Le droit du comité d’établissement de se faire assister pour l’examen annuel des comptes
L’arrêt du 18 novembre 2009 revient sur la problématique du recours à l’assistance du comité d’établissement par un expert-comptable en vue de l’examen annuel des comptes.
L’article L.2327-15 du Code du travail dispose qu’en matière économique, les comités d’établissement détiennent les mêmes attributions que les comités d’entreprise dans la limite des pouvoirs confiés au chef d’établissement. Sur le plan pratique, le caractère imprécis de ce principe provoque des difficultés liées à la répartition des compétences entre les différentes institutions représentatives du personnel. Les débats sur l’étendue du droit du comité d’établissement à se faire assister par un expert-comptable lors de l’examen annuel des comptes illustrent cette problématique.
Saisie de cette question, la Cour de cassation a, dans un premier temps, étendu le principe de l’identité des attributions entre le comité d’établissement et le comité central d’entreprise aux pouvoirs et aux moyens de ce comité, en estimant le 11 mars 1992(1) que le comité d’établissement était en droit de se faire assister d’un expert-comptable en vue de l’examen des comptes de l’établissement. Cette décision sera d’ailleurs confirmée en 1999(2). Dans ces affaires, l’existence d’une comptabilité propre établie au sein de ces établissements n’était pas discutée.
En 2006, dans une affaire concernant une UES, la Haute Cour a, par la suite, consacré le caractère supplétif du recours à l’expert-comptable par le comité d’établissement, relevant qu’une expertise avait d’ores et déjà été diligentée par le comité central d’entreprise. Cette analyse a toutefois été abandonnée en 2007(3).
Récemment, la cour d’appel de Paris(4) après avoir constaté l’existence de comptes spécifiques et de pouvoirs propres du chef d’établissement a estimé « que ces éléments caractérisent une autonomie financière et comptable suffisante au niveau de l'établissement et de sa direction pour justifier que le comité soit informé sur les comptes et puisse se faire assister d'un expert-comptable à cet effet ».
Par l’arrêt du 18 novembre 2009, la Cour de cassation met un terme à la controverse sur le caractère supplétif du recours à l’expert-comptable par le comité d’établissement. Le droit du comité central d’entreprise d’être assisté pour l’examen annuel des comptes ne prive pas le comité d’établissement de son propre droit d’assistance. Certains commentaires tendent à conférer à cet arrêt une portée supplémentaire en estimant que la reconnaissance même d’un établissement distinct suffit à établir l’existence de comptes propres à cet établissement et donc la capacité du comité d’établissement à se faire assister d’un expert.
Il ne nous semble pas que la portée de cet arrêt soit aussi importante au regard notamment des faits de l’espèce. En effet, l’existence d’éléments comptables au sein de l’établissement en question ne semblait en l’occurrence faire aucun doute. La cour d’appel de Toulouse(5), qui s’était prononcée dans ce litige, avait indiqué qu’au sein de cet établissement distinct, « Il existait des comptes annuels devant lui être soumis, peu important que ces derniers soient délibérément matérialisés sous forme de tableaux de bord ». De surcroît, la Cour avait relevé qu’un expert-comptable avait été précédemment désigné dans cet établissement et qu’il « avait bien été en mesure de dégager des comptes d’exploitation et de résultats propres à l’établissement ». Les juges du fond avaient ainsi estimé que cet établissement, qui contribuait incontestablement aux résultats de l’entreprise, disposait effectivement de comptes dans la mesure où il produisait « des marges et de la rentabilité commerciale ».
La possibilité pour un comité d’établissement de recourir à l’assistance d’un expert ne peut constituer un droit absolu dépourvu de toute réserve. La seule reconnaissance du caractère distinct d’un établissement ne saurait légitimer le recours à un expert-comptable eu égard à la notion même d’établissement distinct. Ainsi, la « notion d'établissement distinct présente un caractère à la fois fonctionnel et relatif »(6). Cette définition jurisprudentielle tend à considérer que l'établissement distinct sert d’espace à la représentation institutionnelle concernée(7).
Selon le Conseil d’État, il convient que l’établissement distinct présente « en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose leur directeur, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service(8)» . Comme le souligne, en outre, Maurice Cohen « (…) le fait d’employer le mot « degré » implique qu’il ne s’agit pas d’exiger une autonomie totale, absolue, à l’instar de celle de l’entreprise. (…) » (Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe - 8e éd. LGDJ).
Le caractère distinct de l‘établissement suppose essentiellement, selon nous, que le chef d’établissement dispose de pouvoirs suffisants pour présider « utilement » le comité d’établissement. Il nous apparaît, dès lors, que le juge du fond, saisi d’une problématique relative à la possibilité par le comité d’établissement de recourir à un expert dans le cadre de l’examen annuel des comptes, détient toujours un pouvoir de contrôle sur l’existence de comptes annuels propres à l’établissement, laquelle reste un préalable indispensable. En effet, il est tout à fait concevable qu’au regard des caractéristiques et de l’activité spécifique des établissements ou encore de la particularité du découpage d’une entreprise ou d’une unité économique et sociale en établissements, ces derniers ne présentent pas une autonomie économique telle qu’elle suppose des comptes spécifiques.
Juin 2010
1 Soc.11 mars 1992
2 Soc.14 décembre 1999
3 Soc.28 novembre 2007
4 CA Paris 13 juin 2008
5 CA Toulouse 11avril 2008
6 Soc.19 juin 1985
7 Articles L.2314-31 et L.2143-5 du Code du travail
8 CE.27 mars 1996