Par Eric Boillot, avocat associé, et Viviane Tse, avocat. Simmons & Simmons
À l’occasion du sixième colloque de la Commission des sanctions de l’AMF qui s’est tenu le 3?octobre 2013, l’AMF a publié un rapport (1) soulignant la nécessité de modifications législatives pour une meilleure lisibilité des critères de détermination du montant des sanctions pécuniaires. Les propositions formulées visent à assurer un équilibre entre, d’une part, le caractère dissuasif des sanctions, et d’autre part, leur proportionnalité et leur individualisation.

La loi de régulation financière et bancaire du 22?octobre 2010 a indéniablement renforcé le pouvoir répressif de l’AMF en relevant le principal plafond des sanctions pécuniaires de 10?millions à 100?millions d’euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés (2). Cependant, ce durcissement ne s’est pas accompagné d’une grille de lecture claire quant aux critères de détermination du montant de la sanction.

Absence d’une grille de lecture claire
La Commission des sanctions dispose à l’heure actuelle d’une marge de manœuvre considérable dans l’exercice de son pouvoir répressif, la loi ne définissant que deux critères pour la fixation du montant de la sanction : «?la gravité des manquements commis?» et «?les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements?» (3).
Certes, au fil des décisions, la Commission a complété la loi en définissant de façon prétorienne d’autres critères tels que les facteurs comportementaux, la situation financière de la personne mise en cause ou la nature et l’importance du préjudice causé par les manquements retenus. En matière d’abus de marché, l’application de ces critères conduit en pratique la Commission à appliquer un coefficient multiplicateur (variant entre 2 et 4) du profit réalisé pour déterminer le quantum de la sanction pécuniaire.
Pour autant, la situation demeure relativement insatisfaisante pour l’ensemble des parties en présence. Le Collège de l’AMF, chargé de requérir l’application d’une sanction, tout comme la Commission, chargée de la déterminer, sont dépourvus d’une grille de lecture claire leur permettant respectivement de justifier vis-à-vis du public les montants de sanctions qui leur apparaissent adaptés. Cette opacité relative et le manque de prévisibilité qui en résulte rejaillissent sur les acteurs du marché qui ont parfois du mal à cerner la cohérence qui peut exister entre plusieurs décisions prononçant, pour des faits relativement similaires, des sanctions distinctes.
Cette situation est entretenue par l’extrême concision des motifs des décisions dans leur volet consacré à la détermination de la sanction.
De la même manière, lorsque plusieurs manquements sont retenus, les décisions appliquent un montant global de sanction pécuniaire sans expliciter la sanction retenue pour chacun des manquements.
C’est dans ce contexte que le groupe de travail présidé par Madame Claude Nocquet a formulé des propositions visant à inscrire dans la loi des critères précis pour la détermination du montant des sanctions, comme en droit de la concurrence où l’Autorité de la concurrence détermine les sanctions pécuniaires sur la base de critères définis dans les textes.

Pour un éventail de critères de détermination des sanctions plus large
Le rapport préconise d’étoffer le paragraphe III de l’article L.621-15 du code monétaire et financier, en insérant les critères suivants (la liste n’est pas exhaustive), dont certains sont issus de la jurisprudence de la Commission des sanctions :
a) la gravité et la durée du manquement ;
b) la qualité et le degré d’implication de la personne mise en cause ;
c) l’importance, soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne mise en cause ;
d) la situation financière et la capacité contributive de la personne physique ou morale mise en cause, telles qu’elles résultent notamment de son patrimoine et, respectivement, de ses revenus ou de son chiffre d’affaires ;
e) les sanctions ou peines prononcées à l’encontre de la personne mise en cause, dans les cinq ans précédant les faits, sur le fondement du code monétaire et financier, de ses textes d’application ou de règlements européens ayant un champ d’application similaire ;
f) le degré de coopération de la personne mise en cause avec l’Autorité des marchés financiers, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution des gains obtenus ou des pertes évitées par cette personne ;
g) toute circonstance atténuante et, notamment, les mesures prises par la personne mise en cause pour remédier aux dysfonctionnements constatés et éviter la réitération du manquement ou pour réparer les préjudices causés aux tiers. 
Ainsi, certains critères pourraient être appréciés comme des circonstances aggravantes ou atténuantes du manquement. Par exemple, à titre de circonstance aggravante, le critère nouveau relatif au cas de récidive au cours d’une période de cinq ans empêcherait l’anonymisation de la précédente décision de sanction, normalement acquise en pratique cinq ans après sa publication. 
À noter que la question de la réparation du préjudice subi par les tiers a été prise en compte par le rapport, qui tout en rappelant que l’indemnisation des victimes ne relève pas de la compétence de la Commission mais des juridictions civiles, a retenu l’ampleur du préjudice causé comme circonstance aggravante, ainsi que les mesures prises pour réparer ce préjudice comme circonstance atténuante.

Conséquences pratiques sur la procédure
Cette nouvelle palette de critères si elle était intégrée dans la loi, conduirait tout d’abord les inspecteurs et enquêteurs de l’AMF à effectuer un travail supplémentaire de collecte d’informations dans le cadre de l’établissement de leur rapport, destiné à aider le Collège à porter une appréciation sur chacun de ces critères dans la perspective d’éventuelles poursuites. Il en irait de même pour la Commission qui serait alors soumise à une plus grande exigence rédactionnelle. Ses décisions devraient comprendre un volet consacré à la sanction suffisamment motivé afin de justifier de la prise en compte des critères légaux dans la détermination de celle-ci, sous peine de contestation par les personnes mises en cause devant les juridictions de recours. La cour d’appel de Paris n’a déjà pas hésité à réduire le montant des sanctions prononcées par la Commission compte tenu de leur caractère disproportionné. Il fait donc peu de doute que l’introduction dans la loi de critères supplémentaires conduirait automatiquement à un renforcement du contrôle juridictionnel du montant des sanctions prononcées par la Commission. Au final, les propositions formulées par le rapport constituent une avancée certaine sous l’angle de l’individualisation de la sanction et dans l’optique d’une meilleure pédagogie vis-à-vis des acteurs du marché. Elles permettraient en outre d’opérer un rééquilibrage entre les pouvoirs et les devoirs de la Commission, indispensable compte tenu de l’augmentation significative des montants de sanctions pécuniaires observés dans ses plus récentes décisions (4). C’est effectivement en s’imposant un haut niveau d’exigence, digne d’un véritable tribunal des marchés financiers que Claude Nocquet appelait de ses vœux, que la Commission des sanctions de l’AMF pourra donner à ses décisions toute
leur légitimité.

1- Rapport sur le prononcé, l’exécution de la sanction et le post-sentenciel – Groupe de travail présidé par Claude Nocquet, présidente de la Commission des sanctions de l’AMF, octobre?2013
2-Ce plafond s’applique en matière d’abus de marché et pour certains manquements professionnels commis par des entités régulées par l’AMF.
3-Article L.621-15, III du code monétaire et financier.
4-Dans l’affaire LVMH-Hermès (décision du 25?juin 2013), une sanction de 8 millions d’euros a été prononcée à l’encontre de LVMH. Dans l’affaire Géodis (décision du 18?octobre 2013), la Commission a prononcé une sanction record de 14?millions d’euros à l’encontre d’une personne physique.


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