 2013, l’AFP a révélé que la Banque mondiale avait prononcé, depuis le mois de janvier?2013, plus de sanctions à l’encontre de personnes physiques ou morales soupçonnées de corruption et de fraude qu’au cours des sept dernières années cumulées. Deux filiales d’un important groupe français auraient ainsi dû restituer 9,5?millions de dollars et seraient exclues de tout contrat avec la Banque mondiale jusqu’en février?2015 pour des paiements litigieux en Afrique.
Ainsi, la lutte contre la corruption ne peut plus être une simple déclaration d’intention assortie d’un vague programme de conformité. Elle fait peser sur les entreprises françaises une véritable obligation d’autocontrôle qui devient un atout déterminant en termes de concurrence internationale et impose le déploiement d’un programme de conformité qui doit être conçu sur mesure, en fonction de la spécificité de chaque entreprise.

À défaut, si l’entreprise ne vient pas d’elle-même à la compliance, c’est la compliance qui s’imposera à elle…


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