Par Nathalie Jalabert, avocat associé. Mayer Brown
Programmes de conformité concurrence?: cercle vertueux ou cercle vicieux??
Si les autorités de concurrence approuvent généralement les efforts des entreprises pour promouvoir le respect du droit de la concurrence en leur sein, elles sont fort peu nombreuses à encourager véritablement l’adoption de programmes de conformité. L’Europe constitue de ce point de vue une zone où l’adoption de programmes de conformité est plus que jamais à double tranchant.
Le 24?novembre 2011, la Commission européenne a rendu publique une brochure d’information intitulée «?La conformité compte?» pour encourager les entreprises à s’investir dans la conformité aux règles de concurrence.
UE : l’existence d’un programme n’est pas une circonstance aggravante – CQFD…
Il s’agit de la première prise de position positive de la Commission européenne en faveur des programmes de conformité. La brochure énonce que «?l’existence d’un programme de conformité ne sera pas considérée comme une circonstance aggravante si une infraction est détectée par les autorités de concurrence?». Cela n’allait cependant pas sans dire : la dernière prise en compte d’un programme de conformité dans une décision de la Commission remonte à 1998 et avait précisément pris la forme d’une circonstance aggravante.
Pour le reste, la brochure rappelle les grandes lignes de la pratique décisionnelle de la Commission et les conséquences d’une décision de sanction, mais n’inclut aucune mesure incitative : comme le Commissaire Almunia le rappelle volontiers, «?une entreprise impliquée dans un cartel ne doit pas attendre une récompense de la Commission pour avoir mis en place un programme de conformité parce qu’il s’agit par définition d’un programme ayant échoué?».
Non seulement l’incitation n’est pas à l’ordre du jour mais les programmes de conformité peuvent en l’état aggraver le sort procédural des groupes d’entreprises centralisant la gestion de la conformité : il ressort de la pratique décisionnelle de la Commission, validée pour l’heure par le Tribunal de l’Union, que l’existence d’un programme de conformité à l’échelle d’un groupe peut constituer un indice utile – quoique non suffisant – d’exercice effectif d’influence déterminante par le groupe. Dans ces conditions, toute commission d’infraction par une filiale est imputable à la tête du groupe concerné.
Il ne s’agit pas là seulement d’une question d’allocation de la responsabilité au sein du groupe. En effet, en droit européen, les amendes sont imposées dans la limite de 10?% du chiffre d’affaires mondial de l’entité concernée et de l’ensemble de ses filiales : plus l’amende est imposée en amont du groupe, et moins ce plafond risquera d’être atteint. L’enjeu est de taille lorsque l’on sait qu’environ 15?% des entreprises sanctionnées en matière de cartels l’ont été ces dernières années à hauteur de 9 % à 10?% de leur chiffre d’affaires.
Le fait que l’existence d’un programme de conformité impulsé par le groupe conduise à renforcer les éléments conduisant à lui faire supporter toutes les conséquences des comportements de ses filiales instaure un cercle vicieux : lorsqu’un groupe adopte un discours sans ambiguïté sur la conformité et met en place un programme de conformité effectif, cette démarche devrait lui profiter au lieu d’instaurer à son égard une obligation de résultat quant à la conduite de ses filiales.
France : une politique proactive mais de moins en moins attractive
L’Autorité de la concurrence française a longtemps fait figure d’exemple vertueux sur le terrain de la conformité : en application de l’article L 464-2 III du Code de commerce, toute entreprise renonçant à contester les griefs notifiés par l’instruction bénéficie d’un plafond d’amende diminué de moitié (5?% et non plus 10?% du chiffre d’affaires mondial consolidé). Lorsqu’elle s’engage en outre à modifier son comportement pour l’avenir, une réduction d’amende directe peut également lui être appliquée.
Dans les premiers cas traités sur cette base, l’Autorité a accordé des réductions de grande ampleur. Plus récemment, ces réductions ont eu tendance à s’amenuiser, en même temps que les exigences de l’Autorité sur les programmes de conformité éligibles se renforçaient. Au terme de cette évolution, l’Autorité de la concurrence a publié, le 14?octobre 2011, un projet de document cadre concernant les programmes de conformité qui cantonnerait désormais à 10?% la réduction d’amende pouvant être accordée en cas d’adoption d’un programme de conformité, plus 5?% en présence d’engagements additionnels.
