Par Philippe Veber, avocat associé. Veber Associés
Les robots et les hommes naîtront-ils et demeureront-ils libres et égaux en droits??
Certains humains veulent absolument donner un visage humain à ce qui ne l’est pas. Concevoir des robots sous une forme humanisée est sans doute utile, séduisant et rassurant. Mais vouloir absolument assimiler le robot à l’homme risque de masquer les véritables enjeux. L’autonomie sera au cœur du questionnement juridique lié à la robotique. Donner une définition du «robot» sera un préalable incontournable.
Cela ressemble un peu à l’expérience de Milgram (1) ou à un « torture test »(2). Le monde.fr rapporte l’expérimentation (3). « Kate Darling, au cours de l’atelier que la chercheuse en politique de l’innovation au Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston organisait début février à Genève, a demandé aux participants de maltraiter Pleo, un petit dinosaure robotique, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Du malaise provoqué chez elle par les mauvais traitements infligés au petit engin serait née sa réflexion sur le droit des robots ». Dans le prolongement des fameuses lois d’Isaac Asimov, apparues dans les ouvrages de cet écrivain de science-fiction américain dès les années 1940 auxquelles on ne finit plus de faire référence de manière un peu désuète ou pratique, le concept sonne presque comme la découverte d’un droit naturel et tonne comme une revendication : « Donnons des droits aux robots ! ». On imagine déjà les crimes contre la « robonité » dont aurait à connaître une cour pénale internationale présidée par un juge androïde départiteur ayant numérisé son serment après reconnaissance palmaire sur la « Déclaration universelle des droits des robots, des hommes et des citoyens ». Nous serions donc arrivés à un stade presque ultime. Les robots sont tellement humains qu’ils doivent obtenir quelques droits de l’homme. Cette tendance mérite certainement d’être débattue.
Le visible
« Quels droits donner à ces robots ? ». Il faut bien ensuite apporter une réponse à cette question. La chercheuse américaine poursuit (4) : « Les projections que nous faisons sur les robots sociaux et les liens que nous créons avec eux pourraient nous amener à vouloir leur donner une forme de protection… quelque chose comme les lois qui protègent les animaux… pour les protéger contre la maltraitance ». Cette perspective est éminemment respectable mais elle recèle au moins deux écueils.
Le premier piège est de considérer aujourd’hui que le robot humanisé est une personne. Le robot, même androïde ou humanoïde, reste un objet. Il n’est pas, sauf à créer une fiction juridique, un sujet de droit capable de droits et d’obligations. Pleo n’est pas un être humain. Ni même un animal. C’est une chose. Et à ce titre, il est même déjà protégé. La destruction et la détérioration du bien d’autrui sont pénalement sanctionnées (article 322-1 du Code pénal français). Le droit de propriété est passé par là. Et réprimer le fait de porter atteinte à son propre robot ne suffirait pas à le transformer en une personne puisque même dans cette configuration, il resterait toujours un bien.
Le second piège est de se laisser dépasser par la subjectivité au détriment du raisonnement. Vouloir donner des droits à un petit animal robotisé au même titre qu’une personne physique procède d’une vision subjective. Cette conception reste ancrée dans l’affectif car elle montre, suggère et revendique la proximité humaine, pour mieux susciter une approche émotionnelle. L’humain qui crée la machine d’apparence humaine tente à son tour d’apprivoiser l’humain. Dans cette perspective, le modèle le plus abouti sur le plan du ressenti serait certainement le robot sexuel.(5) Mais la volonté de reconnaître des droits subjectifs aux robots devient elle-même très subjective. Certains acteurs de la robotique peuvent avoir une vision totalement différente. L’un d’eux a déclaré à propos des robots : « moi, je rêve de les mettre sur un champ de mines pour des opérations de déminage ».(6)
Une autre difficulté juridique pourrait être illustrée par la question des droits de la personnalité. Un robot ne peut pas encore défendre ou exploiter son droit à l’image. Il aura de la peine à solliciter la réparation d’une atteinte portée à sa vie privée.
Rester sur une conception juridique adaptée au robot modélisée sur l’humain comporte un risque : une vision réductrice qui pourrait nous détourner des vrais enjeux. On ne peut traiter comme un humain ce qui est multiforme. L’erreur majeure serait de s’arrêter au visible sans penser à scruter l’invisible.
