Par Éric Nigri, avocat of counsel, et Mathias Ifergan, Vocation Finance. Simmons & Simmons
Le financement de matériels roulants est une nécessité pour le service public de transport. Alternative à l’endettement bancaire des collectivités, le crédit-bail bénéficie d’un levier fiscal favorable. Si la crise financière de la période récente a pu conduire à geler cet outil, le nouveau contexte économique et les perspectives de placements privés ou obligataires relancent la donne.

Depuis 2004, les collectivités locales ont eu largement recours au crédit-bail pour le financement de leurs investissements en matériel de transport (TER, trams). Le contrat de crédit-bail, outil de financement d’actifs de longue durée avec option d’achat, est traité juridiquement comme un marché public de fournitures au sens de l’article 1er, III, du Code des Marchés Publics (CMP) (1) par lequel l’établissement crédit-bailleur sélectionné par la collectivité, après avoir acquis les matériels roulants, facture un loyer au crédit-preneur (collectivité locale ou la SNCF dans le schéma particulier des TER) pendant la durée du crédit-bail (2).
Les contre-chocs de la crise financière des années 2008-2010, ont entraîné une raréfaction du crédit à long terme jusqu’en 2012-2013, date à laquelle les pouvoirs publics ont pris des mesures importantes de relance du financement de l’économie (CDC, BEI, BCE…). Plusieurs procédures de crédit-bail lancées par des collectivités de premier rang n’avaient ainsi pas pu aboutir, notamment en raison des difficultés rencontrées par les établissements financiers pour boucler le financement à long terme de ces opérations.
Depuis maintenant un an en revanche, les collectivités (tout au moins les plus importantes d’entre elles) baignent littéralement dans une abondance de liquidités et bénéficient de taux de financement long terme historiquement bas. Cependant, ce faible niveau des taux longs aboutit, paradoxalement, à une baisse de l’intérêt financier de l’opération de crédit-bail. Ce paradoxe s’explique par le mécanisme à l’origine même de la bonification de ce crédit-bail d’un genre particulier.

La mécanique sous-jacente à l’optimisation financière
Pour bien comprendre, il convient de garder à l’esprit que le crédit-bail est dit «?à effet de levier fiscal?» car il a vocation à bonifier le coût de financement d'un actif par rapport au coût d'un emprunt classique, du fait du différé fiscal constaté dans les comptes du crédit- bailleur (établissement financier) qui a acquis l’actif à l’état neuf.
L'amortissement accéléré des actifs selon le mode dégressif permet, en effet, à l’investisseur qui détient le crédit- bailleur de bénéficier d'un différé fiscal dans le paiement de l’Impôt sur les Sociétés. Bien que la somme des résultats du crédit- bailleur soit nulle sur la durée du crédit-bail, la valeur actualisée du différé fiscal est positive et fait l'objet d'un partage entre le crédit- bailleur et la collectivité au travers d'une bonification des loyers du crédit-bail.
La capacité d'un investisseur à acquérir un bien pour le donner en crédit-bail fiscal dépend donc de sa capacité à générer des profits sur une durée suffisamment longue : on parle de capacité fiscale. Le marché français est aujourd’hui en phase de reconstitution de sa capacité fiscale (après les pertes importantes enregistrées durant la crise financière rappelée ci-dessus).

Les vertus du crédit-bail optimisé

Historiquement, les collectivités ont eu recours au crédit-bail fiscal - malgré la contrainte inhérente à ce financement qui implique la sélection de l’établissement crédit- bailleur selon les procédures de publicité et de mise en concurrence prévues par le Code des marchés publics (à la différence des financements classiques par emprunt bancaire négociés en dehors de ces
procédures) - pour les raisons principales suivantes :
• réduction du coût pour la collectivité : la bonification fiscale apportée par un crédit-bail fiscal est de l’ordre de 30-40 points de base. Cela représente en valeur actualisée pour un financement d’une maturité de 25 ans un gain financier net de 3,5?%-5,0?% environ (cette bonification étant néanmoins à mettre en balance avec les complexités et risques inhérents à ce type de financement) ;
• impact des loyers du crédit-bail sur le budget de la collectivité : le crédit-bail permet de lisser la charge budgétaire. En outre, la dépense de loyer est inscrite comptablement dans la section de fonctionnement, et non dans la section d’investissement comme c’est le cas en cas d’acquisition directe par la collectivité des matériels roulants ou, dans le schéma historique applicable aux TER, lorsque la région subventionne la SNCF (propriétaire des rames) pour le financement de l’acquisition des TER auprès du constructeur sélectionné ;
• en ce qui concerne les TER, contrôle des actifs par la région via le subventionnement apporté à la SNCF et le bénéfice d’une option d’achat, étant rappelé que la propriété des rames réside chez la SNCF ; ainsi que
• dans une certaine mesure, l'élargissement du panel des partenaires financiers : les prêteurs dans le cadre d’un crédit-bail ne proposeraient pas forcément (et, en tout état de cause, sur des mêmes conditions de maturité notamment) de financement à cette même collectivité dans le cadre d’un prêt direct à celle-ci .

La relance du contexte économique et financier

Quelles sont, aujourd’hui, les nouvelles perspectives pour le financement en crédit-bail par les collectivités locales ?
Pour les plus importantes d’entre elles (régions, grandes agglomérations…) disposant d’un accès croissant aux marchés financiers (placement privé, émissions obligataires…), plusieurs établissements financiers réfléchissent actuellement à des solutions de couplage du crédit-bail avec des financements non bancaires, i.e. apportés par des investisseurs dans le cadre de placement privé, voire même d'émission obligataire.
Concrètement, l'investisseur fiscal (bancaire - voire institutionnel) constituerait une société ad’ hoc qui serait financée par des investisseurs dans le cadre d'un placement privé et partagerait avec la collectivité l’avantage financier lié au différé d'imposition dégagé par l'amortissement accéléré des matériels.
Une telle approche permettrait, en effet, aux collectivités de continuer à jouir des avantages inhérents au crédit-bail (gain financier fiscal, contrôle des actifs, lissage budgétaire…), tout en bénéficiant de la profondeur de marché et du relatif faible coût d’un financement obligataire.
D’autres solutions sont également à l’étude.

1 «?Les marchés publics de fournitures sont les marchés conclus avec des fournisseurs qui ont pour objet l'achat, la prise en crédit-bail, la location ou la location-vente de produits ou matériels?».
2 À noter que le marché public de crédit-bail constitue l’un des éléments parmi d’autres conventions et actes nécessaires au bouclage de l’opération (contrat d’acquisition, convention de financement…).


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