En outre, pour pouvoir bénéficier d’une telle réduction, le programme de conformité devra reposer sur (i) une prise de position claire, ferme et publique de l’ensemble des organes de direction, et plus généralement de l’ensemble des dirigeants et mandataires sociaux, (ii) l’engagement de désigner une ou plusieurs personnes spécialement chargées de la mise en place et du fonctionnement du programme de conformité au sein de l’entreprise, avec les pouvoirs nécessaires pour assurer la mise en œuvre effective du programme et agir en cas d’infraction avérée ou possible, (iii) l’engagement de mettre en place des mesures effectives d’information, de formation et de sensibilisation, (iv) l’engagement de mettre en place des mécanismes effectifs de contrôle, d’audit et d’alerte comprenant un dispositif d’alerte anonyme, ainsi que (v) l’engagement de mettre en place un dispositif effectif de suivi, comprenant notamment l’existence d’une échelle de sanctions pour les contrevenants.
Si la réduction maximale qui pourra être obtenue est globalement conforme aux dernières décisions, cantonner le programme de conformité à 10?% maximum risque d’être peu incitatif : l’engagement de long terme et les coûts que représentent de tels programmes seront valorisés au même titre que la non-contestation des griefs, dont le bénéfice réside uniquement dans une économie procédurale.
Enfin, la disponibilité de cette réduction sera limitée aux entreprises n’ayant pas fait le choix de la clémence, n’ayant pas déjà mis en place un tel programme et renonçant à toute contestation des conclusions de l’Autorité. Autant dire que les cas dans lesquels la réduction au titre des programmes de conformité aura vocation à s’appliquer réduiront progressivement.
L’Autorité n’indique pas dans son projet de document cadre le sort qu’elle réservera en termes d’imputabilité aux groupes ayant décliné des programmes de conformité, mais elle a déclaré dans plusieurs décisions s’aligner pleinement sur les règles européennes, même lorsque seul le droit national est applicable.
Il faut avouer qu’avec l’harmonisation progressive des droits nationaux et les renvois de dossiers entre Commission et autorités nationales, des différences marquées sont de plus en plus difficiles à maintenir. L’évolution doit donc avant tout venir de la Commission elle-même, sachant que la voie à suivre pourrait être utilement suggérée par les travaux d’organisations ou de forums internationaux, à l’image des Bonnes Pratiques en matière de programmes de conformité anti-corruption adoptées en mars?2010 par le groupe de travail de l’OCDE.
Le 24?novembre 2011, la Commission européenne a rendu publique une brochure d’information intitulée «?La conformité compte?» pour encourager les entreprises à s’investir dans la conformité aux règles de concurrence.
UE : l’existence d’un programme n’est pas une circonstance aggravante – CQFD…
Il s’agit de la première prise de position positive de la Commission européenne en faveur des programmes de conformité. La brochure énonce que «?l’existence d’un programme de conformité ne sera pas considérée comme une circonstance aggravante si une infraction est détectée par les autorités de concurrence?». Cela n’allait cependant pas sans dire : la dernière prise en compte d’un programme de conformité dans une décision de la Commission remonte à 1998 et avait précisément pris la forme d’une circonstance aggravante.
Pour le reste, la brochure rappelle les grandes lignes de la pratique décisionnelle de la Commission et les conséquences d’une décision de sanction, mais n’inclut aucune mesure incitative : comme le Commissaire Almunia le rappelle volontiers, «?une entreprise impliquée dans un cartel ne doit pas attendre une récompense de la Commission pour avoir mis en place un programme de conformité parce qu’il s’agit par définition d’un programme ayant échoué?».
Non seulement l’incitation n’est pas à l’ordre du jour mais les programmes de conformité peuvent en l’état aggraver le sort procédural des groupes d’entreprises centralisant la gestion de la conformité : il ressort de la pratique décisionnelle de la Commission, validée pour l’heure par le Tribunal de l’Union, que l’existence d’un programme de conformité à l’échelle d’un groupe peut constituer un indice utile – quoique non suffisant – d’exercice effectif d’influence déterminante par le groupe. Dans ces conditions, toute commission d’infraction par une filiale est imputable à la tête du groupe concerné.