L’invisible
La robotique de service ne peut se trouver confiner à la forme humaine. On ne peut s’en tenir à l’humanoïde ou à l’androïde pour mener la réflexion. On ne peut se limiter à l’examen du robot visible. Il faut aller plus loin car il existe des systèmes invisibles qui assurent un certain nombre de fonctions. À titre d’exemple, les «?robots-traders?» sévissent sur les marchés financiers. L’ordre est passé sans décision humaine en microseconde pour mieux anticiper les mouvements du marché qui sont détectés. C’est le « Trading Haute Fréquence ». Selon l’Autorité des Marchés Financiers, 30 à 35 % des transactions réalisées en Europe et 50 à 60?% de celles réalisées aux Etats-Unis se font désormais par cette pratique. Le projet scientifique particulièrement ambitieux « Human Brain Project » qui consiste à stimuler artificiellement à l’aide d’algorithmes le fonctionnement d’un cerveau humain constitue une autre illustration significative. Et que dire des détournements des fonctions d’un robot, malgré son autonomie, par la main de l’homme, à des fins d’espionnage, de surveillance, de contrôle… Mais finalement, ces techniques entrent-elles dans le concept de la robotique ? L’idée est moins de protéger les robots contre d’hypothétiques maltraitances que de définir ce que recouvrent véritablement les mots robot et robotique.
Identifier et définir
Si le véritable enjeu juridique de la robotique est le concept d’autonomie, identifier et définir est le préalable indispensable afin d’adapter un statut juridique approprié à chaque robotique. Toute charte éthique des robots, toute déclaration des droits des robots, toute déclaration d’égalité avec les hommes, paraît difficile à écrire à l’heure actuelle de manière crédible sauf à se faire plaisir. Mais aujourd’hui la robotique est une industrie, un marché, un avenir. Dès lors, voir les robots comme une réplique de l’être humain revient à rétrécir un champ de réflexion beaucoup plus vaste ne serait-ce que si l’on évoque la robotique utilisée dans un cadre militaire. Les robots sont des objets, certes particuliers, dotés d’intelligence et d’autonomie, mais ils restent encore aujourd’hui à l’état de chose et donc objet de droit et non sujet de droit. Encore une fois, donner un visage humain aux robots a son utilité. Mais vouloir les protéger contre la maltraitance ramène à une grande prétention de l’homme ; atteindre l’immortalité et la maîtrise du monde. Il faut désormais accepter le passage du rêve à la réalité, admettre la transition de l’imaginaire à une industrie qui transforme notre société, laquelle attendra des réponses concrètes à des problèmes concrets. Sinon, la robotique risque de perdre en crédibilité. L’humanoïde sera vite supplanté par le clone… qui lui, aura tous les droits…
(1)Expérience de psychologie réalisée entre 1960 et 1963 par le psychologue américain Stanley Milgram.
(2) Test qui justifie dans des conditions extrêmes les performances d’un produit commercialisé
(3) Le Monde.fr : «Donnons des droits aux robots»
(4) Le Monde.fr : «Donnons des droits aux robots»
(5) « RoXXXy » la poupée robot sexuel
(6) Source Internet terraeco.net interview du 2 mai 2010 de Bruno Maisonnier société ALDEBARAN
Cela ressemble un peu à l’expérience de Milgram (1) ou à un « torture test »(2). Le monde.fr rapporte l’expérimentation (3). « Kate Darling, au cours de l’atelier que la chercheuse en politique de l’innovation au Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston organisait début février à Genève, a demandé aux participants de maltraiter Pleo, un petit dinosaure robotique, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Du malaise provoqué chez elle par les mauvais traitements infligés au petit engin serait née sa réflexion sur le droit des robots ». Dans le prolongement des fameuses lois d’Isaac Asimov, apparues dans les ouvrages de cet écrivain de science-fiction américain dès les années 1940 auxquelles on ne finit plus de faire référence de manière un peu désuète ou pratique, le concept sonne presque comme la découverte d’un droit naturel et tonne comme une revendication : « Donnons des droits aux robots ! ». On imagine déjà les crimes contre la « robonité » dont aurait à connaître une cour pénale internationale présidée par un juge androïde départiteur ayant numérisé son serment après reconnaissance palmaire sur la « Déclaration universelle des droits des robots, des hommes et des citoyens ». Nous serions donc arrivés à un stade presque ultime. Les robots sont tellement humains qu’ils doivent obtenir quelques droits de l’homme. Cette tendance mérite certainement d’être débattue.
Le visible
« Quels droits donner à ces robots ? ». Il faut bien ensuite apporter une réponse à cette question. La chercheuse américaine poursuit (4) : « Les projections que nous faisons sur les robots sociaux et les liens que nous créons avec eux pourraient nous amener à vouloir leur donner une forme de protection… quelque chose comme les lois qui protègent les animaux… pour les protéger contre la maltraitance ». Cette perspective est éminemment respectable mais elle recèle au moins deux écueils.
Le premier piège est de considérer aujourd’hui que le robot humanisé est une personne. Le robot, même androïde ou humanoïde, reste un objet. Il n’est pas, sauf à créer une fiction juridique, un sujet de droit capable de droits et d’obligations. Pleo n’est pas un être humain. Ni même un animal. C’est une chose. Et à ce titre, il est même déjà protégé. La destruction et la détérioration du bien d’autrui sont pénalement sanctionnées (article 322-1 du Code pénal français). Le droit de propriété est passé par là. Et réprimer le fait de porter atteinte à son propre robot ne suffirait pas à le transformer en une personne puisque même dans cette configuration, il resterait toujours un bien.
