Par Stéphanie Guedes da Costa, avocat associé. Flichy Grangé
La loi relative à la sécurisation de l’emploi (LSE) du 14?juin 2013 a opéré une réforme profonde des licenciements collectifs pour motif économique avec plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Quinze mois après l’entrée en vigueur de la loi, quel bilan opérer ?

On peut tout d’abord observer que le nombre de PSE a été stable avant et après l’intervention de la loi (954 en 2011, 914 en 2012 et 909 en 2013, Dares Analyses, mars?2014 n°019). En revanche, c’est toute l’approche des restructurations qui se trouve modifiée pour les acteurs. Renforcement du dialogue social, nouveau rôle de l’administration qui intervient tout au long de la procédure et dont la décision d’homologation (document unilatéral) ou de validation (accord majoritaire) relève désormais du juge administratif, le tout dans des délais préfix. Quelles conclusions tirer sur chacune de ces innovations ?

Un pari atteint sur la négociation
Le premier objectif était de favoriser la négociation des PSE avec les organisations syndicales plutôt que l’élaboration d’un document unilatéral par l’employeur discuté avec le CE. Le bilan de la loi à neuf mois (juillet?2013 - mars?2014, Ministère du travail), montre que les PSE sont désormais pour la plupart négociés. 75?% des entreprises in bonis ont engagé une négociation en vue d’un accord majoritaire sur le PSE, aboutissant dans près de deux tiers des cas à la conclusion d’un accord.
La négociation présente de nombreux atouts. Une conflictualité sociale moindre tout d’abord. Un contrôle plus restreint du contenu du PSE par la Direccte de deuxième part (notamment absence de contrôle de la proportionnalité des mesures prévues par le PSE aux moyens de l’entreprise et du groupe auquel l’entreprise appartient, alors que c’est le cas pour le document unilatéral). À cela s’ajoute une plus faible probabilité de contentieux : au 31?mars 2014, 85?% des recours formés le sont à l’encontre des décisions d’homologation de documents unilatéraux.

Des délais mieux maîtrisés
La LSE a encadré la procédure d’information-consultation du CE dans des délais variant en fonction du nombre de licenciements envisagés et pouvant aller de deux (moins de 100 licenciements) à quatre mois (250 licenciements et plus). À défaut d’avis à l’issue de ce délai, le comité est réputé avoir été consulté. La procédure de demande de validation et/ou d’homologation par la Direccte peut alors être enclenchée.
Ces délais donnent de la visibilité aux parties prenantes. Ils améliorent considérablement la maîtrise du calendrier du projet, plus difficile auparavant du fait des difficultés pouvant naître au cours de la procédure d’information/consultation du CE, dont le TGI avait à connaître. Ces difficultés doivent désormais être tranchées par la Direccte dans des délais très brefs à l’intérieur du délai de deux, trois ou quatre mois.

Un processus d’accompagnement par l’administration tout au long de la procédure
Les entreprises doivent transmettre leur projet de PSE en tout début de procédure et informer, le cas échéant, la Direccte de leur intention de négocier. En pratique, les Direccte se montrent très actives dès le début de la procédure. Ceci limite le risque que l’entreprise se retrouve en fin de procédure avec un refus d’homologation ou de validation. Elles peuvent formuler des observations et disposent d’un pouvoir d’injonction. Ce dernier consiste, dans les cinq jours de la demande formulée par le CE ou les organisations syndicales, à enjoindre à l’employeur de fournir des éléments d’information supplémentaires ou à se conformer à une règle de procédure. On observe un recours de plus en plus fréquent à cette procédure d’injonction. Cet outil de régulation remplace le contentieux de suspension de la procédure devant le TGI qui a disparu puisque le droit d’ester en justice a été déplacé à la fin de la procédure consultative.
Ces échanges nourris avec la Direccte aboutissent à des taux de refus d’homologation très faibles (environ 10?%). Cette réforme donne également une place nouvelle à l’administration en cas de contentieux administratif sur la décision d’homologation ou de validation.

Un contentieux administratif nouveau et non encore stabilisé
La LSE a instauré un bloc de compétence au profit du juge administratif qui doit statuer dans des délais brefs. Sont du ressort du tribunal administratif, les contestations portant sur la décision de validation ou d’homologation de la Direccte, la régularité de la procédure de licenciement collectif ou encore, les décisions prises par l’administration dans le cadre de son pouvoir d’injonction. En revanche, le conseil de prud’hommes reste compétent pour connaître des litiges individuels et statuer sur le motif économique qui ne relève ni du contrôle de la Direccte ni de celui du juge administratif.
Ainsi, là où les contentieux devant le TGI opposaient le CE et les syndicats à l’employeur, il s’agit désormais du procès d’un acte administratif. L’administration est partie au procès et défend ses décisions devant le juge administratif.
À ce jour, une cinquantaine de décisions des tribunaux et cours d’appel peut être recensée, parmi lesquelles les entreprises en redressement ou en liquidation sont surreprésentées. Selon le bilan opéré par les services du ministère du Travail neuf mois après la loi, le taux de contestation des décisions de l’administration est de 7?%, alors qu’avant la LSE, 30?% des PSE donnaient lieu à un contentieux devant le TGI.
Les textes issus de la réforme, appréhendés par le regard neuf du juge administratif, ont pu aboutir à des solutions inédites comme en matière de périmètre d’application de critères d’ordre de licenciement (TA de Cergy Pontoise, 11?juillet 2014, n°?1404272, possibilité de les appliquer sur un périmètre plus restreint que l’entreprise sans passer par un accord collectif). En outre, un nouveau contentieux, par définition inexistant jusqu’ici, a fait son apparition : il s’agit du recours portant sur les irrégularités de procédure administrative ou sur la motivation des décisions prises par les Direccte (exemples notamment TA Cergy Pontoise, 22/04/2014, n°1400714 et n°1400989). Ce contentieux est assez déroutant pour l’entreprise qui peut se trouver indirectement sanctionnée alors qu’elle s’est acquittée de ses obligations. Les décisions du Conseil d’État sont très attendues là encore.
En l’état, les décisions sur tous ces aspects peuvent être contrastées d’une juridiction du fond à une autre. La position de l’administration, consistant à former systématiquement un pourvoi au Conseil d’État contre toute décision contraire à sa position, permettra d’harmoniser la jurisprudence.
Si pour l’heure la réforme porte ses fruits en ce qu’elle a permis de favoriser le dialogue, il faut souhaiter que la jurisprudence du Conseil d’État consolide l’édifice. De ceci dépend le plein succès de la réforme.

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