Il ne s’agit pas là seulement d’une question d’allocation de la responsabilité au sein du groupe. En effet, en droit européen, les amendes sont imposées dans la limite de 10?% du chiffre d’affaires mondial de l’entité concernée et de l’ensemble de ses filiales : plus l’amende est imposée en amont du groupe, et moins ce plafond risquera d’être atteint. L’enjeu est de taille lorsque l’on sait qu’environ 15?% des entreprises sanctionnées en matière de cartels l’ont été ces dernières années à hauteur de 9 % à 10?% de leur chiffre d’affaires.
Le fait que l’existence d’un programme de conformité impulsé par le groupe conduise à renforcer les éléments conduisant à lui faire supporter toutes les conséquences des comportements de ses filiales instaure un cercle vicieux : lorsqu’un groupe adopte un discours sans ambiguïté sur la conformité et met en place un programme de conformité effectif, cette démarche devrait lui profiter au lieu d’instaurer à son égard une obligation de résultat quant à la conduite de ses filiales.
France : une politique proactive mais de moins en moins attractive
L’Autorité de la concurrence française a longtemps fait figure d’exemple vertueux sur le terrain de la conformité : en application de l’article L 464-2 III du Code de commerce, toute entreprise renonçant à contester les griefs notifiés par l’instruction bénéficie d’un plafond d’amende diminué de moitié (5?% et non plus 10?% du chiffre d’affaires mondial consolidé). Lorsqu’elle s’engage en outre à modifier son comportement pour l’avenir, une réduction d’amende directe peut également lui être appliquée.
Dans les premiers cas traités sur cette base, l’Autorité a accordé des réductions de grande ampleur. Plus récemment, ces réductions ont eu tendance à s’amenuiser, en même temps que les exigences de l’Autorité sur les programmes de conformité éligibles se renforçaient. Au terme de cette évolution, l’Autorité de la concurrence a publié, le 14?octobre 2011, un projet de document cadre concernant les programmes de conformité qui cantonnerait désormais à 10?% la réduction d’amende pouvant être accordée en cas d’adoption d’un programme de conformité, plus 5?% en présence d’engagements additionnels.
En outre, pour pouvoir bénéficier d’une telle réduction, le programme de conformité devra reposer sur (i) une prise de position claire, ferme et publique de l’ensemble des organes de direction, et plus généralement de l’ensemble des dirigeants et mandataires sociaux, (ii) l’engagement de désigner une ou plusieurs personnes spécialement chargées de la mise en place et du fonctionnement du programme de conformité au sein de l’entreprise, avec les pouvoirs nécessaires pour assurer la mise en œuvre effective du programme et agir en cas d’infraction avérée ou possible, (iii) l’engagement de mettre en place des mesures effectives d’information, de formation et de sensibilisation, (iv) l’engagement de mettre en place des mécanismes effectifs de contrôle, d’audit et d’alerte comprenant un dispositif d’alerte anonyme, ainsi que (v) l’engagement de mettre en place un dispositif effectif de suivi, comprenant notamment l’existence d’une échelle de sanctions pour les contrevenants.
Si la réduction maximale qui pourra être obtenue est globalement conforme aux dernières décisions, cantonner le programme de conformité à 10?% maximum risque d’être peu incitatif : l’engagement de long terme et les coûts que représentent de tels programmes seront valorisés au même titre que la non-contestation des griefs, dont le bénéfice réside uniquement dans une économie procédurale.
Enfin, la disponibilité de cette réduction sera limitée aux entreprises n’ayant pas fait le choix de la clémence, n’ayant pas déjà mis en place un tel programme et renonçant à toute contestation des conclusions de l’Autorité. Autant dire que les cas dans lesquels la réduction au titre des programmes de conformité aura vocation à s’appliquer réduiront progressivement.
L’Autorité n’indique pas dans son projet de document cadre le sort qu’elle réservera en termes d’imputabilité aux groupes ayant décliné des programmes de conformité, mais elle a déclaré dans plusieurs décisions s’aligner pleinement sur les règles européennes, même lorsque seul le droit national est applicable.
Il faut avouer qu’avec l’harmonisation progressive des droits nationaux et les renvois de dossiers entre Commission et autorités nationales, des différences marquées sont de plus en plus difficiles à maintenir. L’évolution doit donc avant tout venir de la Commission elle-même, sachant que la voie à suivre pourrait être utilement suggérée par les travaux d’organisations ou de forums internationaux, à l’image des Bonnes Pratiques en matière de programmes de conformité anti-corruption adoptées en mars?2010 par le groupe de travail de l’OCDE.