Le second piège est de se laisser dépasser par la subjectivité au détriment du raisonnement. Vouloir donner des droits à un petit animal robotisé au même titre qu’une personne physique procède d’une vision subjective. Cette conception reste ancrée dans l’affectif car elle montre, suggère et revendique la proximité humaine, pour mieux susciter une approche émotionnelle. L’humain qui crée la machine d’apparence humaine tente à son tour d’apprivoiser l’humain. Dans cette perspective, le modèle le plus abouti sur le plan du ressenti serait certainement le robot sexuel.(5) Mais la volonté de reconnaître des droits subjectifs aux robots devient elle-même très subjective. Certains acteurs de la robotique peuvent avoir une vision totalement différente. L’un d’eux a déclaré à propos des robots : « moi, je rêve de les mettre sur un champ de mines pour des opérations de déminage ».(6)
Une autre difficulté juridique pourrait être illustrée par la question des droits de la personnalité. Un robot ne peut pas encore défendre ou exploiter son droit à l’image. Il aura de la peine à solliciter la réparation d’une atteinte portée à sa vie privée.
Rester sur une conception juridique adaptée au robot modélisée sur l’humain comporte un risque : une vision réductrice qui pourrait nous détourner des vrais enjeux. On ne peut traiter comme un humain ce qui est multiforme. L’erreur majeure serait de s’arrêter au visible sans penser à scruter l’invisible.
L’invisible
La robotique de service ne peut se trouver confiner à la forme humaine. On ne peut s’en tenir à l’humanoïde ou à l’androïde pour mener la réflexion. On ne peut se limiter à l’examen du robot visible. Il faut aller plus loin car il existe des systèmes invisibles qui assurent un certain nombre de fonctions. À titre d’exemple, les «?robots-traders?» sévissent sur les marchés financiers. L’ordre est passé sans décision humaine en microseconde pour mieux anticiper les mouvements du marché qui sont détectés. C’est le « Trading Haute Fréquence ». Selon l’Autorité des Marchés Financiers, 30 à 35 % des transactions réalisées en Europe et 50 à 60?% de celles réalisées aux Etats-Unis se font désormais par cette pratique. Le projet scientifique particulièrement ambitieux « Human Brain Project » qui consiste à stimuler artificiellement à l’aide d’algorithmes le fonctionnement d’un cerveau humain constitue une autre illustration significative. Et que dire des détournements des fonctions d’un robot, malgré son autonomie, par la main de l’homme, à des fins d’espionnage, de surveillance, de contrôle… Mais finalement, ces techniques entrent-elles dans le concept de la robotique ? L’idée est moins de protéger les robots contre d’hypothétiques maltraitances que de définir ce que recouvrent véritablement les mots robot et robotique.
Identifier et définir
Si le véritable enjeu juridique de la robotique est le concept d’autonomie, identifier et définir est le préalable indispensable afin d’adapter un statut juridique approprié à chaque robotique. Toute charte éthique des robots, toute déclaration des droits des robots, toute déclaration d’égalité avec les hommes, paraît difficile à écrire à l’heure actuelle de manière crédible sauf à se faire plaisir. Mais aujourd’hui la robotique est une industrie, un marché, un avenir. Dès lors, voir les robots comme une réplique de l’être humain revient à rétrécir un champ de réflexion beaucoup plus vaste ne serait-ce que si l’on évoque la robotique utilisée dans un cadre militaire. Les robots sont des objets, certes particuliers, dotés d’intelligence et d’autonomie, mais ils restent encore aujourd’hui à l’état de chose et donc objet de droit et non sujet de droit. Encore une fois, donner un visage humain aux robots a son utilité. Mais vouloir les protéger contre la maltraitance ramène à une grande prétention de l’homme ; atteindre l’immortalité et la maîtrise du monde. Il faut désormais accepter le passage du rêve à la réalité, admettre la transition de l’imaginaire à une industrie qui transforme notre société, laquelle attendra des réponses concrètes à des problèmes concrets. Sinon, la robotique risque de perdre en crédibilité. L’humanoïde sera vite supplanté par le clone… qui lui, aura tous les droits…
(1)Expérience de psychologie réalisée entre 1960 et 1963 par le psychologue américain Stanley Milgram.
(2) Test qui justifie dans des conditions extrêmes les performances d’un produit commercialisé
(3) Le Monde.fr : «Donnons des droits aux robots»
(4) Le Monde.fr : «Donnons des droits aux robots»
(5) « RoXXXy » la poupée robot sexuel
(6) Source Internet terraeco.net interview du 2 mai 2010 de Bruno Maisonnier société ALDEBARAN