Par Xavier Lagarde, avocat associé. Peisse Dupichot Lagarde Bothorel & Associés
Le projet de loi habilitant le gouvernement à réformer par ordonnance la partie du code civil relative aux contrats est à présent sur le bureau du Sénat. Texte volontiers compris comme une simple "codification à jurisprudence constante", il comporte en réalité de réelles innovations. Certaines sont bienvenues, d'autres sont sources d'insécurité juridique.

Voilà dix ans qu'il est question de réécrire le titre 3 du livre 3 du Code civil. Les productions doctrinales les plus prestigieuses se sont succédées, projet Catala, projet Terre, pour ne citer que ceux-là, mais les pouvoirs publics sont demeurés l'arme au pied. Jusqu'au 21 octobre 2013, date à laquelle la presse nous a révélé la reprise du chantier par la Chancellerie. Depuis, les choses ont avancé et le 31 octobre 2014, un projet de loi portant habilitation du gouvernement à réformer par voie d'ordonnance le droit des contrats a été déposé sur le bureau du Sénat, après avoir été adopté par l'Assemblée nationale. Un document de travail, aisément accessible sur internet, préfigure ce que pourrait être le texte final.

Une codification à jurisprudence constante
Le principe de la réforme est de répondre à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. à cet égard, la réécriture est à l'évidence nécessaire. Le Code civil, dans sa partie dédiée au droit des contrats, n'a guère été retouché depuis 1804. Il n'exprime plus la réalité du droit positif. Celle-ci se laisse appréhender à la lecture des recueils de jurisprudence et de doctrine. Par rapport aux droits de constitution prétorienne comme ceux qu'inspire la Common Law, le modèle français d'un droit codifié ne présente donc plus d'avantage comparatif. Retrouver ce dernier impose en conséquence un travail de clarification.
Ceux qui se donneront la peine de lire le document de travail préparé par la Chancellerie constateront sans peine que le compte y est. Le texte est inspiré des projets antérieurs et, pour l'essentiel, il est remarquable d'exactitude et de concision. Des siècles de jurisprudence y sont synthétisés en quelques formules, significatives de l'excellence de notre art législatif.
Peut-être par l'effet d'une anticipation des louanges, les rédacteurs du projet qui circule ont cependant fait preuve de plus d'audace et introduit des dispositions qui, précisément, prennent le contrepied de jurisprudences acquises.

Promesse et pacte de préférence : des innovations bienvenues
La Cour de cassation juge avec constance que, dans une promesse unilatérale de vente, tant que le bénéficiaire n'a pas levé l'option, l'obligation du promettant ne constitue qu'une obligation de faire. Elle se résout en conséquence en dommages et intérêts et, dans l'hypothèse d'une révocation intempestive, le bénéficiaire ne peut forcer la vente. Cette solution est peu défendable. La promesse est un avant contrat dans lequel le promettant donne définitivement son consentement. Ne manque plus que l'acceptation du bénéficiaire pour que le contrat soit parfait. Le projet de réforme prend acte de cette évidence et dispose que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter ne peut empêcher la formation du contrat promis ». Il y a lieu d'approuver cette nouveauté qui, de surcroît, d'un point de vue pratique, conforte la valeur des promesses de vente.
La jurisprudence sur le pacte de préférence appelle également des réserves. Depuis un arrêt de chambre mixte du 26 mai 2006, la Cour de cassation juge que « si le bénéficiaire d’un pacte de préférence est en droit d’exiger l’annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur, c’est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir ». La sanction est lourde, mais d'un prononcé rare, compte tenu de la rigueur des conditions posées. En pratique, l'efficacité d'un dispositif commande plutôt la solution inverse : une sanction accessible, mais proportionnée. C'est dans cette direction que s'oriente le projet de réforme. Certes, il maintient la faculté de substitution du bénéficiaire du pacte lésé par un tiers. Il donne cependant à ce dernier une action interrogatoire à telle enseigne qu'à défaut pour le bénéficiaire de prendre parti dans un délai raisonnable, il « ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ».
à noter que ce mécanisme préventif est, toutes choses égales, généralisé à toutes les hypothèses de nullité relative. Sous l'angle de la sécurité juridique, le progrès est incontestable.

Insécurité juridique à l'horizon
Sous ce dernier angle, le texte préparé par la Chancellerie suscite cependant des craintes. Il introduit la disposition suivante : « les contrats doivent être formés et exécutés de bonne foi ». A priori, rien de bien nouveau. Sauf à noter que cette disposition a vocation à figurer au rang de principe directeur du contrat, au même niveau que le principe de liberté contractuelle. Elle disqualifie donc l'idée pourtant classique selon laquelle la bonne foi constitue un principe correcteur de l'autonomie de la volonté. à suivre le texte, la bonne foi participe comme la volonté de la formation du contrat et contribue comme elle à fonder sa force obligatoire. Pas de bonne foi, pas de contrat. La conclusion est sans doute trop radicale. Pour autant, un tel texte menace la jurisprudence selon laquelle la sanction de la déloyauté n'autorise pas la remise en cause de la substance même des créances issues du contrat. Le noyau du contrat n'est plus à l'abri de l'intervention du juge.
Le projet de la chancellerie étend à tous les contrats le dispositif de répression des clauses abusives consacré par le Code de la consommation. Là comme ailleurs, il est permis d'être réservé. C'est qu'en effet, le contrôle des clauses abusives conduit à un examen systématique de l'ensemble des stipulations. Il est le vecteur d'une police (au sens administratif) du contrat et du marché qui n'a pas lieu d'être dans les rapports entre professionnels, sauf à réduire à peu de chose le principe de liberté contractuelle. Ces rapports ne sont sans doute pas exclusifs de contrats dont la rédaction est standardisée et propice à l'insertion de clauses discutables. Pour autant, les standards en usage dans les relations d'affaires sont le plus souvent le fait d'instances professionnelles. Une régulation y est d'ores et déjà à l'œuvre et la voie judiciaire n'est pas le meilleur moyen d'en discuter les équilibres.
Sans être exhaustif, on ajoutera que le projet fait une place à la théorie de l'imprévision. La partie pour qui l'exécution d'un contrat devient excessivement onéreuse à raison d'un changement de circonstances imprévisible lors de sa conclusion peut donc demander à le renégocier. Si le cocontractant refuse, le juge ne peut réécrire le contrat, mais il peut, ce qui n'est guère plus rassurant, « y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe ». Qu'on le déplore ou non, le droit des contrats que se donne un Etat participe de l'attractivité économique de son territoire. Il n'est pas sûr que le projet en cours d'élaboration intègre suffisamment cette donnée.

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