Par Jean Courrech. Courrech & Associés
A l’occasion de l’intégration des autorisations d’urbanisme commercial dans le permis de construire, la loi du 18?juin 2014 sur l’artisanat, le commerce et les très petites entreprises fait évoluer le problème de la modification des CDAC sans aller toutefois au bout de la démarche.

Les fluctuations économiques conjuguées à la durée des procédures administratives souvent contentieuses, font qu’un projet d’aménagement commercial conçu à un moment donné est plus ou moins obsolète lorsque l’établissement ou l’ensemble commercial doit être ouvert au public. Le cadre juridique de cette évolution est depuis longtemps fixé par l’article L.752-15 du Code de commerce : «?Une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet en cours d’instruction ou dans sa réalisation subit des modifications substantielles dans la nature du commerce ou des surfaces de vente. Il en est de même en cas de modification de la ou des enseignes désignées par le pétitionnaire?». Bien que relativement ancien, ce texte a toujours soulevé de sérieuses incertitudes juridiques. La loi Pinel du 18?juin 2014 qui le réécrit partiellement ne lève pas toutes les ambiguïtés mais en soulève plutôt de nouvelles.

Les incertitudes de la modification substantielle
-Si la modification substantielle nécessite un nouveau passage devant la CDAC, c’est nécessairement, par a contrario, qu’une modification qui ne serait pas substantielle pourrait se réaliser sans autorisation préalable. Le principe apparaît globalement admis en jurisprudence (en ce sens Conseil d’Etat 17 décembre 1982 société Angelica Optique Centraix ; cour administrative d’appel de Marseille 30?avril 2008 Préfet de la Corse du Sud). Tout va donc être question d’appréciation quant au caractère substantiel ou non de l’évolution. Lorsque celle-ci affecte un des éléments de la motivation de l’autorisation il n’y a guère de doute. Au-delà, tout sera question d’appréciation avec l’aléa juridique qui s’y attache. Par exemple comment doit-on analyser, dans le cadre d’un retail park, un redécoupage des moyennes surfaces et une évolution de la nature des commerces qui doivent y être exploités ?

-On a souvent vu la modification substantielle par analogie avec le permis de construire modificatif comme une adjonction à l’autorisation initiale qui n’existerait qu’au travers de celle-ci et n’aurait pas d’autonomie propre. Cette position peut se revendiquer des dispositions de l’article R.752-19 du Code de l’urbanisme qui limite le dossier de demande d’une modification substantielle à la production «?des modifications envisagées et de leur conséquence sur les éléments d’information contenus dans la demande initiale?». Dans le même sens, la circulaire du 15?juillet 2001 considérait que, en cas de refus opposé à la demande de modification substantielle, l’autorisation d’origine ne se trouvait pas affectée.

Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 30?janvier 2012, a sensiblement troublé le débat en considérant que la commission saisie d’une demande de modification pouvait procéder à «?l’examen complet de la nouvelle demande dont elle était saisie?» et donc prendre une décision nouvelle sur le tout. Cela signifie donc que, en fonction de l’analyse que la Commission a de la demande de modification substantielle, celle-ci peut se voir qualifier de nouvelle autorisation se substituant à l’autorisation d’origine. Cela veut concrètement dire une appréciation nouvelle de la situation de fait et de droit pour la totalité du dossier, des délais et possibilités de recours totalement réouverts, et de manière plus positive de nouveaux délais de validité de l’autorisation. C’est en tout cas une incertitude juridique particulièrement grave, assez contraire à la loi du 12?avril 2000, qui peut aboutir à ce que, sans l’avoir véritablement demandé, un pétitionnaire sollicitant simplement la modification de son autorisation initiale, voit celle-ci implicitement abrogée et se retrouve titulaire d’une autorisation nouvelle avec tous les risques contentieux qui s’y attachent.

La loi du 18?juin 2014
Avec six ans de retard, le législateur tire les conséquences de la loi de modernisation de l’économie.
«?Une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet en cours d’instruction ou dans sa réalisation subit des modifications substantielles du fait du pétitionnaire au regard de l’un des critères énoncés à l’article L.752-6 ou dans la nature des surfaces de vente?». Opportunément, les questions d’enseignes disparaissent. Il en va de même, et cela est malgré tout plus problématique, du problème des surfaces de vente. On doit donc en déduire que, à partir du moment où l’augmentation des surfaces de vente n’impacterait pas les critères généraux de l’article L.752-6, il pourrait y être procédé sans qu’il soit nécessaire de solliciter une autorisation. En revanche, la référence générale aux dispositions de l’article L.752-6 va laisser peser une incertitude majeure sur le champ d’application de la modification substantielle, les douze critères allant de la consommation économe de l’espace, notamment en matière de stationnement, à la variété de l’offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de productions locales, en passant par le critère d’emploi de matériaux ou procédés écoresponsable… Enfin, dans la mesure où l’autorisation d’exploitation commerciale doit s’intégrer au permis de construire, sa modification ne pourra plus être analysée de manière isolée mais dans le cadre d’une évolution du permis de construire. Le nouvel article L.425-4 du Code de l’urbanisme dispose très logiquement qu’une évolution du permis dans le cadre d’un permis de construire modificatif ne nécessitera pas nécessairement une modification substantielle de l’autorisation d’exploiter mais, en revanche, il prévoit qu’«?une nouvelle demande de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale est nécessaire dès lors qu’un projet subit une modification substantielle?». L’imprécision du terme «?nouvelle demande?» de permis de construire apparaît spécialement problématique. Faudrait-il imaginer ce qui serait aussi injustifié que lourd de conséquence que toute modification substantielle devrait nécessiter un permis nouveau, c’est-à-dire l’abandon de tous les droits antérieurement acquis et le réengagement de l’intégralité d’une procédure ? Même la simple exigence d’un permis modificatif pourrait dans certains cas être contestable. Par exemple, le changement de nature d’activité d’un commerce autorisé peut nécessiter une modification de l’autorisation d’exploitation sans que cela ait la moindre conséquence sur le permis de construire. L’article L.752-15 du Code de commerce demeure un facteur significatif d’insécurité juridique.

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